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L'université à l'épreuve de l'excellence

Youssef Chiheb
>Expert en développement territorial auprès du PNUD, professeur d'Université Parie Nord XIII et directeur du Master Ingénierie de Développement.

05 Décembre 2009 À 13:20

Durant les années 70 et le début 80, l'université marocaine fut pour beaucoup d'étudiants un bastion de la conscience politique, un vecteur de l'insertion professionnelle, et, globalement, un tremplin pour s'arrimer aux cursus d'excellence des universités internationales les plus prestigieuses. Elle a également contribué à la formation de l'élite nationale, qui, aujourd'hui gère les ministères, les grandes entreprises et les institutions emblématiques de l'Etat. Elle fut ouverte à toutes les classes sociales et aux composantes territoriales et culturelles, offrant, de surcroît, un cursus de qualité, en dépit des moyens dérisoires dont elle disposait. Vingt-cinq ans après, elle a perdu en prestige, en éclat et s'est réduite en une «machine» pour la production de diplômés, partiellement formés et, globalement, faiblement employables. Pourquoi une telle régression ? Comment peut-on expliquer cette crise ?

En premier lieu, durant les années 70 et le début 80, les formations universitaires débouchaient sur un emploi dans la fonction publique. L'Etat, principal employeur, trouvait son compte dans la mesure où il alimentait ses divers départements ministériels en cadres et répondait, parallèlement, à ses besoins en enseignants suite à la fin du protocole de coopération culturelle internationale. Un accord tacite fut, alors, conclu entre l'Etat et les universités. D'un côté, un enseignement de qualité, sélectif et vecteur d'ascension sociale, et de l'autre côté, une marge de manœuvre consacrée aux postes budgétaires. Ce deal conjoncturel s'est malheureusement installé dans le temps et allait façonner les mentalités des étudiants et les perspectives de leur intégration professionnelle. Cet état d'esprit a aussi figé l'offre universitaire, notamment en sciences humaines, qui se sont pédagogiquement sclérosées, devenant, au fil du temps, des filières déconnectées du marché de l'emploi, désormais, régulé par les entreprises, les collectivités territoriales et par les nouveaux métiers.

La crise de l'université est perceptible, et ce, malgré les dotations budgétaires spécifiques dont elle a bénéficié durant la dernière décennie. L'université ne cesse de renvoyer l'image d'une voie de garage pour les étudiants d'origine sociale modeste. Au niveau des équipes enseignantes, un semblant de démotivation s'installe : peu de publications, gouvernance statique des laboratoires de recherches et rigidité des contenus pédagogiques se font sentir. Côté étudiants, la rupture entre la formation et les débouchés, hors fonction publique, est consommée. Une génération accrochée, contre vents et marées, au mythe de l'Etat-providentiel.

En deuxième lieu, le malaise de l'université peut s'expliquer, en partie, par une des plus importantes réformes de l'Education nationale : l'arabisation. Généralisée dès la fin des années 80, elle a ciblé les tranches démographiques en âge de scolarité. L'arabisation a désarticulé l'enseignement secondaire de l'université dans la mesure où les titulaires du baccalauréat se trouvent exclus, d'entrée, de beaucoup de filières universitaires prestigieuses totalement dispensées en langue française. Le deuxième préjudice est perceptible à travers l'affirmation puis le pullulement d'institutions privées, à grand renfort marketing, proposant des cursus en phase avec le marché de l'emploi en langue française ou anglaise. Les enfants des couches sociales riches se bousculent aux portes des missions française ou espagnole. Il n'est pas rare de voir les enfants des élites les plus arabophiles se ruer vers les missions étrangères. L'arabisation paraît, alors, comme un contre sens.

Si, nul ne peut nier le rôle prépondérant des langues étrangères dans la production et la diffusion de la connaissance, nul ne peut contester, non plus, les difficultés de la langue arabe à faciliter l'accès à la connaissance universelle. Elle s'est généralisée à toutes les filières en sciences humaines. Cependant, la langue de Molière demeure la langue de référence du monde de l'entreprise, de la haute administration, de l'expertise, de l'employabilité et plus globalement de l'élite.
En troisième lieu, l'absence de passerelles entre l'université et le monde des opérateurs économiques, des collectivités territoriales et des acteurs de la gouvernance sont autant de signaux pathologiques. Les uns ignorent les autres. D'un côté, l'université prolonge sa réclusion derrière sa muraille de Chine, de l'autre côté, les opérateurs de développement stigmatisent l'offre universitaire publique comme étant trop éloignée de leurs besoins en ressources humaines qualifiées ou employables. En quatrième lieu, l'université publique, a partiellement manqué sa réforme dans le cadre de la masterisation de l'enseignement supérieur.

Certaines réformes nationales majeures ont été inspirées, en partie, des mécanismes français en vue de réformer les rouages de la gouvernance universitaire. Ces transpositions reposaient sur ce qu'on peut qualifier de «mauvais copier coller». Le passage de l'organisation classique au système LMD (Licence, Master, Doctorat) n'a pas pu modifier le mode de gouvernance des universités marocaines. Les filières sont toujours organisées en cursus linéaires et mono disciplinaire. On peut citer également d'autres distorsions : absence de passerelles inter-filières, peu de Masters spécialisés garantissant une insertion professionnelle. Peu d'appel aux praticiens dans les cursus de formations spécialisées. L'université n'a pas saisi cette opportunité pour une refonte totale de sa réorganisation pédagogique.
Il est nécessaire de soustraire le débat sur l'université aux revendications catégorielles qui ne font qu'occulter les aspects structurels de sa crise.
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