Spécial Marche verte

Un travail de titan reste avant Copenhague

Le 2e round des négociations du futur accord climatique de Copenhague, qui s'est achevé vendredi à Bonn, a notablement augmenté le nombre des propositions, mais il y manque toujours les principaux chiffres et un travail de titan reste à accomplir d'ici décembre.

14 Juin 2009 À 10:51

Réunis depuis le 1er juin, les délégués de 183 pays - sur les 192 participants à la Convention des Nations unies sur le climat (CNUCC), ont fait le constat de leurs nombreux désaccords en entamant la lecture du premier texte des négociations qui leur était soumis. "Nous sommes arrivés avec une cinquantaine de pages et nous repartons avec 200 ou 250. C'est un travail de titan", a souligné le représentant de la Commission européenne, Arthur Runge Metzger. Mais le secrétaire exécutif de la Convention climat, Yvo de Boer, s'est dit "confiant" d'aboutir à un texte ratifiable à la fin de l'année et a noté des "signaux encourageants". "J'attends un accord global à Copenhague, pas un cadre général. Certains détails pourront être discutés plus tard", a-t-il précisé devant la presse. Ce futur accord doit garantir la poursuite des efforts mondiaux contre l'effet de serre, à l'expiration des premiers engagements du Protocole de Kyoto pour la période 2008-2012. "On a plus d'accords et moins d'ambitions", a résumé l'ambassadeur de France pour le climat, Brice Lalonde.

"Tout le monde sait qu'il faut réduire de 50% les émissions mondiales d'ici 2050 (par rapport à leur niveau de 1990), ce qui implique que les pays industrialisés diminuent les leurs de 80%. Et tout le monde sait que les émissions des pays en développement devront commencer à baisser en 2025 au plus tard. Mais personne ne signe", a-t-il déclaré à l'AFP. Les objectifs du Japon annoncés mercredi - moins 15% en 2020 par rapport à 2005, soit - 8% par rapport à 1990 - comme ceux des Etats-Unis (équivalents à ce stade à -4% en 2020 par rapport à 1990) apparaissent trop faibles. Ils représentent pour le moment une baisse totale des émissions du "nord" de l'ordre de 8 à 14%, quand la science recommande une réduction de 25 à 40% en 2020, pour empêcher le thermomètre mondial de s'envoler. Trente-sept pays en développement, parties au traité de Kyoto, ont réclamé vendredi un engagement des industrialisés sur "au moins 40%" de baisse. Outre la question des objectifs, le financement des efforts d'atténuation du réchauffement et de l'aide à l'adaptation des pays les plus vulnérables
piétine.

En revanche, les délégués présents ont entamé le débat sur la forme juridique du futur accord: l'Inde a prévenu qu'elle ne renoncerait pas au Protocole de Kyoto, mais plusieurs propositions suggèrent d'adopter un nouveau Protocole de Copenhague, qui reprendrait les dispositions de Kyoto en les élargissant. Les Etats-Unis ont proposé un nouvel "accord de mise en oeuvre" de la Convention climat: "Puisque nous ne sommes pas parties à Kyoto, il nous faut un nouvel accord qui permet d'en reconduire les obligations", a expliqué le chef de la délégation américaine Jonathan Pershing. Les ONG, déçues, ont dénoncé l'attentisme des délégations sur le fond. "Les mauvais élèves se cachent derrière les autres en espérant que le prof ne les verra pas", s'est agacé Kim Cartensen, du WWF, tandis qu'Antonio Hill, d'Oxfam, notait: "On peut négocier sur le climat, mais pas avec le climat". Trois sessions sous l'égide de l'ONU sont encore programmées d'ici décembre dont la prochaine à la mi-août à Bonn permettra d'éplucher le nouveau texte épais comme un bottin. "C'est comme le processus d'évolution: le Big Bang se produit à la fin"! a promis Mickael Zammit Cutayar, l'un des ''pilotes'' de la négociation.
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"L'ambition n'y est pas"

Interview • Brice Lalonde L'ambassadeur de France juge les discussions "plus constructives"

Quel bilan tirez-vous de cette deuxième session des négociations?

Les attitudes sont plus constructives mais les ambitions sont réduites. Tout le monde sait qu'il faut réduire de 50% les émissions mondiales d'ici 2050 (par rapport à leur niveau de 1990), ce qui implique que les pays industrialisés diminuent les leurs de 80%.
Et tout le monde sait que les émissions des pays en développement devront commencer à baisser en 2025 au plus tard. Mais personne ne signe. Pour les pays en développement, l'idée qu'on ne s'engage sur le climat qu'en échange d'un soutien financier doit être abandonnée. L'Union européenne est d'accord pour payer, mais sur une architecture solide et à condition de savoir quels efforts on va soutenir. Surtout en temps de crise. On commence à avoir beaucoup de ''plans climat'' nationaux pour réduire les émissions, chacun fait valoir ses efforts, mais si on n'a pas de chiffres communs à Copenhague, ce sera un échec.

Justement, sur les chiffres, on n'a guère avancé: ceux annoncés par les pays les plus riches semblent loin du compte...

Les Etats-Unis et le Japon doivent faire mieux, car si aucun des deux ne bouge, les autres en profiteront pour traîner.Les Etats-Unis ont du mal à se mettre en route, mais je n'exclus pas qu'ils avancent encore. De même pour la Chine. Mais pour le moment, les engagements pour 2020 sont insuffisants: il paraît difficile, sur de telles bases, d'arriver à réduire les émissions mondiales de moitié en 2050.
Pourtant, parallèlement, des règlements sont adoptés dans la plupart des pays, des investissements sont massivement engagés dans les énergies renouvelables, la prise de conscience populaire augmente elle-aussi. Chaque jour qui passe est un progrès.

Faut-il tourner la page du Protocole de Kyoto pour intégrer les Etats-Unis dans un nouveau traité?

Du point de vue européen, l'idéal serait de parvenir à un Protocole de Copenhague, dans lequel tous les pays auraient des obligations, communes mais différentiées. Mais pour beaucoup de pays en développement, Kyoto reste la garantie que les pays industrialisés prennent leurs responsabilités et ils ont le sentiment que certains pourraient profiter de Copenhague pour s'en évader. A Copenhague, il sera trop tôt pour trancher le débat: il est important de se mettre d'abord d'accord sur la substance. Ensuite, cela s'organisera.

Propos recueillis par Anne Chaon (AFP)
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