Fête du Trône 2006

La montée du Consensus de Pékin

Jonathan Holslag Directeur de recherche au sein de l'Institut d'études de la Chine contemporaine de Bruxelles (BICCS).

19 Avril 2009 À 11:42

Le premier déplacement officiel du président Barack Obama hors de l'Amérique du Nord (à Londres, à Strasbourg, à Prague et à Istanbul) a retenu l'attention de la planète. Mais il n'a pas permis de masquer un fait étonnant : le "Consensus de Washington" sur l'organisation de l'économie mondiale appartient au passé. La question est maintenant de savoir ce qui va le remplacer. Même si l'on dit souvent que le rayonnement de la Chine est limité, ses idées en matière d'économie et de gouvernance font de plus en plus souvent mouche. Recherchant la stabilité économique intérieure, le gouvernement d'Obama évolue vers le type d'intervention qui a la faveur de la Chine depuis 20 ans. Dans ce modèle, le gouvernement, tout en continuant à tirer bénéfice des marchés internationaux, garde le contrôle de l'économie par une surveillance stricte du secteur financier, une politique de dépense restrictive, le pilotage de la recherche et du développement dans le secteur de l'énergie et une limitation sélective de l'importation des biens et services. Tous ces éléments du plan de sauvetage chinois se retrouvent dans le plan de stimulation économique d'Obama.

La Chine est manifestement satisfaite de voir maintenant les Etats-Unis donner la priorité à de froids calculs d'intérêts nationaux en politique étrangère. "En améliorant la vie des gens sur le terrain, on doit se préoccuper davantage de la substance que de la forme", a déclaré Obama dans une interview peu avant le début de son mandat. Plutôt que d'être obsédé par les élections chez les autres, les Etats-Unis cherchent maintenant à construire des alliances pragmatiques pour répondre à leurs besoins en terme d'économie. Cela passe par des arrangements avec la Chine et les Etats autocratiques du Golfe – les principaux prêteurs du Trésor américain – et une collaboration avec l'Iran et la Russie, afin de limiter le coût des guerres en Afghanistan et en Irak. Revenant sur leurs normes libérales, les Etats-Unis flirtent avec ce que l'on pourrait appeler le "Consensus de Pékin" qui fait du développement économique un objectif essentiel et prescrit à l'Etat de poursuivre activement la croissance dans un sens qui favorise la stabilité nationale. Dans cette stratégie, ce n'est pas la nature du système politique d'un pays qui importe, mais l'amélioration du bien-être de la population. Au niveau diplomatique, cela suppose que la coopération repose sur les intérêts nationaux et non sur des normes universelles.

Ce réalisme constitue bien plus qu'un renversement de la politique néo-conservatrice agressive de Georges Bush. C'est la tentative d'un pouvoir sur le déclin d'économiser ses moyens limités. Il n'y a rien honteux pour un gouvernement à se montrer mercantile en temps de crise. Mais en se comportant ainsi, les Etats-Unis perdent leur position de champion de l'économie de marché. Le nouveau pragmatisme américain est également la conséquence d'un renversement de tendance. Durant deux décennies, les Etats-Unis et leurs alliés européens ont cru pouvoir inoculer au reste du monde leurs principes politiques et économiques. Des pays comme la Chine se sont trouvés pris dans tout un réseau d'organisations multilatérales et soumis à des stratégies d'engagement conditionnel. Aujourd'hui, l'Occident n'a plus les moyens de faire respecter ces conditions. Par ailleurs, dans le cadre de leur stratégie de croissance, la majorité des pays en développement rejoignent volontiers des institutions multilatérales. Alors que nous basculons d'un ordre international unipolaire vers un ordre multipolaire incluant de multiples puissances régionales, le réalisme devrait permettre à ces dernières de rivaliser en influence à moindre frais.

Il va en résulter un nouveau regroupement de puissances, unies dans la poursuite de leur propre croissance économique et la volonté d'empêcher autrui de générer une instabilité susceptible de provoquer une intervention. Au lieu de confier à l'Amérique la tâche difficile de maintenir la stabilité internationale, les pays qui forment la "BRIC" (Brésil, Russie, Inde et Chine) tiendront un rôle plus important pour maintenir l'ordre dans leur arrière-cour. La Russie doit s'occuper du Caucase et si les généraux de Birmanie perdent la tête, ce sera à la Chine et à l'Inde de régler le problème. Le virage politique de l'Amérique érodera inévitablement l'axe que constituait le libéralisme économique de l'Occident. L'Amérique dispose d'assez de souplesse, de ressources et de leadership pour adopter de nouvelles règles diplomatiques, mais l'Europe en est tout simplement incapable. Son importance stratégique, même dans le partenariat transatlantique, est appelée à diminuer. A court terme, le réalisme donnera aux USA une marge de manœuvre supplémentaire, mais ils devront sacrifier pour cela une partie de leur capacité d'influence.

Qu'ils puissent la restaurer dans le futur dépendra non pas tant de leur rayonnement, que de leur réussite ou pas à relancer leur économie et à forger de nouvelles alliances. La même chose s'appliquera aux autres puissances.
Pourtant, la montée en puissance du Consensus de Pékin n'est pas une garantie de stabilité. Un regroupement de puissances n'a jamais que la force de son maillon le plus faible et nécessite autodiscipline et sens de la mesure. Il reste à voir comment l'opinion publique américaine réagira à ce revirement de la politique de leur pays. Si un acteur important retombe dans la crise économique, le nationalisme réduira le champ disponible pour des accords pragmatiques. Le chevauchement des zones d'influence et les conflits latents pourraient à nouveau entraîner une déflagration. Et si la Chine sort en grand vainqueur de la crise et continue à affirmer sa puissance, une coopération bénéfique à tous pourrait bientôt céder la place à un ordre dans lequel il y a des perdants.
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