Désormais, la vie de Nada marque un tournant majeur. Cette gamine de 10 ans aux traits candides et au corps enfantin avait récemment fait son entrée dans le monde des adolescents.
LE MATIN
02 Septembre 2009
À 15:31
C'est un événement lourd de conséquences. Dorénavant, Nada, malgré son bas âge, est censée prendre les manières et les habitudes des adultes et endosser leurs responsabilités dont, bien entendu, les responsabilités religieuses et à leur tête le jeûne du mois de Ramadan. Pour son premier jeûne, Nada a pu passer le cap. Son secret ? Elle a trouvé des copines de route, en la personne de ses camarades de classe dont la majeure partie vivent la même histoire: la puberté précoce.
En effet, beaucoup de familles marocaines abritent des enfants/adolescents.
C'est cette ambivalence qui résume tout le dilemme des parents face à la responsabilité religieuse (Attaklif Acharîi) de leurs chérubins : Doit-on les traiter comme des adultes (vu qu'ils ont atteint l'âge de la puberté), donc comme des personnes responsables qui sont appelés à s'acquitter du jeûne du Ramadan comme les autres, ou bien faut-il les considérer encore comme des enfants inaptes physiquement à accomplir le quatrième pilier de l'Islam ?
Autant dire que les parents sont pris en tenaille entre deux choix difficiles : ou bien contraindre leurs petits à jeûner le mois sacré malgré leur inaptitude physique avec tout ce qui en résulte comme complications psychiques et sanitaires, ou bien les exempter de ce devoir religieux et avoir cela sur la conscience peut-être pendant toute la vie?
Sur cette question insidieuse, Souad, mère de Seloua, une petite « adolescente », a déjà tranché : « J'avoue que j'ai empêché ma fille de jeûner le Ramadan tout entier. D'ailleurs, j'en assume l'entière responsabilité devant Dieu », affirme-t-elle sans broncher. Cette conscience apaisée, elle l'a héritée d'une inaliénable conviction que Dieu a imposé le jeûne à ses fidèles afin qu'ils puissent tirer profit de ses inestimables bienfaits tant sur le plan spirituel que sanitaire. Or, pour sa fille et ses semblables, au lieu de constituer une source de bienfaits, le jeûne les expose à de multiples problèmes de santé. C'est évident, puisque leurs corps d'enfants ne peuvent supporter 14 heures voire plus d'abstinence alimentaire, et ce pendant 30 jours continus.
Déjà pour achever le premier jour de Ramadan, la petite Seloua y a laissé des plumes. A fortiori quand il s'agit de maintenir le cap pendant les 29 jours restants. Mais toutes les mères ne pensent pas comme Souad. Il suffit pour s'en rendre compte d'évoquer l'exemple diamétralement opposé de Zohra, une autre mère de famille qui contraint systématiquement sa fille pubère Amina à jeûner les 30 jours du Ramadan, malgré son corps chétif et ses 11 printemps à peine clos. Les répercussions de cet acte de force se sont révélées catastrophiques sur la santé de la gamine. Pour tenir le coup, la pauvre ingurgitait de grandes quantités de nourriture juste avant l'aube et pâtissait donc de maux d'estomac implacables durant les jours suivants. C'est dire à quel point elle était terrifiée à l'idée de ne pas se mettre quelque chose sous la dent pour plus de 14 heures. Certes, des mères comme Zohra et des filles comme Amina se comptent par milliers dans notre société. En acculant leurs enfants pubères à accomplir de la sorte le jeûne du Ramadan, les mères et les parents en général commettent une faute grave à l'égard de leur progéniture. Peut-être sans le vouloir, ils font de ce rituel islamique un devoir rébarbatif, voire une épreuve pénible dont les petits doivent s'acquitter avec brio, peu importent les conséquences. Du coup, une phobie du jeûne est cultivée chez les enfants. En principe, le jeûne est censé être pratiqué avec beaucoup d'amour, de piété et de dévouement. Mais pour le cas des enfants forcés à jeûner dès leurs 10 ou 11 ans et ayant déjà un état de santé fragile, le jeûne prend plutôt les allures d'un supplice et le Ramadan devient un rendez-vous annuel avec la souffrance physique et psychique. Une chose est pourtant sûre : les parents qui astreignent leurs enfants à accomplir ce rituel partent d'une bonne intention : ils veulent leur inculquer par là le respect du mois sacré et la totale soumission aux ordres de Dieu et de son Prophète. Sauf qu'ils empruntent souvent la mauvaise voie.
Mode d'emploi pour les accompagner dans leur jeûne Nombreux sont les parents qui tiennent pour acquis que leurs enfants auront la même endurance qu'eux. Ils tournent souvent le dos à cette vérité: les corps des enfants et des adultes sont intrinsèquement dissemblables et leurs besoins d'alimentation sont sensiblement différents.
Sans doute, les enfants ont besoin de s'alimenter de façon continue pour se munir de calories indispensables à leur croissance. Les faire jeûner à leur corps défendant, surtout quand ils n'ont pas ce qu'on peut appeler une santé en béton, aura des effets suicidaires sur leurs petits organismes. Puisque « à l'impossible nul n'est tenu », il serait plus judicieux d'adopter une démarche progressive quand il s'agit d'initier les enfants en âge de puberté au jeûne.
Le premier pas sur ce chemin consiste à les mettre dans le bain en leur expliquant tout d'abord, d'une manière simple et limpide, les dimensions spirituelles du jeûne de Ramadan et ses vertus purificatrices pour l'organisme, ainsi que l'inappréciable récompense que Dieu a réservée aux jeûneurs. C'est une étape inéluctable pour dissiper les craintes et les réticences des petits vis-à-vis de ce devoir religieux qu'ils vont percevoir dorénavant d'un œil tout à fait différent. Ce ne serait plus une torture fortuite, mais plutôt un rituel chargé de maximes et de bienfaits. Une fois que le message est passé et que vos gamins acceptent l'idée du jeûne, essayez de planifier, en concertation avec eux, un agenda approprié de jeûne, de façon à laisser une intervalle de temps entre un jour de jeûne et un autre. Ou encore, faites leur jeûner des mi-journées au début, le temps qu'ils prennent le rythme. Petit à petit, ils seront capables de s'abstenir toute la journée.
Pour les aider à finir en beauté leurs jours de jeûne, une alimentation solide et bien équilibrée est incontournable, mais sans tomber dans les excès au risque de leur provoquer de sérieux problèmes digestifs, comme c'était le cas pour la petite Amina.
Après qu'ils aient fait le saut et passé cette épreuve avec succès, n'oubliez pas de leur apporter des cadeaux en signe de récompense de leurs efforts. Cela les réconfortera sur cette voie et associera le Ramadan dans leurs esprits à la joie et au plaisir, et non plus à la souffrance et aux privations. Pour célébrer le premier jeûne de leurs petits bouts de choux, certaines familles marocaines ont la salutaire habitude d'organiser des cérémonies auxquelles prennent part les membres de la famille, les voisins et les amis du petit jeûneur et au cours desquelles celui-ci se pare d'habits traditionnels et se régale de mets succulents.
Il va sans dire que l'impact d'un tel «hommage» rendu à votre enfant en récompense de son endurance et de sa ténacité pendant le Ramadan serait indicible. Eventuellement, il va jeûner de son propre chef, sans avoir à se prendre par la main et en éprouvera même un vif plaisir. -----------------------------------------------------------------------
Qu'en dit la religion ?
Une fois l'enfant atteint l'âge de puberté, il devient adulte au regard de la religion musulmane et doit se plier aux différents devoirs religieux dont notamment la prière et le jeûne du Ramadan. En règle générale, cet âge oscille entre 13 et 15 ans pour les filles et entre 12 et 16 ans pour les garçons.
Bien entendu, il existe des exceptions à cette règle et il arrive parfois que l'enfant soit pubère à l'âge de 11 ans, voire 10 ans. Que faire alors ? Il convient tout d'abord de signaler l'absence jusqu'à présent de Fatwas sur le sujet, bien que ces cas sont partout connus et reconnus. Même dans les bouquins du Fiqh, la seule notice concernant la question du jeûne des petits se rapporte à la nécessité de les initier au jeûne avant qu'ils soient en âge de Taklif. Sinon, les auteurs de ces bouquins ne font pas d'allusion au jeûne des enfants précocement pubères, peut-être puisque pour eux la question tient lieu d'un postulat. Tous ces éléments convergent vers la nécessité d'entreprendre une jurisprudence en la matière, qui prendrait en compte le petit âge de ces enfants et leur incapacité physique à remplir pleinement ce devoir religieux. D'ailleurs, la règle islamique confirmée « La darar wala dirar» (il ne faut pas causer ou se causer de dégâts ou de préjudices) est parfaitement applicable aux cas de ces enfants.