Par Joseph S. Nye Jr. Professeur à Harvard. Son dernier ouvrage s'intitule The Powers to Lead.
LE MATIN
12 Août 2009
À 14:23
Actuellement, l'exemple le plus impressionnant de leadership fondé sur la capacité à communiquer est probablement celui de Barack Obama, qui a donné trois fois plus d'interviews que George W. Bush et tenu quatre fois plus de conférences de presse aux heures de grande écoute que Bill Clinton à ce stade de leur présidence. D'aucuns se demandent aujourd'hui si ces paroles sont trop belles pour être vraies. Tous les chefs capables de mobiliser les masses communiquent efficacement. Winston Churchill attribuait souvent son succès à sa maîtrise du verbe anglais. Les Grecs anciens disposaient d'écoles de rhétorique pour affûter leurs compétences devant l'assemblée. Cicéron s'est imposé au Sénat romain après avoir fait des études d'art oratoire. De bonnes compétences rhétoriques contribuent au soft power. Etudiant peu doué, Woodrow Wilson a appris l'art oratoire en autodidacte, qu'il considérait essentiel à l'exercice du pouvoir. Martin Luther King Jr. a baigné dans une tradition religieuse afro-américaine riche des rythmes du phrasé. Clinton pouvait associer expression théâtrale, récit d'anecdotes et capacité globale à véhiculer des idées – qualité qu'il a, d'après son cabinet, développée et améliorée tout au long de sa carrière.
L'art oratoire et la capacité à galvaniser ne sont pas les seules formes de communication avec lesquelles les dirigeants abordent les questions et créent du sens pour leurs partisans. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, était un orateur à peine stimulant, ce qui n'empêchait pas les marchés et les politiciens d'être suspendus à ses lèvres, car il adaptait les nuances de sa langue pour renforcer la direction qu'il voulait donner à la politique monétaire. Malheureusement, comme l'a montré la crise financière de 2008, il aurait mieux valu que les comités du Congrès le poussent à communiquer plus clairement. Les signes non verbaux sont aussi un élément important de la communication humaine. Les symboles et les exemples peuvent s'avérer très efficaces. En effet, il arrive parfois que les mobilisateurs ne soient pas de grands orateurs, à l'instar du Mahatma Gandhi dont la simplicité symbolique de la tenue et du style de vie était plus parlante que les mots.
En comparant ces images à celles du jeune Gandhi peu sûr de lui en tenue d'avocat britannique, on voit à quel point ce dernier a compris la communication symbolique. Il s'assurait que les actions, telle la célèbre marche du sel de 1930 vers la mer, maintiennent un rythme lent propice à renforcer l'intensité dramatique. Cette marche était conçue pour la communication, non pour la raison apparente de résistance à l'interdiction du gouvernement colonial de produire du sel. T.E. Lawrence (« Lawrence d'Arabie ») savait lui aussi comment communiquer par les symboles. A la fin de la Première Guerre mondiale, il se rendit à la conférence de paix de Paris en tenue bédouine pour donner un caractère dramatique à la cause arabe. Un an plus tard, à la conférence du Caire sur les frontières de la région, il portait l'uniforme d'officier britannique pour procéder à des négociations ardues. Exemple plus récent, l'entrepreneur britannique Richard Branson a surmonté la dyslexie et des résultats scolaires médiocres en s'appuyant sur des cascades et événements publics comme moyen de promotion de Virgin. En plus des publics distants, les leaders doivent pouvoir communiquer en tête-à-tête ou avec de petits groupes. Dans certains cas, la communication restreinte prime sur les discours publics.
Les compétences organisationnelles, c'est-à-dire la capacité d'attirer et d'inspirer un noyau utile de partisans, peuvent compenser les défaillances rhétoriques – tout comme la qualité des discours publics peut pallier en partie de faibles compétences organisationnelles. Hitler avait cette capacité à communiquer avec un public distant mais également proche. Staline s'appuyait essentiellement sur ce second type de public. Orateur modeste, Harry Truman compensait en attirant et en gérant habilement un groupe de brillants conseillers. Un bon récit est une source formidable de soft power. La première règle qu'apprennent les auteurs de fiction sur la qualité du récit est qu'il faut "montrer et non dire". Pour expliquer son programme complexe de prêt-bail au peuple américain avant la Seconde Guerre mondiale, Franklin Roosevelt prenait l'image du tuyau d'arrosage que l'on prête au voisin dont la maison est en feu. Ronald Reagan maîtrisait quant à lui l'art de l'anecdote bien choisie. Montrer le bon exemple est une autre forme essentielle de communication pour les leaders. Afin d'anticiper les réactions sceptiques des Singapouriens à la décision du gouvernement d'élever les salaires des fonctionnaires en 2007, le Premier ministre Lee Hsien Loong a annoncé qu'il renoncerait lui-même à cette augmentation.
A la suite de la récente crise financière, des dirigeants d'entreprises ont volontairement réduit leur salaire pour marquer leur préoccupation à l'égard de leurs employés et de l'opinion publique.Durant la campagne présidentielle de 2008, Obama a montré qu'il communiquait avec talent. Le style de son discours était efficace. Même après que les commentaires incendiaires de son pasteur ont menacé de torpiller sa campagne, il a produit l'un des meilleurs discours sur les relations interraciales aux Etats-Unis depuis Martin Luther King. En tant que président, Obama continue à communiquer avec efficacité. Les présidents américains sont pourtant confrontés au problème de la dualité du public : les discours qui passent bien à domicile, telle la deuxième allocution d'investiture de Bush, peuvent sembler hypocrites aux oreilles étrangères. Au contraire, le discours d'investiture d'Obama a reçu un bon accueil aux États-Unis tout autant qu'à l'étranger.
Selon les sondages, Obama aurait restauré une partie du soft power américain grâce à une série de discours sur la politique étrangère, notamment celui prononcé au Caire et adressé au monde musulman. Si jusqu'ici tout va bien, l'efficacité des dirigeants passe néanmoins par les actions et les politiques. À ce stade, il est trop tôt pour savoir si les politiques renforceront ou saperont les effets des paroles d'Obama. Alors que nous attendons des résultats, souvenons-nous de la complexité des relations entre leadership et communication efficaces.