La fuite en Abyssinie eut lieu dans la cinquième année de la mission prophétique de Mohammed. Les noms de ceux d'entre les compagnons du Prophète qui se rendirent en Abyssinie se trouvent dans le livre des Expéditions, de Mohammed Ben-Ishâq. Mohammed Ben-Djarîr, dans le présent ouvrage, dit qu'ils étaient en tout soixante dix personnes. D'après d'autres traditions, leur nombre était de cent vingt, en comptant les personnages importants aussi bien que les adhérents inconnus. Quelques auteurs rapportent que quelques-uns d'entre eux, comme ‘Othmân, fils d'Affân, Dj'af, fils d'Abou-Tâlib, Sa'd, fils d'Abou-Waqqâç' ; Abd er-Ra'hman, fils d'‘Auf, Zobeïr, fils d'Awwâm ; ‘Ammâr, fils Yâser, avaient emmené avec eux leurs femmes. Tout cela est raconté en détail dans le livre des Expéditions.
Le nombre de femmes était de quinze ; d'après d'autres auteurs, les femmes n'étaient qu'au nombre de quatre.
Ils partirent donc pour Abyssinie, pays qu'on ne peut atteindre de La Mecque que par voie de mer, en se rendant d'abord de La Mecque à Djeddah. Les incrédules les poursuivirent, mais ils ne purent les atteindre.
A partir de ce moment, les infidèles devinrent plus hardis contre le Prophète ; ils L'insultaient et Le frappaient quand Il paraissait dans la mosquée. Un jour, pendant que le Prophète accomplissait la prière, O'‘kba, fils d'Abou-Mo'aiït, Lui jeta au cou une corde, Le traîna hors de la Mosquée et Lui serra la gorge de sorte qu'Il faillit mourir.
Abou-Bakr arriva et Le dégagea d'entre les mains des infidèles. Un autre jour, le Prophète se trouvant sur le mont Çafâ, Abou-Djahl, fils de Hischâm, s'approcha de Lui, L'accabla d'injures, lança contre Lui une pierre et Lui fit une blessure à la tête. Le sang coula sur la figure du Prophète ; mais Il ne dit rien, se leva et retourna dans sa maison. Une vieille femme, affranchie de ‘Abdallah, fils de Djods'ân, qui demeurait sur cette colline, fut témoin de ce fait ; elle fut saisie de pitié et se mit à pleurer et à sangloter. ‘Hamza, fils d'Abou-Mottalib, oncle de Mohammed, qui n'était pas encore croyant, était le plus fort et le plus brave de tous les Béni-Hâschim.
Les Mecquois l'estimaient et le respectaient. Il aimait beaucoup la chasse, et comme il savait tirer de l'arc, c'est avec cette arme qu'il allait habituellement chasser.
Or, ce jour, revenant de la chasse et passant par le mont Çafâ, il entendit les sanglots de la vieille femme ; il s'arrêta et lui demanda ce qui lui était arrivé. Elle lui répondit : O'Hamza, il ne m'est rien arrivé, à moi ; c'est à cause de ton neveu Mohammed, fils de ‘Abdallah, que je pleure. Abou-Djahl L'a frappé et Lui a fait une grave blessure à la tête.
‘Hamza entra dans une grande colère. Il se rendit dans la mosquée pour faire des tournées autour de la Kaâba. Il rencontra dans la mosquée Abou-Djahl en conversation avec plusieurs personnes. Il s'approcha de lui, l'injuria et le frappa avec la poignée de son arc sur la tête, au point de faire jaillir le sang. Les Benî-Makhzoum s'élancèrent pour frapper ‘Hamza. Abou-Djahl leur dit : Ne le faites pas, car si vous lui faites quelque mal aujourd'hui, le dépit lui fera embrasser la religion de Mohammed : le parti des Qoraïschites en serait affaibli, et celui de Mohammed fortifié.
‘Hamza, ayant accompli les tournées autour du temple, alla voir Mohammed. En voyant le Prophète blessé à la tête, il pleura et dit : Ô mon cher et excellent Mohammed, voilà ce qui t'est arrivé aujourd'hui sans que j'eusse connaissance ! Le Prophète répliqua : Mon oncle, ne t'occupe pas d'un homme qui n'a ni père, ni mère, ni oncle, ni autres parents. ‘Hamza dit : Ô Mohammed, je t'ai procuré satisfaction d'Abou Djahl, en lui brisant la tête avec mon arc. - cela n'est pas une satisfaction pour moi, dit Mohammed. ‘Hamza dit : Qu'y a-t-il qui puisse te satisfaire pour que je l'accomplisse ? Mohammed répliqua : Que tu dises : Il n'y a pas de Dieu en dehors d'Allah, et Mohammed est l'apôtre d'Allah, et que tu embrasses ma religion. ‘Hamza dit : C'est précisément dans cette intention que je suis venu.
Le Prophète fut rempli de joie, se leva, embrassa Hamza sur la tête et lui dit ; Ô mon oncle, tu me rends heureux. ‘Hamza prononça la profession de foi. Lorsque les Qoraïschites en eurent connaissance, ils furent découragés.
Il n' y avait pas un seul des oncles et des cousins du Prophète, des membres de la famille de Hâschim et d'‘Abd Al-Mottalib, même de ceux qui n'étaient pas croyants, qui ne fût prêt à le soutenir, sauf Abou-Lahab, dont le vrai nom était ‘Abdou'l'-Ozza, fils d'‘Abd Al-Mottalib.
De tous les adhérents du Prophète, le plus faible était ‘Abdallah, fils de Mas'oud. C'est lui qui mettait par écrit toutes les parties du Coran qui étaient révélées au Prophète et qui les apprenait par cœur. Un jour, le Prophète dit : Qui d'entre vous veut se sacrifier à Dieu, en se rendant à la mosquée pour réciter à haute voix un chapitre du Coran ? -C'est moi qui m'y rendrai, dit ‘Abdallah, fils de Mas'oud. Mais comme il n'était pas un personnage marquant, n'ayant pas une nombreuse parenté, le Prophète dit : Il faut quelqu'un qui ait une nombreuse parenté pour être soutenu s'il lui arrivait un accident. ‘Abdallah dit : Dieu me protégera.
‘Abdallah se rendit à la mosquée et à un moment où un grand nombre de personnes y étaient réunies, il se plaça près du Maqaâm-Ibrahim, en face de la Kaâba et commença à réciter la sourate Er-Ra‘hmân. Qu'est-ce qu'il récite ? Dirent les Qoraïschites entre eux. - C'est quelque chose des paroles de Mohammed. Ils s'élancèrent sur lui, l'entourèrent et le frappèrent à coups de pierres, pendant qu'il continuait à réciter la sourate jusqu'à la fin. Couvert de sang, il retourna auprès de Mohammed, qui lui dit : Voilà ce que Je redoutais. ‘Abdallah dit : Ô apôtre de Dieu, ce n'est rien pour moi ; si Tu veux, demain j'irai de nouveau pour réciter une autre sourate. Les compagnons du Prophète vivaient ainsi dans l'affliction. Cependant, tous ceux qui s'étaient rendus en Abyssinie jouissaient de la sécurité. Les Qoraïschites, en étant informés, résolurent d'envoyer une ambassade en Abyssinie pour demander au Nedjâschi de leur livrer ces gens pour les mettre à mort. Ils firent donc partir deux messagers, ‘Amrou, fils d'Al-‘as, ‘Abdallah, fils de Rabî'a, de la tribu de Makhzoum, avec des présents considérables pour le Nedjâschi, pour ses familiers et ses officiers.
Ces deux envoyés étaient des hommes très habiles à manier la parole. Ils vinrent à la cour de Nedjâschi, lui présentèrent les cadeaux, et lui demandèrent l'extradition des croyants qui se trouvaient dans son pays pour les ramener à La Mecque. Le roi ne fit pas droit à leur demande et refusa d'accepter les présents. Les envoyés, voyant leur insuccès, s'en retournèrent.
Il y avait de nombreuses discussions entre le Nedjâschi et les musulmans au sujet de l'islam et du christianisme, discussions courtoises et amicales, qui sont rapportées dans le livre des Expéditions et que Mohammed ben-Djarîr a passées sous silence. Le roi, en refusant les présents, avait dit : Je n'ai que faire de vos présents ; vous accusez l'imposture le Prophète de Dieu et vous ne voulez pas croire en Lui.
De même que le Nedjâschi ,tous ses officiers avaient rendu les cadeaux que leur avaient remis ‘Amrou et ‘Abdallah qui s'en allèrent confondus et désappointés. Le Nedjâschi était intérieurement croyant. Or, il vouait faire connaître publiquement sa foi et à cet effet, il convoqua le peuple abyssin, les grands, les officiers et les troupes et il leur parla ainsi: Je pense que ce Mohammed est le personnage dont il est parlé dans l'Evangile. Ne pourrions-nous pas croire en Lui et Le faire venir dans notre pays avant que sa religion ait conquis le monde entier ? Les Abyssins protestèrent en disant : Nous ne consentons pas ; nous ne voulons pas abandonner la religion chrétienne ; celui qui le fera sera répudié et abandonné par nous.
Le Nedjâschi, craignant de perdre la couronne, dit : Je n'ai fait que vous éprouver, pour voir ce que vous en diriez.
Le peuple fut rassuré. Le Nedjâschi continuait de bien traiter les musulmans et professait lui-même en secret l'islam.
Il en fit part, par un messager, au Prophète, qui agréa sa conversion et l'autorisa à pratiquer sa religion en secret.
Plus tard, lorsque le Prophète était à Médine, cinq ans après la fuite, le Nedjâschi mourut en Abyssinie.
Gabriel en informa le Prophète, en écartant de devant ses yeux tout ce qui faisait obstacle pour Lui permettre de voir de Médine jusqu'en Abyssinie et Il Lui ordonna de prier pour le Nedjâschi. Le Prophète et ses mais firent ainsi. Mohammed vit le corps de Nedjâshi couché sur le lit.
Les incrédules, fatigués de la prédication du Prophète, L'appelèrent à la mosquée et Lui parlèrent ainsi : Nous allons Te faire une proposition équitable. Si Tu veux que nous adorions ton Dieu, adore aussi nos divinités : de cette façon Tu seras de notre religion comme nous serons de la tienne ; si notre culte est le vrai, Tu en auras l'avantage et si c'est le tien qui est le vrai, nous aurons l'avantage de celui-ci. Alors Dieu révéla les versets suivants : "Dis : M'ordonnez-vous d'adorer un autre dieu, ô ignorants !”, etc. (Sur. Vers. 64) ; et cet autre verset : "Ô infidèles, Je n'adorerai point ce que vous adorez”, etc. (Sur. CIX, vers. 1 suiv.), c'est-à-dire gardez votre religion et moi Je garderai la mienne. Les infidèles reconnurent qu'Il n'accéderait pas à leur religion. Ensuite, Dieu révéla le verset suivant : "Peu s'en est fallu qu'ils ne t'aoent détourné de ce que nous t'avons révélé”, etc. (Sur. XVII. Ver. 75).