L'humain au centre de l'action future

Tous à l'abîme

Si le qualificatif de soixante-huitard a encore un sens aujourd'hui, il siérait bien à Régis Debray.

23 Janvier 2009 À 15:50

Un Soixante-huitard aujourd'hui ? L'esprit de contestation, un tantinet excessive, un humanisme débordant moins la chapelle idéologique qui fit à la fois le charme et la puérilité de 68. Voilà en gros le Régis Debray de ce nouveau livre dont le titre évoque l'esprit d'un autre contestataire inspirateur précoce de tous les 68.
Il s'agit de Voltaire bien sûr et de son Candide. Ça donne ceci chez Debray : « Un candide en Terre sainte ». On connaît le Candide de Voltaire et sa fameuse formule salvatrice, sa philosophie en quelque sorte : «tout est pour le mieux dans les meilleurs des mondes». La Terre sainte, on le devine, c'est le Proche-Orient, berceau de toutes les révélations, aujourd'hui un espace d'un «maximum de haine dans un minimum de territoire». Et voilà notre philosophe, qui n'en pouvait plus des cogitations abstraites entre quatre murs, tenté d'aller philosopher ailleurs là où l'événement se déroule, se fait industrie, un lieu idéal pour contempler à loisir « comment les hommes vivent ce qu'ils croient et quel changement apporte le monde aux idées qui ont changé le monde ».

Un périple en terre sainte donc. Mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie. Et si on faisait ça en suivant l'itinéraire emprunté par Jesus selon les Evangiles, il y a deux mille ans? L'idée n'est pas mauvaise quand on sait que l'auteur a lui même eu l'occasion de porter la croix en goûtant aux affres de la torture et de la réclusion en Bolivie à la suite de son compagnonnage de Che Guevara dans les maquis en Bolivie à la fin des années 60. C'est donc en humaniste rompu à la condition humaine, mais désabusé, qu'il entreprend ses pérégrinations, loin de l'actualité politique factuelle telle qu'elle est colportée au jour le jour, par les images de la télévision, loin des déclarations politiques tonitruantes et pure langue de bois, mais dans les profondeurs des âmes que seuls peuvent rendre le geste et la parole banals, les réflexes autour des lieux de crispation identitaire, le petit fait divers du jour. Toutes choses qui ont peu de chance d'attirer les feux de la rampe, et qui pourtant, sous-tendent tout le reste.

Il faut le faire. Si au temps de Jésus, il était possible de se frayer un chemin sans nulle autre entrave que celle de la distance, aujourd'hui, il est absolument impossible de passer d'une région à l'autre, voire d'une ville à l'autre, et encore moins d'un pays à l'autre, sans passer par les chemins tortueux et aléatoires de la diplomatie. Frontières fermées, checkpoints, barrages, murs de séparation, c'est le quotidien de ce petit territoire où, aux barricades des murs et du fil barbelé s'ajoutent d'autres barrages encore plus infranchissables, celles des identités, des croyances, et des préjugés. A Al-Qods, « le salon mondial des monothéismes », les habitants de différentes confessions se côtoient sans se voir ni s'écouter, «cet idéal de confort, cette universelle promesse de bien-être atteint ici son plein accomplissement. Le grand Jérusalem n'a que sept cent mille habitants.
Et l'intra muros, l'Old city, regroupe trente-quatre mille âmes sur un kilomètre carré, en quatre étroits quartiers à la fois singularisés et collés les uns aux autres (juif, chrétien, musulman, arménien). La volonté de ne pas savoir y prend un relief d'à-pic, quoique personne n'en ait cure, chaque monde se prenant pour le monde. »

Plusieurs mondes en effet en un, et bien à l'étroit : «en un instant, on quitte un monde à l'étroit, populeux, sale, odoriférant, (…..) pour un autre, spacieux, hygiénique, coquet aseptisé ». La cause, la forte densité démographique dans les quartiers musulmans et la défaillance des services municipaux. «La banalité du mal » est, semble-t-il, la règle. Tel-Aviv ? «l'Amérique en Méditerranée», «Miami chez les Bédouins », «villa dans la jungle », « une devanture Hermès à l'entrée d'un bidonville ». Très critique à l'égard de la politique de l'Etat hébreux, il n'en est pas plus tendre avec les Palestiniens du Hamas et les islamistes tout poils confondus : «Comment a-t-on pu glisser du sermon des Béatitudes aux moines Kalachnikov libanais ; de l'hospitalier Abraham au colon tirant sur un voisin arabe venu cueillir des olives dans son propre champs; de "Mahomet", guerrier se battant contre les guerriers, au human bombs tuant femmes et enfants ?»
Et puis cette réflexion qui n'a rien de candide.

Ou alors, si, que Voltaire aurait bien pu mettre, à sa manière, dans la bouche d'un Panglos : «La myopie est bonne pour le tonus. Vivre dans le provisoire permet aux vaillants de Tel-Aviv de marcher gaiement vers la catastrophe, forts d'une panoplie militaire sans égale, et aux valeureux de Naplouse, de se battre à mort pour l'avènement d'un Etat qui n'a déjà plus de terre sous les pieds. » N'est-ce pas là le prix de la haine, une haine aveugle et aveuglant : tous à l'abîme.
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Sur les pas de Jésus

«D'après les Évangiles, et dans sa courte vie tant cachée que publique, le Galiléen s'est rendu, sans visa ni carte d'identité, en Israël, Palestine, Jordanie, à Gaza, au Liban, en Égypte et en Syrie.
Je me suis faufilé dans tous ces pays : il y faut plus qu'un passeport et des détours. Jésus pouvait traverser la mer de Génésareth, aller «au-delà du Jourdain», et revenir le lendemain sur l'autre rive. Ce n'est plus possible. Aussi ce voyage d'un flâneur des deux rives n'a-t-il pu s'effectuer d'un seul trait. C'est un pari que de refaire l'itinéraire de Jésus à travers le Proche-Orient d'aujourd'hui, pour observer comment juifs, chrétiens et musulmans vivent à présent leur foi. Les surprenantes et souvent rebutantes vérités qui se dévoilent en Terre sainte ont valeur d'avertissement. Plus qu'un voyage au bout de la haine, ce carnet de route peut servir à la connaissance du monde profane tel qu'il va. Tout à la fois témoignage, chronique et méditation, l'enquête peut dès lors se lire comme un pèlerinage au cœur de l'homme, qu'il soit croyant ou agnostique, d'ici ou de
là-bas. »
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