L'humain au centre de l'action future

«Entre les murs» hors du commun

19 h 40 min. Cinéma Lynx à Casablanca. L'entrée de la salle est assaillie par une foule qui s'intensifie de plus en plus.

28 Janvier 2009 À 11:42

Les véhicules qui accostent près de ce lieu de pèlerinage «débarquent» chacun son lot d'individus qui s'activent à prendre leur place dans une queue qui n'en finit pas de s'allonger. La raison de tout ce charivari humain est toute simple mais de grande importance pour les cinéphiles. Ce soir, lundi 26 janvier, démarre la semaine du film européen. Et s'il y a foule c'est que le film d'ouverture est une grande oeuvre qui n'a pas fini de récolter les prix les plus prestigieux du cinéma. Le grand événement cinématographique a choisi d'ouvrir le bal, en beauté, avec « Entre les murs » de Laurent Cantet, une adaptation du roman éponyme de François Bégaudeau paru en 2006 aux Editions «Verticales». A 20h, heure annoncée pour le début de la projection, les cinéphiles continuent d'affluer. Réalisateurs, animateurs TV et spectateurs lambda de tous les âges continuent d'arriver. Les retardataires ont encore une dernière chance pour ne pas passer à côté d'une belle œuvre cinématographique. Après les salamalecs et les discours de circonstance, le film démarre. Un silence de cathédrale règne dans la salle.

Les spectateurs n'ont d'yeux que pour les images qui jaillissent de l'écran et les hypnotisent. Sur ce même écran, une école, des élèves, une cour de récréation, et des professeurs qui se présentent les uns aux autres. C'est la rentrée dans un lycée parisien, vivier de nationalités et de races diverses. On aurait raté le début de la projection, on le prendrait pour un documentaire, au vu de la manière dont il est filmé. Une fois que le spectateur est mis dans l'ambiance générale d'une école qui pourrait exister dans n'importe quelle partie du monde, la caméra du réalisateur s'invite et incite le spectateur à faire de même, dans la classe du jeune instituteur François Marin que le réalisateur avait suivi dès qu'il a franchi le portail du lycée dont il ne sortira pas (à l'image du spectateur) jusqu'à la fin du film. C'est alors que le jeu commence entre le prof et ses élèves, avec de sempiternelles parties de ping-pong qui n'en finissent pas de s'engager entre les deux parties. D'un côté les élèves avec leur insolence et leur sens du défi et de l'autre le professeur avec toutes les limites que lui impose son statut d'adulte et d'enseignant. Des limites qu'il franchit au fur et à mesure que le bras de fer se corse avec ses « rivaux ». Et c'est à qui prendra le dessus sur l'autre.

Petit à petit, on pénètre dans l'univers de ces gamins de 13 ans qui se prennent déjà pour des caïds en réfutant avec acharnement leur statut de mineurs. Esmeralda, Chérif, Suleymane, Rabeh, Khoumba…ne reculent devant rien quand il s'agit de s'imposer et de braver l'autorité du maître. En témoignent les dualités verbales et les affrontements oraux qui ponctuent le film. Le moindre ordre ou instruction formulés par M. Marin servent de prétexte aux élèves pour se lancer dans des phrasés dont le ton frôle l'insolence. La force du verbe sert aux jeunes élèves d'affirmer leurs positions et de faire preuve de force. Ils ne se laissent pas impressionner ou intimider par leur professeur. Au contraire, ce sont eux qui essaient de l'embarrasser avec des questions bêtes pour la plupart du temps mais loin d'être innocentes. «On dit que vous aimez les hommes, monsieur… eh que vous êtes homosexuel », lui lance à la figure Suleymane sous le rire sournois de ses camarades. Interrogation qui donne lieu à un échange verbal des plus loufoques. Il faut dire également que François ne se laisse pas faire par ces gamins qui passent leur temps à le charrier. Il les pique avec son sarcasme qui tourne souvent les situations en véritable délire.

La scène de «l'imparfait du subjonctif» et de son usage et surtout de son utilité dans la vie, laisse sans voix devant l'éloquence et le sens de la répartie d'une Esmeralda et d'une Khoumba, par trop narquoises. Jamais classe n'a été filmée avec autant de réalité, d'émotion et d'amour. « Entre les murs » est un film qui déborde de fraîcheur et d'énergie. A la manière d'un documentaire, la caméra du réalisateur épie les différents acteurs de l'école en capturant des moments forts de leur galère avec leurs élèves, de leur exaspération, de leur désespoir, de leur effondrement mais aussi du bonheur vécu auprès de ces diablotins attachants. En revanche, à aucun moment, le chaos qui règne dans l'établissement n'est décrit comme une catastrophe ou un échec total. En somme, Cantet a fait le choix de substituer le jugement à l'émotion, la description passive à la mise en scène et à la stylisation. Et c'est là tout le génie du film.
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Jeu... de rôles

A regarder le jeu des personnages dans le film de Laurent Cantet «Entre les murs», on serait tenté de penser qu'il s'agit d'improvisation pure et dure et que le réalisateur s'est contenté de braquer sa caméra sur ces génies de l'écran. Mais il n'en est rien. Laurent Cantet tient à préciser : «Quand je demande à un collégien de jouer un collégien, à un prof de jouer un prof, je n'attends pas d'eux qu'ils se livrent tels qu'ils sont; je suis très attaché à l'idée de recréation, de représentation de soi que le jeu implique (...) Les profs, par exemple, ont été comme les élèves, impliqués très tôt dans l'élaboration de leur personnage : au cours de séances d'improvisation, ils ont réfléchi ensemble aux différents enjeux des scènes, questionnant à cette occasion leurs propres pratiques ou contestant parfois les propositions que je leur faisais.» S'il est vrai que les personnages jouent leurs propres rôles, ils le font tout de même
à la manière de Laurent Cantet.
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