Fête du Trône 2006

Une histoire américano-musulmane

Wajahat Ali
>Avocat et dramaturge. Son œuvre "The Domestic Crusaders" a été la première grande pièce de théâtre ayant pour personnages des Américains musulmans vivant aux Etats-Unis de l'après 11 septembre 2001.

30 Août 2009 À 14:30

Le nom arabe « Zeitoun » n'évoque pas forcément tout de suite l'image du héros américain par excellence. Pourtant, dans le nouvel ouvrage du célèbre écrivain et éditeur Dave Eggers, dont l'histoire est véridique, le personnage principal, Abdulrahman Zeitoun, Américain musulman d'origine syrienne, incarne avec fierté les vertus chères à l'Amérique. A l'approche de l'ouragan Katrina, en août 2005, ce bon samaritain, courageux et généreux renonce à quitter sa ville natale de la Nouvelle-Orléans pour secourir ses voisins. Malgré son comportement héroïque, les autorités le soupçonnent à tort de cambriolage, lorsqu'ils le trouvent, avec des amis, sur une propriété de location dont il est en fait le propriétaire. La Federal emergency and management agency (FEMA) arrête sans ménagement l'homme et ses amis, les accusant d'appartenir au mouvement des Taliban et à Al-Qaïda. Ils sont ensuite brutalement incarcérés pendant plusieurs semaines. Au cours de cet entretien, Dave Eggers parle de l'aventure étonnante de Zeitoun et de sa famille.
Comment et pourquoi vous êtes-vous trouvé mêlé à l'histoire incroyable de cette famille américano-musulmane, qui a enduré la tragédie et la discrimination dont elle a été victime, avec force et espoir ?

Dave Eggers : Je suis éditeur pour une série de livres – dont la publication est à but non lucratif – appelée Voice of Witness, dans lesquels on utilise l'histoire orale pour explorer des crises sur le plan des droits humains. Le deuxième volume de cette série a pour thème l'ouragan Katrina et les personnes qui ont été négligées avant et après le passage de celui-ci. L'histoire de la famille Zeitoun fait partie des récits de ce livre. L'idée est venue aux responsables de la publication de Voice of Witness, dont je faisais partie, d'en faire un livre à part. Nous avons décidé de concrétiser cette idée vers la fin de l'année 2006. Pensez-vous que les histoires comme celle-ci créent une passerelle de compréhension et font que les personnes, comme les officiers qui ont arrêté Abdulrahman, comprennent petit à petit que les Zeitoun, bien que musulmans, sont des citoyens américains à part entière ?
A mon avis, c'est pour cela que mes histoires sont indispensables. Dans les 70 premières pages du livre – avant que l'ouragan ne se déclenche – je cherchais simplement à raconter la vie d'une famille américaine qui se trouve être de religion musulmane. Je suis surpris de voir qu'en dépit de toute l'information qui a été diffusée sur l'Islam par les médias américains – en réponse à des questions du type : «Qui sont les musulmans ?» et « Que veulent-ils ? » – il y ait encore une incompréhension et méconnaissance si profonde de la communauté musulmane.

La lecture du Coran m'a beaucoup éclairé. J'ai pu trouver une merveilleuse traduction de Laleh Bakhtiar qui m'a ouvert à la beauté de cette religion d'une manière dont aucune interprétation du texte n'y était parvenu auparavant. Bien entendu, dans mon livre vous trouverez, très clairement, des allusions à la place importante que l'Islam accorde à la justice sociale, à la paix et aux personnes démunies. Il y a plusieurs raisons qui incitent Abdulrahman à aider ceux qui sont dans le besoin : sa foi, son sens du devoir en tant qu'Américain et bon voisin et enfin son désir d'honorer la mémoire de son frère Mohammed. orsqu'Abdulrahman est injustement incarcéré, il se remet en question et se demande si ce n'est pas plutôt par arrogance et pour son propre ego qu'il s'est senti obligé de rester pendant que les autres se faisaient évacuer. Selon vous, pourquoi est-il resté ?
Premièrement, cet homme est inébranlable et n'a peur de rien. Il a vu des tas de choses dans sa vie au cours de ses voyages sur des navires marchands. Il a vécu de nombreuses tempêtes et se souvient même de l'inondation de l'île d'Arwad, au large de la Syrie, où vivait sa grand-mère quand il était enfant.

C'est un homme qui croit au destin et à quelque chose de plus grand. Il s'est dit : « Ceci est la volonté de Dieu, si je suis ici, c'est qu'il y a une raison. »
Quant à l'arrogance, c'est qu'une fois que vous vous retrouvez derrière les barreaux, vous avez beaucoup de temps pour réfléchir. Quand Zeitoun pense à ce qui vient d'arriver, il se dit : « Ai-je mal compris mon rôle ? »
C'est là qu'intervient l'histoire de son frère Mohammed, un des champions de natation les plus célèbres de Syrie. Abdulrahman veut être à la hauteur de celui-ci, tout comme ses frères et sœurs d'ailleurs. A un moment donné, lorsqu'il dit : « C'est ma seule chance de faire honneur au nom Zeitoun », c'est à cela qu'il se réfère. Malgré l'épreuve de l'ouragan Katrina et toute l'injustice, la famille Zeitoun s'en sort, finalement, pleine d'espoir. Vous avez créé avec elle la Fondation Zeitoun , à but non lucratif, dont l'objectif est d'aider les victimes de Katrina et les citoyens de la Louisiane... Dès le départ, je leur ai dit que je ne souhaitais pas être rémunéré ou tirer un quelconque profit matériel de leur histoire. Je pensais simplement que l'argent devait être directement versé à des organisations charitables et aux familles dans le besoin.

La fondation est une organisation modeste, ayant un rôle d'intermédiaire pour acheminer les recettes du livre vers des organismes humanitaires spécifiques, dont le programme Islamic Relief and Rebuilding Together de la Muslim American Society, qui aide les personnes évacuées à retourner chez elles, à la Nouvelle-Orléans. Ces efforts aboutissent à des résultats tangibles et bénéfiques, permettant aux Zeitoun de se dire que leur souffrance a servi à quelque chose de bon.
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