Spécial Marche verte

C'est grave docteur ?

«Maman, je veux mettre tes chaussures à talons s'il te plaît !», lance Khalid d'une manière suppliante à sa maman.

19 Février 2009 À 16:16

Aziza, avoue être à bout, car entre son attitude à toujours dire oui à son fils, et les excès de colère de son époux, elle ne sait plus quoi faire.
«Garçon manqué, fille manquée» cela vous parle ? Pas à tout le monde, car ces propos, pas toujours explicites, ne sont pas bien compris. Que signifient-ils vraiment ? Et d'où tiennent-ils leurs origines étymologiques ?
Le terme familier de «garçon ou fille manqués» vient du fait que l'on désigne quelqu'un qui aurait manqué d'être le contraire de ce qu'il est réellement. En l'occurrence ici, le sexe opposé. Mais si la vision de ce phénomène, qui touche certains enfants est variable d'une culture à une autre, qu'en est-il dans notre société ? Comment doivent réagir les parents ? Et surtout, est-ce vraiment si grave que ça ? Autres témoignages: Yasmina a depuis longtemps mis hors de sa vue sa poupée Barbie. Elle a des cheveux courts, ne met jamais de jupe, et ses jouets favoris c'est sa carabine et un ballon. Karim, lui, semble avoir un penchant pour les poupées… et déteste se bagarrer. Son «truc» à lui: se déguiser en fille ! Tous deux reviennent parfois en pleurs de l'école parce qu'ils se sont fait traiter de tous les noms par leurs camarades.

Ces chérubins ne seraient-ils pas en train de prendre une orientation homosexuelle «sans s'en rendre compte» ? «Il n'existe pas de signes précurseurs de l'homosexualité, précise la pédopsychiatre Elisabeth Bauer. C'est une tendance qui se cristallise à la post-adolescence». Ces propos suffisent-ils à rassurer les parents ? Pas vraiment, tant ils craignent que leur progéniture ne se marginalise.
Une enquête de l'OMS datant de 1996 révèle d'ailleurs que 58% des familles dans le monde vivent dans la hantise de voir un jour leur enfant «devenir» homosexuel. Mais les études Ericksoniennes sont formelles «on ne devient pas homosexuel». «Tout être humain est bisexuel, et ce, depuis la naissance. La raison ? Freud explique que nous venons tous à la fois d'un homme et d'une femme, quoi de plus naturel alors que d'être attiré par les deux sexes ! Seulement Eriksson précise que les préférences et l'orientation sexuelle ne se forgent véritablement qu'à la post-adolescence. L'éducation, l'environnement culturel et les premières expériences sexuelles sont donc déterminants dans le choix de l'orientation sexuelle. Est-ce pour autant une raison d'arracher le fusil des mains de Yasmina et la poupée de celles de Karim? Non, nous affirme Amine Benjelloun, de toute manière cela ne ferait qu'exacerber ce type de comportements avec en plus des rapports conflictuels parents enfants et des traumatismes qui engendreraient à leur tour d'autres séquelles.

«Le mieux est de laisser-faire, tout en expliquant calmement à son enfant que ce qu'il fait est habituellement réservé au sexe opposé. Mais pour que le message soit entendu et définitivement assimilé, il est vital que le parent qui passe le message soit du même sexe que l'enfant concerné». Comme l'explique Eriksson dans son traité sur «la sexualité chez l'enfant»: «l'enfant ne comprendra pas que des messages d'éducation sexuelle viennent d'une personne du sexe opposé. Dès lors, s'il y'a une contradiction, le trouble semé dans son esprit peut le pousser à mimer des comportements «normalement» réservés à l'autre sexe. «Il n'y a pas d'indice permettant de dire que tel ou tel enfant sera homosexuel à l'âge adulte», renchérit Christine Maquelin, présidente du Groupe information sexuelle (GIS) et éducation à la santé du canton de Neuchâtel en Suisse. Un comportement de garçon ou de fille «manqués» ne devrait donc pas alarmer papa et maman.

«Se déguiser doit rester un jeu avec un début et une fin, note l'animatrice en information sexuelle du GIS. Mais si ce jeu est instauré sans règles, c'est-à-dire sans qu'on lui dise à quel moment quitter son déguisement, l'enfant risque de se complaire dans son rôle de fille ou de garçon, ce qui peut être à l'origine de sérieux troubles identitaires». Et d'ajouter : «Cela vaut alors la peine de discuter avec lui, de lui demander pourquoi il fait cela et qu'est-ce que ça lui procure comme plaisir ?» D'autant qu'une telle attitude peut aussi traduire un trouble de l'identité sexuelle.
-------------------------------------------------------------------

Témoignage

S'habiller lorsqu'on est garçon manqué n'est vraiment pas une chose facile. Voici un témoignage, publié dans un blog, pour le moins saisissant et qui met un peu de lumière sur le calvaire de ces filles à l'apparence et au comportement «différents». «Déjà petite, je me dirigeais vers les rayons masculins, pendant que ma mère me montrait les petites jupes, ou les petits pulls moulants... Quand t'es un garçon manqué, tu rentres dans un magasin, et là, les vendeuses te regardent très bizarrement. Elles ne savent pas trop si t'es une fille, si t'es un mec, et surtout quel genre de fringues tu va choisir. Pour ma part, je mets plutôt des gros buggys, des tee-shirts, et des sweat larges.... Si je m'habille de la sorte, c'est parce que je ne me sens réellement pas MOI dans des fringues de filles. J'ai l'impression d'être une grosse tache noire sur un tableau blanc. Je me sens toute serrée, comme si je ne pouvais plus respirer. Je mets donc des fringues plus larges et donc plus masculines, mais en gardant tout de même quelques détails féminins, car je ne demande pas non plus à être un mec. En faite, pour moi dans ma tête, niveau vestimentaire, je trouve qu'il devrait y avoir trois catégories : homme, femme, mixte».
Copyright Groupe le Matin © 2025