Le 3e colloque international organisé par le ministère de l'Economie et des Finances du Maroc et l'Association pour la fondation internationale des finances publiques (FONDAFIP) avec le soutien de la Revue française des Finances publiques et le groupement européen de recherches en Finances publiques sous le thème «Finances publiques au Maroc et en France : enjeux et réponses face à la crise» a constitué un moment extrêmement dense, de partage d'idées, de comparaisons d'expériences, de mutualisation des connaissances et des savoirs pour faire face à la crise.
LE MATIN
14 Septembre 2009
À 19:07
Un «objet d'art» comme le qualifiera le président de FONDAFIP, Michel Bouvier, qui au fil des éditions est maturé, sculpté par la qualité des interventions et des débats, par une meilleure compréhension des attentes des uns et des autres. Le public, près d'un millier de participants, constitué de ministres, d'ambassadeurs, d'universitaires, de hauts fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, des directeurs des grandes entreprises, et de l'élite en charge des finances du pays a suivi, deux jours durant avec une rare ponctualité, les interventions et animations de qualité des ministres des Finances Salahddine Mezouar, Mohamed Berrada et Fathallah Oualalou, du wali de Bank Al-Maghreb, Abdelatif Jouahri, et des professeurs, experts reconnus et praticiens sur le terrain, directeurs des finances publiques, directeurs de trésor, de budget, secrétaire général de la Cour des comptes du Maroc, conseillers, représentants du président maître à la Cour des comptes française, préfet de la région de l'Ile de France, …
Une question de fond a traversé toute les interventions : « comment limiter les conséquences de la crise, comment y répondre mais aussi comment sortir renforcés de la crise » à un moment où la problématique de bonne gouvernance financière et de réforme des systèmes financiers publics et fiscaux est une préoccupation de tous les Etats redevenus à la faveur de cette crise protecteurs, régulateurs et gestionnaires ? Un premier bilan a été présenté par Noureddine Bensouda, organisateur de la rencontre et directeur général des impôts. La politique fiscale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis l'an 2000 a permis, dit-il, une amélioration et une sécurisation des recettes fiscales qui ont renforcé la résilience de l'économie du Maroc face à la crise.
Comment pérenniser ces acquis qui ont permis par exemple en 2008, plus de 30% de croissance des rentrées fiscales ? En élargissant et en «normalisant» l'assiette fiscale dans le sens de la justice fiscale et en mettant en place une nouvelle gouvernance fondée sur la transparence, sur une démarche participative des acteurs qui renforcerait la légitimité de l'action de l'état et en luttant à l'échelle nationale et internationale contre la fraude fiscale. Des mécanismes de rationalisation budgétaire et fiscale doivent être institués tandis que les réformes engagées doivent être menées jusqu'au bout. La révision de la loi organique des finances donnerait du sens à ce vaste chantier et pourrait constituer le thème des prochaines rencontres internationales qui se tiendront en septembre 2010.
«Avec quels instruments de relance faire face à la crise ?»
LE MATIN : Un mot sur ce colloque qui a drainé toute l'élite des finances publiques et de l'université ?
ZOUHAIR CHORFI : La Direction générale des impôts organise chaque année, depuis 2006, ce colloque international avec nos partenaires français et européens. Chaque année, nous focalisons sur une problématique particulière en rapport avec les finances publiques. Nous avons d'abord traité de la réforme fiscale, des dépenses et aujourd'hui des enjeux et réponses face à la crise.
Avec un benchmark international sur lequel sont revenus plusieurs intervenants dont M. Jouahri et M. Oualalou ?
Les politiques de relance diffèrent bien sûr, même si au niveau international la crise a eu un impact très fort du point de vue de la croissance, de la détérioration des échanges extérieurs et du commerce mondial. Sur les secteurs financiers, les évolutions sont différenciées quand on prend les regards croisés que nous avons posés sur le Maroc et sur la France. En France, le secteur financier a été très impacté par la crise avec un moment une situation de rupture de confiance, de cessation de financement d'activités économiques et de recul de croissance en 2009 de 4,8%, avec des incidences importantes sur les finances publiques et un recul de près de 30% des recettes fiscales, autant la situation est différente au Maroc. D'où la création d'un ministère de la Relance économique, auprès du Premier ministre créé avec une nomenclature spécifique, une mission et des programmes. Au Maroc, la situation est différente. Pour un pays qui n'est pas producteur de pétrole, il s'est agi en fait de gérer deux crises, celle des matières premières avec un pétrole de 150 dollars et une explosion des charges de la compensation qui a eu davantage d'impact sur les finances publiques que le ralentissement de la croissance. La crise des matières premières, c'est au moins 2 points de PIB de déficit additionnel en augmentation avec les charges de la compensation. En 2009, la crise a commencé à impacter les recettes fiscales même si le recul observé à fin juillet est davantage tributaire d'un effet réforme. En 2009, nous avons eu, en effet, les réformes de l'ISR et de l'IR alors que 2008 a été une année exceptionnelle. Troisième dimension, pour 20% pratiquement, le tassement des recettes est lié à l'effet crise, au ralentissement de l'activité et du PIB non agricole qui progressait jusqu'à présent jusqu'à 6% par an et qui est revenu à 3,5%. Sur le constat, les situations, on le voit, divergent. L'utilité des débats c'est quid des instruments de relance : faut-il relancer par l'investissement, par la consommation? Quid de la carotte fiscale ? Quid des conditions de financement de l'économie, rôle des banques centrales …? c'est un débat riche du point de vue de l'utilisation des instruments même si la réalité diffère.
Nous avons cependant noté un point de convergence pour sortir renforcés de la crise comme l'ont souligné MM Jouahri et Oualalou, mais aussi d'autres intervenants français ?
Ce qui est sûr, c'est que la crise implique de nouvelles exigences pour les finances publiques globalement en termes de rationalisation de la dépense, d'affinement des choix, d'introduction de l'obligation des résultats et de l'audit des finances publiques. Ce sont des questions essentielles. Du côté des recettes, nous n'avons d'autre salut que de poursuivre le sens de la réforme fiscale pour améliorer la compétitivité de notre système fiscal et donc notre attractivité et les investissements. Il y a, en effet, un lien dialectique entre la sphère publique et l'activité économique en général. L'un se nourrit de l'autre.
Vous êtes intervenu au cours de la table ronde consacrée aux instruments financiers de la relance. Deux grands acteurs sont, dites-vous, concernés, le privé et l'Etat. Comment se finance l'Etat en rapport au déficit budgétaire, quelles sont les modalités de financement et quelles sont les marges dont on dispose ?
Ce que je peux dire, c'est que nous avons maîtrisé notre besoin de financement et notre endettement à travers la maîtrise du déficit budgétaire. Nous avons, lors de ces 15 dernières années, totalement inversé la structure du financement du Trésor. En 1992, depuis la sortie de l'ajustement structurel, nous avions une dette à 80% externe et à 20% interne ; aujourd'hui elle est à 80% interne et à 20% externe. Nous avons financé les besoins de financement du Trésor par des ressources internes. Sur la dernière décennie, le Trésor n'a pas été à l'origine de la création monétaire, il s'est financé par des ressources internes, en recourant à des financements non bancaires parce que nous avions approfondi la réforme des marchés de capitaux. Aujourd'hui, les OPCVM détiennent plus de 140 milliards de portefeuille de Bons du Trésor. Sur les trois dernières années, le Trésor a mobilisé 40 milliards de DH par an. Nous remboursons, à titre de la dette, plus de 40 milliards, nous avons eu des mobilisations nettes négatives. En 2008, la dette intérieure a baissé en valeur absolue de 7 milliards de DH. Cette maîtrise de notre besoin de financement a permis une détente des conditions de financement du Trésor : l'excèdent du compte courant, l'excèdent d'épargne et de liquidités ont été bénéfiques au Trésor et à l'ensemble des acteurs économiques. Tout cela a permis la baisse des taux de crédit parce que nous avons, de manière significative, amélioré les conditions de financement de l'économie.
Les conditions ont cependant changé, quel est l'impact de ces changements ?
Le contexte a changé et la situation des comptes courants a changé comme le Trésor dans ses modalités de financement. L'un des grands changements à venir c'est un retour plus important au financement extérieur. Jusqu'en 2007, les ressources internes finançaient le déficit et le désengagement de la dette, à partir de 2007, on a un financement extérieur. Ce que je peux dire pour nous résumer c'est qu'en réduisant notre dette extérieure, nous avons consolidé la balance des paiements parce que nous avons réduit les charges de la dette extérieure et nous avons contribué pour 2 points de PIB à la consolidation de l'excédent du compte courant. Et venu le moment de mobiliser davantage de ressources externes, pour financer les besoins du Trésor et pour contribuer à la soutenabilité de la balance des paiements.
Vous avez rappelé, lors de votre intervention, que le Maroc était déjà client de la plupart des institutions financières ?
Nous sommes premier client de la Banque islamique, de la BAD, du FADES. Avec la Banque mondiale, avec la BAD nous allons monter en puissance au niveau de la mobilisation des financements extérieurs.
Pour revenir au thème de la table ronde relative aux instruments financiers et fiscaux de la relance, quelles sont les réformes lancées pour le financement de l'économie ?
Il y a des mesures de portée conjoncturelle prises par la Banque centrale : baisse de la réserve monétaire, réduction du taux directeur, garantie des besoins en fonds de roulement, moratoire 2009 pour les entreprises. A côté de cela il y a beaucoup de réformes structurelles durant ces deux dernières décennies et nous amorçons d'autres réformes concernant l'accès au service. Nous sommes un pays où le taux de bancarisation demeure faible. Ce taux devrait être amélioré avec la réforme de la banque postale et l'évolution institutionnelle du microcrédit, deux chantiers majeurs. Deuxième chantier, améliorer les conditions de financement de la PME à travers la réforme du système national de garanties et la mise en place de fonds d'investissements publics. Troisième niveau, c'est la solidité du système financier avec le renforcement des organes de supervision avec l'indépendance du CDVM, et avec la création d'une entité de supervision indépendante au niveau du secteur des assurances. Le développement du marché des capitaux permettra de diversifier les sources de financement des acteurs en leur donnant des instruments de couverture. Ce sont autant de chantiers que nous discutons avec nos partenaires.
Concernant la réforme du Trésor, il y a un débat relatif à l'épargne longue ?
A moins de 40 jours du bouclage de la Loi de finances, il y a débat sur les instruments de relance de l'épargne. Au niveau du benchmark international, c'est en général, la carotte fiscale. Le débat est ouvert qui tient compte de la contrainte et du tassement de recettes. Personnellement, je crois que la donne a évolué du point de vue de l'épargne. La problématique de l'épargne longue est incontournable et sa prise en charge nécessite un certain nombre d'incitations. Des études sont actuellement en cours menées par la CDG, la Bourse de Casablanca qui tiendront des séminaires sur la question. Nous aurons des occasions pour approfondir la réflexion sur une question aussi importante que le développement de l'épargne qui doit être au centre des priorités.