L'humain au centre de l'action future

Silence, on joue !

Dix heures tapantes. Les couloirs de l'école Art Com grouillent de jeunes élèves en cette période de grandes vacances.

12 Juillet 2009 À 12:13

Contre toute attente, cet air de récréation, qui règne sur les lieux, brise le calme et le silence qui devraient régner dans ce haut lieu de la création. Le temps d'une évaluation, des jeunes collégiens et lycéens investissent le bâtiment pour montrer les uns aux autres ce qu'ils ont appris durant une semaine de stage prodigué par le fameux cour Florent. L'air décontracté, les talents en herbe cachent bien leur stress. Car, même s'il ne s'agit pas d'un examen, stricto sensu, ils devront pour la première fois affronter le public et surmonter le trac de ce face-à-face peu évident à dominer. Dans un grand vacarme, les jeunes comédiens montent les escaliers jusqu'au 4ème étage où se déroulera l'évaluation du cours d'improvisation dirigé par Gérôme Laguiller. Et c'est avec un «On se tait, on n'est pas à la foire» que le maître met fin au désordre de ses disciples. Après ce petit rappel à l'ordre, le silence fut dans la salle. Jérôme prit alors la parole pour expliquer à l'assistance et rappeler à ses élèves le but des exercices d'improvisation auxquels ils se sont livrés pendant une semaine.

Dans les premières rangées de la salle, les 6 élèves qui attendent de monter sur scène écoutent religieusement leur encadrant. «Apprendre à improviser revient à travailler sur le moment présent, c'est-à-dire des situations qui se présentent ici et maintenant », souligne Jérôme. Sur les 6 jours de stage, la classe d'improvisation a effectué une soixantaine d'exercices dans le but d'améliorer ses capacités dans ce domaine et surtout, comme le précise Jérôme pour «briser le fameux 4ème mur qui sépare le comédien du public», notion bien connue dans le monde des planches. Après ce discours concis, les improvisations commencent. Et les six jeunes comédiens se relayent sur la petite scène pour faire leurs démonstrations. Les directives de Jérôme sont claires. «Cette fois on travaille sur le «boomerang ». On envoie et on transmet. L'exercice consiste à tout faire passer à travers le regard». On suit son partenaire des yeux sans perdre de vue la salle.

Après le regard, on passe à autre chose. On danse, on joue, on bouge pour aboutir ensuite vers la parole. Avec des mots, les candidats doivent intéresser le public et capter son attention. Par un jeu interactif, les spectateurs suggèrent un mot au comédien et puis ce sera à ce dernier de bâtir une histoire autour. « Cerise », le mot est lancé, et Jalila démarre son improvisation. Inspirée, la jeune fille s'engage dans une longue tirade où le mot cerise revient encore et encore dans différents contextes. Par la suite, le jeu d'improvisation tournera autour des mots « cafard » et puis « amour ». Autre exercice, autre principe. Un couple d'élèves monte sur scène. Il s'agit de mener une conversation prétendue téléphonique où les deux comédiens sont face au public. Ils doivent répondre l'un à l'autre tout en résistant à l'envie de se regarder. La situation est la suivante : le premier personnage doit absolument se rendre chez l'autre, mais ce dernier doit trouver le moyen et les arguments pour l'en empêcher. L'objectif de l'exercice étant de dramatiser la situation et de la pousser à son paroxysme. Ce qui devrait être traduit pas les expressions et les sentiments des personnages. Avec le premier tandem la « mayonnaise a du mal à monter ». La conversation ne décolle pas et la tension reste au même niveau.

Le deuxième tandem fait mieux. Le ton monte, les visages se crispent et les gestes se font un tantinet plus exubérants. Et on passe au troisième exercice. En s'inspirant d'un personnage, réel, les élèves devraient créer une situation où ils grossissent à volonté les caractères et les traits du personnage choisi. Cela dit, il ne s'agit aucunement d'un simple exercice d'imitation. Sereine et sure d'elle, Salma se présente sur scène pour jouer son impro. C'est sa propre maman qui lui a servi d'égérie. Expressions du visage, mouvements du corps, intonations de la voix, lui servent pour passer d'un registre à un autre. Avec une aise déconcertante et une imagination débordante, elle capte l'attention de l'assistance du début jusqu'à la fin de son improvisation. C'est que son scénario est bien élaboré et sa chute bien pensée.

Et l'on imagine le travail qui a été derrière cette maîtrise des techniques d'impro et cette virtuosité. De l'aveu des enseignants, les jeunes comédiens ont fait beaucoup de chemin depuis le premier cours où ils essayaient de cacher leur embarras derrière leurs rires. En l'espace d'une semaine, ils ont réussi à vaincre leurs fous rires et leur manque de concentration et à avoir des attitudes d'acteurs et non de débutants, comme leur conseillaient leurs encadrants. « Dès le début, je leur ai dit qu'il fallait prendre les choses au sérieux et qu'il fallait considérer ce stage comme un vrai travail. Un acteur, ça joue. Même s'il s'agit du verbe jouer, il leur fallait se concentrer, écouter et respecter les consignes ». Et Jérôme de témoigner avec fierté : « Je trouve qu'ils ont bien assuré et qu'ils ont réussi à se soutenir les uns les autres. J'ai eu l'impression de m'adresser à des petits acteurs. En 7 jours ils sont parvenus à passer ce cap ».

Et on enchaîne avec un troisième exercice. L'action se passe au cinéma où trois personnages sont en train de regarder un film. Les comédiens Ali, Jade et Leila, se livrent à un jeu silencieux. Ils pensent chacun à une chose et ce sera aux trois élèves qui se trouvent parmi le public de se concentrer pour deviner leurs pensées et prendre la parole à leur place. De faire du sous-titrage en quelque sorte.
Un dernier exercice et l'évaluation du cours d'improvisation prend fin.
Une petite pause et c'est parti pour l'évaluation du stage de la scène. Les jeunes comédiens montent à tour de rôle sur les planches pour jouer des extraits de pièces s'inscrivant dans différents registres (« Les trois sœurs », « Débrayage », « fiancé en herbe »…). Les petites scènes sont ponctuées par les « Dites moi quand vous êtes prêts » suivis d'un « C'est quand vous voulez » prononcés dans un ton solennel, par Frédéric Haddou qui a enseigné les techniques de la scène pendant une semaine. Ses phrases reviennent comme un leitmotiv après chaque représentation.

Une fois l'évaluation terminée et après une pause déjeuner, les élèves du cours « caméra » passent à l'action. Les uns après les autres, les jeunes subissent cette épreuve sous l'œil vigilant de leur encadrant Philippe Landoulssi. Face à l'objectif, les comédiens s'évertuent à faire montre de leurs talents. Fini, l'évaluation, l'heure est aux délibérations entre les encadrants qui ont vu les travaux des autres groupes. La méthode est d'usage chez « Florent ». En plus, comme le confirme Jérôme, cette confrontation des avis leur permettra éventuellement de faire des propositions pour la rentrée prochaine, si l'école est crée au Maroc.
Et voici enfin le moment tant attendu par les jeunes comédiens : la consécration.
Dans un mélange de joie et de fierté, les 30 élèves reçoivent leurs certificats de stage des mains des professionnels du métier. Mohamed Bakrim, journaliste et critique de cinéma, Amal Atrach et Omar Lotfi, comédiens, se sont déplacés pour leur remettre des attestations qui leur donnent accès à la première année du Cours Florent de septembre 2009. D'ores et déjà, 3 élèves ont pris la décision de partir à Paris pour se former au métier de comédiens. Quant aux autres, ils continueront leur chemin avec plus d'assurance et de confiance en soi.
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Attentes satisfaites

Jérôme Laguiller se dit plutôt satisfait des prestations de ses élèves. « La difficulté de l'évaluation c'est que les comédiens ont du mal à retrouver les petites choses magiques survenues durant le stage.
En plus, l'improvisation est différente du travail de scène lors de ce dernier, ils ont la même scène à répéter pendant plusieurs jours. Mes élèves avaient chaque jour un exercice différent. C'est pour cela que j'ai voulu qu'ils en présentent un maximum. Je suis très content de leur travail », assure-t-il. Pour leur part, réjouis de leur petite formation, les jeunes comédiens se disent comblés par les résultats du stage. « Quand je me suis inscrit, mon objectif était d'avoir plus confiance en moi et de savoir répondre spontanément. Après une semaine, j'ai effectivement réalisé tout cela. Je suis plus à l'aise avec moi-même et je ne crains plus le regard des autres et je n'ai pas peur d'être ridicule», confie Ali. «Les cours sont mieux que ce que j'avais imaginé. En fait, moi, je pensais qu'on allait travailler sur des pièces de théâtre, mais une fois dans le cours, les exercices ont porté sur des thèmes à partir desquels on improvisait. Ce qui nous poussait à faire appel à notre imagination ».
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Le cours Florent

Le Cours Florent est un cours d'Art dramatique parisien créé en 1967 par François Florent (né en 1937 à Mulhouse). C'est l'une des institutions artistiques les plus connues: c'est une école qui permet aux acteurs de développer leurs capacités, encadrés par des professeur et suivis tout au long d'une véritable formation digne de ce que peuvent connaître les peintres ou les sculpteurs avec les écoles des Beaux-Arts. Mais pour profiter de la formation prodiguée au Cours Florent, la sélection est rude. Car il est vrai que le Cours Florent a vu de nombreux élèves sortir de ses promotions chaque année et devenir des acteurs renommés. Les plus célèbres n'étant pas forcément les plus doués, on peut cependant citer Audrey Tautou et Gad Elmaleh comme deux anciens élèves du Cours Florent, ou même José Garcia Michaël Youn.
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