Amir Telibečirović Rédacteur en chef du magazine en ligne Bosnia Daily de Sarajevo et reporter, à temps partiel, pour l'hebdomadaire slovène Mladina. >
LE MATIN
18 Février 2009
À 11:26
"En Bosnie, aucun "Occidental” n'est capable d'effacer les apports islamiques, aucun "Oriental” ne peut imposer sa marque sur notre mode de vie.” Cette affirmation, entendue en passant dans un café de Sarajevo, fait comprendre ce qu'il y a de singulier dans l'identité de la Bosnie-Herzégovine. En dépit du conflit qui a eu lieu dans la dernière décennie, elle reste un cas unique-un pays qui tient la voie médiane d'une coexistence entre personnes de religions et ethnies différentes. C'est au 15e et 16e siècles que l'islam fut introduit en Bosnie. Les musulmans de Bosnie-en termes ethniques les Bosniaques -ont pendant longtemps cohabité avec l'ethnie serbe, en grande partie orthodoxe, avec les Croates, qui sont dans une large mesure catholiques, et avec d'autres minorités ethniques et religieuses, tels les juifs sépharades, les Albanais, les Roms et d'autres. Les anciens de Bosnie-Herzégovine ne manqueront pas de vous rappeler qu'il fut un temps où le chef communiste yougoslave Josip Broz Tito donnait à la Yougoslavie la Bosnie-Herzégovine en exemple de coexistence sans conflit.
Bien qu'il y ait eu des manifestations d'intolérance et des conflits entre des membres des divers groupes religieux et ethniques, ces tensions n'ont jamais dressé les populations les unes contre les autres. La plupart des conflits dans l'histoire de la Bosnie ont été importés et orchestrés depuis Ankara, Berlin, Belgrade et Zagreb-qu'il s'agisse d'occupation de territoires ou d'exploitation des ressources naturelles. La guerre de Bosnie (de 1992 à 1995), exception capitale dans l'histoire récente, fut le résultat de la dislocation de la Yougoslavie, avec son cortège de misères et de destructions. La paix a été finalement rétablie par les forces de l'OTAN. Mais après les accords de Dayton, en 1995, qui ont mis fin à une guerre de trois ans, les réfugiés ont retrouvé, en réintégrant leurs foyers, leurs villes divisées, parfois physiquement, selon des critères ethniques. Et il y eut, ici ou là, des lois limitant la liberté de mouvements qui ont exacerbé ces tensions et fait obstacle aux efforts de réconciliation.
La conséquence fut que des parties de la Bosnie-Herzégovine demeurent, de nos jours encore, divisées-politiquement, religieusement, ethniquement. Cependant, la reprise de la voie médiane de la coexistence est, depuis la guerre, le but des Bosniaques ordinaires qui travaillent dans leurs villes avec des ONG. La reconstruction a été, pour différents groupes, le moyen d'œuvrer ensemble pour le bien commun. Des ONG comme le Forum International Bosnia, qui accueille, à Sarajevo, le Centre de dialogue interreligieux et favorise le dialogue entre les différents groupes religieux, et l'Organisation mennonite internationale qui soutient la reconstruction des foyers et des programmes de jeunesse, travaillent dur pour atténuer les tensions subsistant dans cette société d'après-guerre. Mais le plus remarquable ce sont ces localités où la coexistence entre les gens ordinaires de différentes religions et ethnies n'a jamais cessé, pas même pendant la guerre. Ces communautés ont quelque chose à apprendre au reste du pays-ces gens qui, adeptes de la voie médiane, ont refusé de s'aligner sur les auteurs d'actes de violence dictés par des motifs ethniques ou religieux et dirigés contre leurs voisins dans les moments de trouble.
Dans des villes comme Sarajevo, Mostar et Tuzla, connues pour avoir les plus importantes populations interethniques des Balkans, des voisins, ignorant les appartenances ethniques ou religieuses, se rassemblaient pour se protéger les uns les autres et pour préserver leurs villes de la destruction. En réalité, l'artillerie lourde qui leur pleuvait sur la tête a créé de la solidarité, au lieu de les séparer. Historiquement, dans ces villes, les relations de voisinage ne séparaient pas un groupe de l'autre. Depuis des générations il s'y est produit un mélange interethnique et interreligieux, et c'était là la norme, au contraire d'autres localités, où tel ou tel groupe ethnique ou religieux rassemblait la majorité de la population. Cette façon de se rassembler pendant la guerre montrait que toutes les communautés ne se tenaient pas à l'écart les unes des autres selon des critères ethniques ou religieux, même en temps de guerre. De fait, c'est par réaction aux tentatives agressives pour les diviser que des gens de différents horizons se rassemblaient.
Malgré les violents bouleversements des années 90, et les années troublées qui ont suivi, la coexistence des diverses populations de Bosnie-Herzégovine a tenu. La résistance des gens de la région, en particulier de ceux qui sont toujours au travail pour faire de groupes séparés des communautés unies, doit servir d'exemple, non seulement dans les Balkans, mais aussi aux pays déchirés par des conflits partout dans le monde.