Lancer «salam alaykoum» ou répondre «alaykoum salam», dire merci, se lever dans le bus pour laisser sa place aux plus âgés, mettre sa main devant la bouche quand on tousse… les règles de politesse semblent pouvoir se multiplier à l'infini.
LE MATIN
09 Avril 2009
À 16:09
Leur apprentissage, au contraire, deviendrait plus rare. Pourtant la politesse reste essentielle car les tant décriées montées de la violence, crise de l'autorité parentale, incivilités sont corrélées au manque d'apprentissage de ces petites règles du quotidien. Pour certains, ces règles de politesse sont tout simplement inutiles. Pour les plus pressés, elles font perdre du temps. Pourtant, il faut noter que ces règles, sous des formes différentes, existent dans toutes les sociétés; comme si la politesse était le propre de l'homme. On raconte ainsi que le philosophe français Kant, gravement malade, s'était levé avec effort pour saluer son médecin. Celui-ci s'était empressé de le faire rasseoir. Le philosophe aurait alors dit «le sens de l'humanité ne m'a pas encore abandonné». Commune à tous, la politesse existe toutefois sous des formes différentes selon les sociétés. En France, on apprend très tôt aux enfants à finir leur assiette pour ne pas gâcher la nourriture. En Grèce, au contraire, ce serait grossier : l'enfant signifierait ainsi que la part de nourriture qui lui a été donnée était trop petite. La politesse est ainsi le premier des codes nécessaires pour entrer dans un groupe. Par exemple, les jeunes gens inventent parfois de nouvelles manières de se saluer. Qui ne les connaît pas ne fait manifestement pas partie du groupe.
Mais bien avant de voir dans le savoir-vivre une expression de la société, les parents conçoivent d'abord la politesse et ses règles comme liées à leur enfant en particulier. Chacun les interprète à sa manière et leur donne un sens différent. «Les enfants sont comme des roseaux, il faut les tenir droit au début pour qu'ils ne poussent pas de travers», tranche d'un ton péremptoire la mère de deux petites filles de 11 et 9 ans. «Je suis assez stricte. Mon éducation porte ses fruits: quand je dis "moi etAbderazzak", la plus âgée me reprend, "non maman ! on dit Abderazzak et moi"». La bonne éducation ne concerne pas simplement l'enfant. Pour cette mère, elle est le reflet de ses parents «Quand ma fille répète des mots grossiers entendus à l'école, je lui dis «ce qui vient de l'école reste à l'école. Si tu es mal polie, c'est que tu as été mal éduquée». Une manière de lui faire comprendre qu'être mal polie n'est pas uniquement manquer de respect à son interlocuteur mais aussi à ses parents. Si ces derniers ne l'ont pas éduquée correctement, ils ont, en somme, manqué à leur premier devoir.
Loin de cette conception sévère de la politesse, Aziz est le père de Jad, un grand garçon de 16 ans. La bienséance est importante mais il n'en fait pas une valeur première. «Pourchasser un enfant en lui répétant dit ceci, ne fait pas cela, peut l'inhiber. Quand j'éduque mon fils, il est plus important pour moi de l'aider à affirmer sa personnalité». Certains perçoivent en effet la politesse comme une contrainte qui limite la liberté individuelle de l'enfant. La peur de se tromper, de dire quelque-chose qu'il ne fallait pas mènerait l'enfant à limiter ses gestes et ses propos. Selon cette conception de la politesse, multiplier les règles c'est prendre le risque que l'enfant s'emploie uniquement à les respecter soigneusement sans concevoir ses propres idées ni les exprimer. Que l'on soit très strict ou beaucoup plus libéral, les règles de politesse restent de rigueur. Tôt ou tard, tout le monde les apprend et là encore chaque parent a son moyen préféré. Hayat est la jeune maman de Rania, une fillette de 2 ans.
«Elle est encore très petite mais j'insiste énormément. A chaque fois qu'elle lance un objet à quelqu'un, je lui dis "non, tu dois le donner en le mettant dans sa main doucement". A chaque fois qu'elle reçoit quelque-chose, je lui demande de dire «merci». Quand elle fait mal à quelqu'un par mégarde, elle doit répéter «pardon». Hayat répète encore et encore les mêmes mots, les mêmes phrases «je ne pense pas qu'elle comprenne vraiment mais ce sera le cas plus tard». Ceux qui encouragent avant tout l'affirmation du caractère de leur enfant préfèrent l'expérience à la sanction. Pour Aziz, l'être humain est faillible par essence et il est donc inutile de chercher à être parfait en toute circonstance. «Si un jour Jad reçoit une claque dans la rue parce qu'il a manqué de politesse envers quelqu'un, alors ce sera vraiment une bonne leçon et il ne répétera pas son erreur». Aziz préfère se concentrer sur le débat d'idées : «Quand mon fils s'oppose à moi dans une discussion et que sa mère lui lance "ne parle pas comme ça à ton père", je la laisse dire, mais moi je ne me sens pas offensé. Je préfère que Jad exprime ses opinions plutôt qu'il soit respectueux au point de ne plus objecter à ce que je dis». En tant qu'être humain et faillible, il n'imagine pas s'ériger un exemple pour un enfant.
«Il faut leur donner un exemple à suivre et toujours expliquer par la discussion les raisons pour lesquelles il est interdit de faire telle ou telle chose», assure au contraire la mère des deux petites filles. Cependant, il est fréquent que les règles que l'on tente de faire respecter à son enfant ne soient pas respectées par d'autres. «Ma fille est en pleine phase d'expérimentation et c'est une véritable éponge, alors je fais très attention à ce que je fais et à ce que je dis. Malheureusement, elle apprend de tout le monde et pas simplement de moi. Parfois elle répète des grossièretés qu'elle a entendues. Je suis frustrée!», plaisante Hayat qui ne se permet pas de corriger les adultes impolis. Malgré les efforts des parents pour conserver ces codes du respect mutuel, certains continuent à les repousser. Parmi les critiques, l'hypocrisie est souvent invoquée. A l'heure du «je», du naturel et de la spontanéité, la politesse apparaît comme superficielle et hypocrite. Pour ses défenseurs, sauver les apparences n'est pas un défaut, il s'agit de faire l'homme en dehors comme il devrait être en dedans. -----------------------------------------------------------------
Réduire l'incertitude
Pour la sociologue Dominique Picard, la politesse a notamment pour fonction de réduire l'incertitude. Lorsqu'une personne veut entrer en contact avec une autre, elle utilise en premier lieu des formules de politesse comme «Bonjour, excusez moi, avez-vous une minute à me consacrer…», avant d'aborder réellement la question qui la préoccupe. Ces formules ont pour intérêt de rendre prévisibles les réactions de l'interlocuteur. La conversation se pose sur des bases communes: même langue, même culture, éducation proche... Dès lors, la politesse peut permettre de faire face à n'importe quelle situation et la peur d'aborder l'inconnu diminue d'autant. Typiquement, un enfant qui n'a pas encore intérioriser ces règles ni compris implicitement leur rôle, aura des réactions excessivement timides. La fillette à qui l'on présente un inconnu a tendance à se cacher dans les jupes de sa mère. Elle ne sait pas que faire ou dire pour lui faire face et le saluer.