Fête du Trône 2006

Sensibiliser les Américains aux voix du monde musulman

Vishakha N. Desai, Karen Brooks Hopkins, and Mustapha Tlili Respectivement présidente de l'Asia Society, présidente de la Brooklyn Academy of Music (BAM) et fondateur et directeur du Centre pour les dialogues : le monde islamique-les Etats-Unis- l'Occident, de la New York University.

10 Juin 2009 À 12:09

Le président Barack Obama, dans son discours historique du Caire, a tendu la main au monde musulman-l'invitant à une relation de respect mutuel. Sa sincérité ne peut être mise en doute. Dès les premiers jours de son investiture, il a insisté sur la nécessité de faire entrer l'histoire des relations entre les Etats-Unis et les musulmans du monde dans une nouvelle ère. Mais faute de reconnaître que la plupart des Américains font preuve, concernant la réalité musulmane, et l'immense diversité géographique et culturelle de l'islam, d'une méconnaissance accablante, cette ambition sera condamnée à s'étioler. Des sondages effectués au cours des quatre dernières années montrent, dans leur ensemble, que l'opinion des Américains vis-à-vis de l'islam est toujours tributaire des attentats du 11
septembre 2001. Selon des sondages Washington Post-ABC News, publiés en 2006 par exemple, il ressort que près de la moitié des Américains voit l'islam d'un œil "défavorable,” tandis qu'un Américain sur quatre avoue nourrir, envers les musulmans, des sentiments d'hostilité.

L'opinion que se font les Américains du monde musulman est tellement conditionnée par le conflit du Moyen-Orient et les guerres en Irak et en Afghanistan, qu'ils n'ont pas collectivement conscience que la plupart des musulmans vivent en Asie. Ou que les quatre pays où la population musulmane est la plus forte-l'Indonésie, le Pakistan, l'Inde et le Bangladesh-ont derrière eux des millénaires de cohabitation avec d'autres religions et d'autres cultures. En 2005, le comité consultatif du Département d'Etat américain chargé des questions de diplomatie culturelle dressait un rapport concluant à la nécessité de rénover la diplomatie culturelle, pour lui "permettre, par le biais de stratégies subtiles, étendues et viables, d'intensifier la sécurité nationale américaine.” En 2008, des responsables américains des deux partis, membres du Leadership Group on US-Muslim Engagement, constitué par Search for Common Ground, et le Consensus Building Institute, signaient un rapport préconisant un changement de cap pour les relations entre les Etats-Unis et le monde musulman.

Leur objectif principal serait "l'amélioration des relations entre les Etats-Unis et le monde musulman.” Il est temps que les citoyens américains s'impliquent aux côtés de l'administration Obama, et qu'ils tournent cette page de leurs relations avec le monde musulman. La première étape est un effort d'éducation concerté sur la vie d'une population forte d'un milliard de musulmans dans le monde, et appartenant à des sociétés à multiples facettes. Que l'on songe au pouvoir qu'a la culture de transformer les mentalités. Du 5 au 14 juin, le festival "Muslim Voices : Arts and Ideas” appelle les Newyorkais à se confronter à l'extraordinaire diversité des cultures musulmanes à travers toute la ville. C'est un événement inédit, qui réunit plus de 300 artistes, écrivains, interprètes et intellectuels, originaires de plus de 25 pays dont les Etats-Unis. Cette manifestation offre du monde musulman une variété étourdissante de formes artistiques, allant des plus traditionnelles (calligraphie, chants sacrés soufis) aux plus contemporaines (installations vidéo, avant-garde théâtrale indonésienne et hip-hop arabe). En complément, une conférence convie intellectuels et artistes du monde entier à se pencher sur l'interaction des pratiques artistiques et des politiques publiques, et à proposer de nouvelles orientations en matière de diplomatie culturelle.

La raison d'être de ce projet est de contribuer à vaincre les stéréotypes et à faire saisir les nuances des sociétés musulmanes. Malgré notre enthousiasme pour les possibilités que cette initiative laisse entrevoir, une performance, un film ou une exposition ne peuvent résoudre tous les problèmes qui divisent les Américains et le monde musulman. L'écart actuel a été creusé aussi bien par l'inculture que par la réalité des problèmes politiques qui, pour beaucoup, vont au-delà de ce que les arts et la culture peuvent prendre en charge. Quoi qu'il en soit, la diplomatie culturelle, avec des initiatives comme les "Muslim Voices,” peut ouvrir des portes sur l'espace riche de la meilleure création artistique qu'est le monde musulman. Ce qui prédisposera, logiquement, à traiter les problèmes politiques avec respect et impartialité. Les différences entre les Etats-Unis et le monde musulman ne sont pas pensées en termes de diversité, mais comme le socle d'un conflit global permanent, et ce depuis trop longtemps.

Mais quand les gens participent à une expérience esthétique qui s'inscrit dans une culture particulière et, en même temps, la transcende, il y a des chances pour que les conceptions changent. L'Amérique, qui cristallise les espoirs d'échange culturel, de dialogue et de compréhension réciproque, est à un tournant de son histoire nationale et mondiale. Le président Obama et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton affirment qu'ils incarnent l'avènement du "smart power,” qui entend se servir de tous les outils dont dispose la diplomatie, y compris la diplomatie culturelle.
Les Etats-Unis doivent une fois de plus se tourner vers les arts, pour mettre en valeur et renforcer leur investissement culturel, et fondamentalement, pour trouver de nouveaux canaux de communication avec le monde musulman. Ils prouveront ainsi que les relations ne se définissent pas uniquement par les conflits politiques. Et aujourd'hui, on a l'occasion de définir des liens entre l'Amérique et le monde musulman, en s'associant à la richesse et à la complexité des expressions artistiques de l'Islam-une étape cruciale dans la quête des motifs qui fondent le respect mutuel.
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