L'humain au centre de l'action future

«Combattre le pluralisme, c'est le point commun de tous les obscurantismes»

L'auteur du livre dit ne pas chercher à définir l'obscurantisme, mais à le penser philosophiquement. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il explique sa vision
>et sa démarche.

30 Mars 2009 À 16:14

LE MATIN : Aujourd'hui on parle d'intégrisme, de pensée unique, de racisme pour désigner certaines dérives intellectuelles. Vous, vous préférez vous en remettre à un vieux concept, l'obscurantisme, forgé au 19e siècle pour désigner la même chose. L'obscurantisme vous parait-il plus pertinent que le reste ?

Jean Zaganiaris :
J'ai voulu travailler sur l'obscurantisme car c'est un terme que l'on retrouve dans de nombreux discours médiatiques, politiques ou intellectuels, sans que ceux qui l'utilisent prennent souvent la peine de l'expliciter.
Bien souvent, le terme «obscurantisme» est utilisé pour disqualifier des pratiques ou des modes de pensée que l'on trouve être contraires à son entendement. Or, cela est faire preuve d'un certain nombrilisme que de juger comme étant obscurantiste ce qui est différent de nous. Voilà pourquoi il m'a paru utile d'entamer une réflexion sur l'obscurantisme, qui n'est pas un terme si vieux que cela. Des mots tels que «fanatisme » sont plus anciens…

L'Obscurantisme dans son acceptation conventionnelle c'est le refus de la diffusion du savoir et de la connaissance dans la population en vue de la maintenir sous le contrôle du pouvoir politique ou religieux. Vous, vous proposez une autre définition : l'obscurantisme pour vous ne doit pas être opposé aux Lumières, mais au pluralisme. Comment ça ?

En fait, je ne cherche pas une définition au terme obscurantisme mais juste à le penser philosophiquement. L'opposition scolaire entre « Obscurantisme » et « Lumières » peut être problématisée. N'y a-t-il pas un obscurantisme des Lumières ? Celles-ci n'étaient-elles pas des modes de connaissances utilisés par les colonisateurs ? Si l'on part de l'idée que les différentes formes d'obscurantisme existant aujourd'hui (obscurantismes religieux, obscurantismes de la raison d'Etat, obscurantismes machistes, obscurantismes capitalistes…) ont pour point commun de s'attaquer à la diversité sociale et de vouloir imposer des modèles uniques de vivre et de penser, la notion de « pluralisme » devient dès lors – plus que les « Lumières », la raison, le savoir – un garde-fou important à prendre en compte. Elle implique le refus de la pensée unique, de l'intégrisme, du racisme. Elle plaide pour la reconnaissance de l'hétérogénéité effective de la vie, pour le débat d'idées.
Elle remet en cause les dogmes imposés arbitrairement, favorise la liberté, notamment la liberté de choix (qui ne se réduit pas, loin de là, à un simple dévergondage). J'ai été surpris de lire dans la presse qu'une vague de répression est en train de s'abattre contre la liberté des mœurs au nom de la préservation des valeurs religieuses et morales du royaume. Ce n'est pas en réprimant l'homosexualité ou les pratiques sexuelles hors mariage, par exemple, que l'on va imposer la vertu propre au religieux. Le Maroc est avant tout un pays composite…

Vous affirmez qu'on «est toujours l'obscurantiste de quelqu'un «(...) «c'est l'autre qui nous définit comme obscurantiste». Ce qui peut vouloir dire que l'obscurantisme est en fait une notion relative, une appréciation subjective sinon une simple vision de l'esprit, qui n'a pas de consistance objective. L'intégrisme religieux qui refuse la raison n'est-il donc pas obscurantisme ?

Tout d'abord, le pluralisme dont je parle n'est pas relativiste. Comme celui de Isaiah Berlin ou Abdelkebir Khatibi, c'est un pluralisme humaniste, attaché au respect de la vie – quelle qu'elle soit - dans le domaine du temporel. Ma vision du pluralisme part de l'idée qu'avant d'être des Marocains, des Français, des Grecs, des musulmans, des chrétiens, des juifs, nous sommes des êtres humains, partageant un monde commun. Cela implique que des biens précieux tels que le respect de la dignité physique, la liberté de choix de ses convictions intimes, notamment dans le domaine des croyances et de la sexualité, concernent l'humanité entière et non pas quelques catégories de personnes. On est dans l'obscurantisme quand on dit « voilà, c'est comme ça, tu dois faire cela parce que tu es une femme, parce que tu es un arabe, parce que tu es un jeune ». Ensuite, venons-en à l'autre partie de votre question. Je dis dans mon livre que je ne vais pas traiter l'autre d'obscurantiste. J'ouvre, par exemple, avec Nadia Yassine (qui n'est pas une intégriste), un débat critique car je ne partage pas ses idées. Je ne vais pas la traiter d'obscurantiste parce qu'elle verse dans le fondamentalisme. Je vais juste dire que je ne suis pas d'accord avec elle et opposer un argument. Il en est de même de l'intégrisme. Mon problème n'est pas de savoir si l'intégrisme est ou non un obscurantisme. Il s'agirait plutôt de penser la violence irrationnelle de l'intégrisme et les formes qu'il peut revêtir. Il peut y avoir un intégrisme religieux mais il y a aussi un intégrisme de la raison d'Etat, un intégrisme sexiste, un intégrisme intellectuel, voire un intégrisme pédagogique...
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Mini-Bio

Jean Zaganiaris est enseignant et coordinateur pédagogique dans une institut privé de communication et de publicité à Casablanca. Docteur en science politique, rattaché au CURAPP et associé au Centre Jacques Berque, ses recherches en sciences humaines sont consacrées à l'étude des obscurantismes d'hier et d'aujourd'hui.
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