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Éducation vs extrémisme

Paul Salem
>Dirigeant du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth.

01 Novembre 2009 À 10:11

Tous les rapports en provenance de la Banque mondiale, du Programme des Nations unies pour le développement et de la Ligue arabe soulignent que le sous-développement du monde arabe est principalement dû au manque d'éducation. Le monde arabe compte 5 % de la population mondiale et la majeure partie des réserves de pétrole et de gaz. Il reste pourtant à la traîne et souffre de ce qu'on pourrait appeler une « pauvreté de l'éducation ». Si ce système n'est pas révisé ni amélioré en tous points, le chômage, l'analphabétisme et l'inégalité entre les revenus continueront d'empirer et la région demeurera un danger pour elle-même et ses voisins. Même avant la récession économique actuelle, le chômage dans le monde arabe était estimé à 14 % – le taux moyen le plus élevé en dehors de l'Afrique sub-saharienne. Et ce chiffre s'élève à plus du double parmi les personnes jeunes et récemment diplômées. Le monde arabe possède aussi le taux d'expansion démographique le plus élevé au monde, presque 40 % de sa population ayant moins de 15 ans. Quelques études avancent que le monde arabe représente le quart du taux de chômage mondial pour la tranche des 15 à 24 ans. Pour assimiler cet afflux de jeunes sur le marché du travail, les économies arabes vont devoir créer cent millions de nouveaux emplois dans les dix années à venir, ce qui est impossible si l'éducation reste pauvre.

Le taux d'inscription dans le monde arabe s'est amélioré au cours de la dernière décennie, mais ces pays ont toujours l'un des taux les plus bas dans le monde en développement. Plus d'un cinquième des enfants en âge d'aller à l'école (plus de sept millions) ne sont pas scolarisés, et 60 % d'entre eux sont des filles. Le nombre moyen d'années de scolarisation dans cette région équivaut à la moitié de ce chiffre dans les pays Est asiatiques.
Il n'est donc pas surprenant que malgré les progrès récents, l'analphabétisme se maintient à environ 30 %, et va jusqu'à atteindre 50 % à 60 % dans certains pays arabes.

La qualité de l'éducation arabe est un obstacle. Le marché de l'emploi actuel exige une capacité à résoudre des problèmes, à réfléchir de manière critique et des compétences en linguistique et en technologie. Or, l'éducation arabe est en général aux prises d'un système traditionnel, autoritaire et basé sur l'apprentissage par cœur. Les recherches menées à travers le monde montrent que l'éducation est une condition primordiale pour une croissance durable. Les tigres de l'Asie de l'Est ont lourdement investi dans l'éducation, ce qui a payé en terme de main-d'œuvre compétente et moderne. En revanche, l'évolution du monde arabe, due pour la plupart aux recettes pétrolières, a généré une population sous-éduquée et marginalisée sur le plan économique. Dans le contexte arabe, l'éducation est aussi importante du fait de son statut spécial au sein de l'Islam, qui est une religion du livre à l'instar du Judaïsme et du Christianisme. L'évangile selon Saint Jean dit « Au commencement était le verbe » ; le premier mot à être révélé au prophète Mohammed par l'ange Gabriel était « Lis »… Parmi les proverbes du Prophète : « Il incombe à tout musulman et à toute musulmane de rechercher le savoir. »

En outre, l'Islam ne connaît pas la prêtrise, seulement des spécialistes. Les âges d'or arabes, au XIe siècle à Bagdad et au XIVe siècle en Andalousie, sont révérés comme des périodes d'intense apprentissage.
Les écoles et les universités recevaient un soutien sans faille et les étudiants et érudits allaient de ville en ville en quête de savoir. Mais l'éducation a par la suite sombré dans le déclin. Jusqu'aux années 1970 et 1980, après l'indépendance, les pays du monde arabe ont fait des progrès considérables dans le domaine de l'éducation.

Mais, ils ne disposaient pas de ressources nécessaires pour rester en phase avec l'accroissement de la population. Les formidables taux d'investissement des années 1950 et 1960 se sont amenuisés. Trop d'enfants se retrouvent donc en marge du système éducatif ou reçoivent une éducation de mauvaise qualité qui ne leur fournit pas de compétences suffisantes en calcul et en lecture. Qui plus est, bien trop de disparités fondées sur le sexe, l'habitat, la santé, le handicap et d'autres facteurs de marginalisation demeurent. Ce dont l'Occident regorge, et dont le monde arabe a le plus besoin, c'est l'éducation. Il faut plus d'écoles et moins d'armes ; plus d'universités et moins de porte-avions. On peut avancer que l'université américaine de Beyrouth, fondée en 1866, a fait plus pour transformer le Moyen-Orient de manière positive que toute autre institution de ce type. Elle ne reçoit pourtant que 3 millions de dollars par an des Etats-Unis, qui dépensent des milliards pour ses armées et l'armement dans la région. En réalité, le coût que l'Occident dépense en un mois en Iraq ou en Afghanistan permettrait de tripler l'aide totale à l'éducation au Moyen-Orient. Le coût de deux missiles de croisière permettrait de construire une école, un Eurofighter et une petite université.

L'éducation a aussi des répercussions fondamentales sur la formation des valeurs. Les islamistes l'ont compris il y a longtemps et ont planté leurs semences dans les écoles. L'Arabie Saoudite l'a compris dans les années 1970 lorsqu'elle cherchait à étendre son influence, et au fil du temps, le Royaume a créé des milliers d'écoles et d'universités pour enseigner la branche de l'Islam si rigoureuse qu'est le wahhabisme. En Afghanistan et au Pakistan, c'est par le biais d'écoles religieuses appelées des « madrasas » qu'une vision radicale est transmise aux jeunes.
En fait, « Taliban » signifie « étudiant ».
Donc, le combat pour l'avenir du monde arabe et musulman qui se déroule aujourd'hui sera perdu ou gagné non sur le champ de bataille, mais dans les salles de cours.
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