Fête du Trône 2006

L'Afrique et ses démons

27 Janvier 2009 À 17:14

Robert Mugabe est président du Zimbabwe depuis bientôt une trentaine d'années. Il est également président «ad vitam aeternam» de son propre parti, la Zanu-PF. Il a régné sans partage sur son pays, son image de libérateur faisant de lui une sorte de «père des peuples» de type stalinien.

Lié par une grande amitié à Thabo Mbeki, ancien président de l'Afrique du sud qui avait succédé à Nelson Mandela, Robert Mugabe a fait du Zimbabwe son territoire privé, ne se résolvant jamais à quitter le pouvoir, n'imaginant même pas que le pays connaît une certaine évolution, marquée par l'émergence d'autres personnalités politiques et d'une élite parfaitement en mesure de gouverner et de gérer un Zimbabwe considéré par les Nations unies et la Banque mondiale comme l'un des plus pauvres au monde.

Tout au long de ces dernières années de «règne», Robert Mugabe s'est transformé en dictateur patenté, n'hésitant pas à anéantir toute opposition démocratique, à emprisonner systématiquement tout ceux qui ont l'audace d'exprimer des critiques à l'endroit de sa gestion, de s'accaparer et dilapider ce qu'il y a de richesses encore, d'expulser de leurs terres les européens qui ont parié sur l'avenir du Zimbabwe et choisi d'y rester après son indépendance, de semer la terreur dans les rangs des libéraux, etc…Il a édifié un mode de gouvernance appuyé essentiellement sur une police intransigeante et violente et des milices, sorte de «tonton macoutes» qui sévissent sans ménagement contre la population.

La gabegie et la terreur ! Ce sont là, apparemment, les deux dimensions d'un pouvoir que le régime d'Afrique du sud n'a cessé de cautionner.
Aujourd'hui, en dépit de la pression exercée par la communauté internationale et africaine, Robert Mugabe ne semble guère enclin à changer sa position de dictateur. Depuis plusieurs mois, alors qu'il a perdu les élections au profit de son adversaire Morgan Tsvangirai, leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) alors qu'il devrait en prendre acte et partir dans la dignité, le voilà qui continue à s'accrocher à son pouvoir, à malmener à la fois l'opposition légitime et les gouvernements européens et africains qui le pressent d'accepter le jeu de l'alternance démocratique.

Il n'en a cure, à vrai dire. Et le Sommet de Pretoria, qui vient de réunir sous la président du Sud-africain Kgalema Motlanthe les dirigeants des pays d'Afrique australe, ce qu'on appelle les « 15 membres de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) », n'aura abouti, contrairement aux proclamations vertueuses des uns et des autres, qu'à une mascarade. Plutôt que de lâcher un tant soit peu de son pouvoir et de son autorité, comme il a été convenu, plutôt que céder le poste de Premier ministre à son adversaire – qui a gagné haut la main – les dernières élections législatives, Robert Mugabe ne semble rien entendre de cette réalité, encore moins de l'accepter. Soumis à de fortes pressions de la part des membres de la SADC, il a accepté que Morgan Tsvangirai devienne le 11 février prochain le Premier ministre désigné, comme aussi la proposition de cogérer le ministère de l'Intérieur avec l'opposition.

C'est une situation cocasse et perverse à laquelle les dirigeants de l'Afrique australe, croyant ménager la chèvre et le chou, sont parvenus. Elle indique davantage leur souci de céder aux caprices d'un indécrottable dictateur que de renforcer un processus démocratique quelconque. C'est, d'une autre manière, compliquer encore plus la crise politique au Zimbabwe qui tient à un seul élément : le départ dans la dignité de Robert Mugabe. Depuis le 15 septembre dernier, des négociations ardues ont été engagées, sous la houlette des pays voisins, pour un partage de pouvoir entre le dictateur et les vainqueurs des élections législatives, le problème butant sur l'attribution – et maintenant aussi le partage – du ministère de l'Intérieur, considéré comme un « portefeuille clé », parce que l'administration s'en est largement servie des décennies durant à la fois pour manipuler et transfigurer l'évolution politique du Zimbabwe, défendre les intérêts du dictateur et de sa « nomenklatura » et notamment pour réprimer le peuple. L'accord de Pretoria est une caricature de règlement , il ne semble pas , tant s'en faut, satisfaire les dirigeants du MDC qui ont l'air d'avoir été « conduits à Canossa » pour cautionner un nouveau sursis à Robert Mugabe . Ni plus , ni moins considèrent-ils que « les conclusions annoncées dans le communiqué que l'Afrique du sud s'est empressée de publier étaient clairement éloignées de leurs attentes ».

« Il y a un monde entre les deux parties » ! C'est le constat pathétique auquel, de guerre lasse, s'est résolu un dirigeant du Mouvement pour le changement démocratique. Et d'annoncer que le Conseil national de son parti se réunira le week-end prochain pour décider de sa position définitive et officielle. Donc, rien ne semble encore joué, et l'on doit s'attendre à de nouveaux rebondissements dans une négociation et, surtout, dans la conclusion d'une affaire qui s'apparente à un marché de dupes, cautionné par l'Afrique du sud et ses satellites. Un accord, signé le 15 septembre dernier, prévoyait surtout que le président Mugabe conserverait son poste et Morgan Tsvangirai serait nommé Premier ministre. Le Sommet de Pretoria , organisé lundi, a été consacré entièrement au Zimbabwe. Il s'est appliqué à sa mise en œuvre, mais ne semble pas avoir offert en quoi que ce soit la liberté au Premier ministre, vainqueur des élections, ni de former constitutionnellement son propre gouvernement – ce qui inclut évidemment la gestion du fameux ministère clé de l'Intérieur - , ni de promouvoir une politique de développement et de sortie de la grave crise dans laquelle Robert Mugabe a plongé le pays. Ce qu'il est convenu d'appeler le goulot d'étranglement politique est ici doublé d'un désastre économique et humanitaire sans précédent, le pays étant privé de ressources et de vivres, frappé par l'épidémie de choléra qui, entre le mois d'août et janvier, a fait plus de 3000 morts. Vingt-huit ans de pouvoir unilatéral et arbitraire, de gabegie et de violences, décidément Robert Mugabe aura donné de « l'Afrique progressiste » une piètre image !
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