Le Réseau éducation sans frontières animé par L. Daumas est composé de plusieurs collectifs et a été créé pour lutter contre l'expulsion de jeunes scolarisés en France en raison de la situation irrégulière de leurs parents.
Lucile daumas
LE MATIN
13 Janvier 2009
À 16:24
Engagée sur ces questions comme sur celles de pauvreté et d'exclusion, L. Daumas a introduit la journée d'étude «Maroc-Europe : quelle politique de voisinage ?», organisée à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat
LE MATIN : Une journée d'étude «Maroc-Europe : quelle politique de voisinage ?» a été organisé récemment à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat. Quels étaient les objectifs de cette rencontre ?
LUCILE DAUMAS :La journée a été organisée pour faire l'évaluation des accords d'association qui lient le Maroc à l'Union européenne et analyser leurs implications. Depuis le 13 octobre dernier, le Maroc jouit en effet d'un « statut avancé » dans le cadre de ses relations avec l'Union européenne. On ne peut évidemment que se réjouir de voir les relations entre les deux entités se resserrer si cela se fait dans le cadre d'un rapprochement entre les peuples de la région. Il faut cependant rappeler certaines réalités : l'accord d'association entre le Maroc et l'Europe entre, depuis 1995, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, consacré lors du sommet de Barcelone. Ce partenariat s'est transformé au fil des ans en Politique européenne de voisinage englobant dans une même stratégie les pays de la frontière orientale de l'Europe, puis, depuis le mois de juillet dernier dans l'Union pour la Méditerranée. Ces appellations à géographie variable ne sont pas qu'un simple « relookage » d'un processus qui, il faut bien le dire, n'a pas répondu aux objectifs affichés de promotion de la paix et de la prospérité dans tout le bassin méditerranéen. Elles traduisent effectivement les difficultés à trouver un cadre commun de coopération de part et d'autre d'une mer qui, malgré les discours, reste davantage une mer de fracture que d'unité. Elles traduisent surtout les perpétuels réajustements que l'Union européenne impose à ses partenaires au gré de l'évolution des intérêts de ses classes dominantes. Le deuxième point que je voudrais soulever c'est que - derrière l'affichage des mots - l'Union pour la Méditerranée est une union à plusieurs vitesses, dans laquelle aucun des partenaires n'est l'égal de l'autre et qui multiplie les alliances partielles dans un jeu complexe mené par l'UE avec chacun des pays méditerranéens séparément ou par petits groupes (statut avancé, dialogue 5+5, etc.), en fonction de la place de chacun dans la géopolitique régionale ou dans la production énergétique, de matières premières ou de produits agricoles. Il y a un troisième point qui n'est pas un hasard de calendrier : au mois de décembre 2008, l'Union européenne a accordé le statut avancé à Israël. Cette décision, prise en force par les ministères des Affaires étrangères de l'UE, malgré l'avis défavorable des députés européens, marque bien la centralité du soutien indéfectible des Etats européens à l'Etat d'Israël, en dépit du fait que ses actes viennent battre en brèche non seulement les conventions et les droits internationalement reconnus, mais aussi la volonté affichée de l'UE de se poser en champion de la paix dans l'espace méditerranéen. Il faut donc bien se résoudre à constater que la paix que veut l'UE - comme les Etats-Unis d'ailleurs - est celle des vaincus qui verrait la disparition du peuple palestinien en tant que peuple et l'alignement de l'ensemble des Etats arabes sur les positions de l'impérialisme mondial.
Quels sont les thèmes qui ont été abordés au cours de la journée ?
Différents points de l'agenda maroco-européen : l'agriculture, les politiques migratoires, la question des biens et services publics et notamment celle de l'eau, la question des zones franches et du libre-échange. Des questions qui ont été traitées de manière remarquable par les intervenants, qui ont traqué derrière la langue de bois des discours diplomatiques les principaux enjeux sur lesquels nous devons, en tant que citoyens concernés directement par ces questions, nous positionner.
Pour votre part et dans votre intervention, vous avez retracé la genèse du partenariat euro-méditerranéen. Quelles en sont les grandes lignes ?
Le partenariat euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995, entre l'UE et les pays des rives méridionale et orientale de la Méditerranée affichait un triple objectif : la création d'une zone de paix et de stabilité, la création d'une zone de prospérité partagée par le biais de la création d'une zone de libre-échange euro-méditerranéenne et l'instauration d'un dialogue entre les peuples et d'un échange interculturel. Il déborde donc le simple projet de création d'une zone de libre-échange et embrasse les dimensions politique, économique et culturelle. S'inscrivant explicitement dans le cadre de la libéralisation des économies et des échanges, il visait surtout à protéger et élargir les débouchés des marchés européens vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et à y contrer une influence américaine de plus en plus offensive. Concrètement, certains dossiers sont traités à l'échelle régionale (énergie, transport, sécurité et contrôle des migrations, lutte contre le terrorisme, commerce, etc.), cependant que le gros des projets sont traités dans le cadre d'accords d'association dits bilatéraux signés entre l'Union européenne prise en bloc et chacun des Pays Tiers Méditerranéens (PTM) pris séparément.
Dans l'une des étapes, nous sommes passés du partenariat au voisinage. Quelles en sont, selon vous, les raisons ?
L'élargissement de l'Union européenne vers l'Est a considérablement modifié la donne puisque l'un des partenaires, l'UE, a changé de taille, mais aussi de structure productive, sans que les autres aient eu leur mot à dire. Les pays méditerranéens ont donc maintenant des partenaires qu'ils n'ont pas choisis et, depuis 2006, le partenariat euro-méditerranéen a été inclus dans la Politique européenne de voisinage et de partenariat (PEV) qui englobe la majorité des pays qui ont une frontière - terrestre ou maritime - avec la nouvelle Europe, avec une enveloppe budgétaire commune aux voisins de l'Est et de la Méditerranée, ce qui s'est immédiatement traduit par une réduction de l'enveloppe dédiée aux pays méditerranéens. Il était patent depuis le début que ce partenariat était un projet pensé, mis en œuvre par l'Europe, sans que les partenaires ne soient jamais sur pied d'égalité. Et quand bien même ils l'auraient voulu, comment l'auraient-ils pu entre pays et régions aux écarts de développement économique et de niveau social aussi importants ? Le Programme indicatif régional pour le partenariat euro-méditerranéen 2007-2013 a le mérite de la franchise : il se présente comme un programme de «Coopération proposé par l'UE et la CE aux pays constituant son voisinage méridional». Il s'agit en fait, de constituer, autour de l'Union européenne, «un cercle de pays bien gouvernés à l'Est et au Sud avec lesquels l'UE peut entretenir des relations étroites, fondées sur la coopération », qui se concrétisent essentiellement sous trois formes : l'externalisation de la gestion des flux migratoires, la réalisation de l'ensemble des réformes permettant d'assurer un environnement favorable aux affaires et, enfin, la création d'une zone de libre-échange, la levée des taxes douanières sur les produits manufacturés étant déjà bien avancée, alors que les négociations sur l'agriculture et la pêche s'avèrent beaucoup plus ardues.
Quel est votre ressenti sur le projet de l'Union pour la Méditerranée, qui a été mis sous les feux de l'actualité en juillet dernier ?
Il visait essentiellement à recentrer le processus sur les seuls pays riverains de la Méditerranée et de tenter de redonner un certain brio à un processus qui est apparu, en 2005 lors de la célébration de son 10e anniversaire, comme peu convaincant et à bout de souffle. Le refus de l'Allemagne de voir se scinder une Europe septentrionale et une Europe méditerranéenne a pratiquement vidé le projet de ses enjeux. Seul changement relativement important : un nouveau poids politique est donné aux pays du Sud, puisque la présidence devient une coprésidence entre un pays européen et un pays du sud ou de l'est et que les structures politiques sont renforcées. Pour le reste, cette Union va essentiellement gérer les dossiers transversaux : eau, transports, sécurité, migration… Le reste des dossiers continuant à être traités dans le cadre des accords d'association négociés un à un.
La dernière étape de ce processus, c'est le « statut avancé » adopté en octobre dernier. Comment l'analysez-vous ?
Il comporte deux volets principaux : le volet politique et le volet économique. Sur le plan politique, en échange d'une présence accordée en marge des réunions de l'Union européenne, il est demandé au Maroc d'être le « gendarme » de la sécurité européenne en renforçant le contrôle de ses frontières tant au Sud qu'au Nord, de constituer une zone tampon entre l'Europe et l'Afrique contre le passage de migrants non choisis et de renforcer la coopération militaire et policière contre l'instabilité ou la menace terroriste. Il est d'ailleurs frappant de voir qu'alors que le partenariat avec les pays de l'Est européen (Arménie, Azerbaidjan, Géorgie, Moldavie, Ukraine) prévoit une ouverture graduelle des frontières, la seule chose qui est annoncée est un assouplissement des procédures de délivrance des visas pour certaines catégories de personnes, tandis que d'un autre côté, la signature d'accords de réadmission est exigée comme préalable pour mettre sur pied une politique migratoire concertée. La participation du Maroc au programme « Cheval de mer » de lutte contre la migration clandestine en est l'illustration. « Sea Horse Network » est un programme mis sur pied par l‘Union européenne pour surveiller les flux migratoires entre l'Afrique et l'Espagne. Sur le plan économique, le projet d'une intégration progressive du Maroc au marché intérieur européen est annoncé, avec notamment un soutien financier approprié. Toutefois non seulement le calendrier n'est pas établi, mais il n'est prévu aucune rallonge au budget prévu dans le plan stratégique 2007-2013. En clair, pas un sou avant 2014. On est loin des aides financières qui ont été accordées au Portugal, à l'Espagne ou à la Grèce pour permettre leur intégration ! Et les textes aujourd'hui disponibles laissent plutôt penser qu'on en reste dans l'immédiat sur les objectifs de l'accord d'association UE-Maroc tel qu'il a déjà été tracé, à savoir poursuivre les réformes structurelles comme celle de l'administration publique, accélérer et étendre à tous les secteurs la mise en œuvre de l'accord de libre-échange : marchandises, capitaux, mais aussi services et main-d'œuvre temporaire. La seule nouveauté dans tout cela, et elle n'est pas négligeable : la reconnaissance qu'il est nécessaire de prévoir une asymétrie des engagements et une progressivité dans leur mise en œuvre. De toute évidence, l'effort n'a pas été fait de tirer les conséquences de la crise financière, économique et sociale puisque le projet reste dans la droite ligne des politiques libérales fondées sur l'ouverture, la déréglementation, la concurrence, et la privatisation. En outre, plus qu'une intégration du Maroc au marché européen, c'est une ouverture du territoire marocain aux investisseurs et aux entrepreneurs européens qui est prévue, approfondissant le processus déjà enclenché depuis plus d'une décennie avec le plan Emergence et le plan Maroc Vert. Enfin, ce qui est frappant dans tout cela, c'est la continuité du discours sur les bienfaits de ces mesures, encore et toujours appelées à promouvoir la croissance, favoriser l'emploi et la cohésion sociale, réduire la pauvreté, sans qu'aucun bilan n'ait été tiré de 10 années de partenariat pendant lesquelles les indicateurs (balance des paiements, balance commerciale) montrent bien que le libre commerce bénéficie bien plus à l'Europe qu'à ses partenaires du Sud, que l'ouverture n'a pas pour autant fait affluer les IDE, que le Maroc continue à voir les inégalités se creuser.
Le constat que vous faites est pessimiste. Quelles sont les conclusions que vous avez tirées de la journée ?
Que le Partenariat euro-méditerranéen a servi à quelque chose : banaliser la présence d'Israël au sein des pays arabes. Israël est devenu un partenaire politique des Etats méditerranéens. Comment, d'autre part, parler de dialogue et d'échange entre les peuples alors que l'espace Schengen est cadenassé et que la frontière entre l'Europe et l'Afrique est devenue un vaste cimetière marin alors que le Détroit de Gibraltar continue à séparer les deux régions aux écarts de revenus les plus forts du monde. Comment parler de paix et de sécurité alors que nous assistons catastrophés, écœurés, indignés, au massacre des populations palestiniennes de Gaza, à la destruction de tout un peuple, celui de Gaza dans un déni de toute notion minimale de respect des populations civiles ?