Le centre ville casablancais renaît de ses cendres. Il est de nouveau au rendez-vous avec la culture grâce au festival « Théâtre et cultures » qui tient cette année sa troisième édition.
LE MATIN
14 Mai 2009
À 16:33
Une effervescence particulière règne dans la ruelle qui abrite le cinéma Rialto. Cette salle obscure historique qui compte parmi les rares survivantes au cyclone de fermeture qui frappe violemment nos cinémas nationaux, accueille la célèbre chorégraphie « le sacre du printemps » du grand compositeur russe Igor Stravinsky revisitée ici par le chorégraphe franco-algérien Heddy Maalem. Après de longues minutes d'attente, les portes s'ouvrent et les spectateurs prennent place dans le décor majestueux de la salle. 21heures, les lumières s'éteignent, le silence emplit les lieux, le show commence. La lumière jaillit de la scène. Des ombres de palmiers et de cocotiers frémissants forment le décor initial de la pièce. Un homme et une femme peuplent cette nature vierge. L'œuvre raconte notre histoire, notre existence, celle de l'Homme. Un premier couple descend sur le paradis terrestre.
La danse commence, les tableaux se succèdent. Premier pas, premier mouvement et premier enchaînement…d'une étape à une autre, la danse est belle jusqu'au bout. Heddy Maalem crée une chorégraphie qui allie tradition et contemporain et plonge le spectateur dans un moment de joie et un état d'exaltation. La chorégraphie est rigoureuse, elle dégage des lignes claires, tandis qu'une gestuelle tout à la fois fluide et charpentée occupe l'espace.
Les danseurs ont la fougue de la jeunesse, un engagement physique qui soulève l'enthousiasme. Venus du Mali, du Bénin, du Nigeria, du Sénégal, de la Guadeloupe, quatorze danseurs virtuoses racontent l'Afrique. « C'est en arpentant les artères encombrées de Lagos, au Nigeria qu'Heddy Maalem a pensé à recréer « le sacre du temps ». Cette métropole représente la mort et la vie réunies. C'est l'inspiration principale du chorégraphe qui a tenu à réaliser ce rêve avec une équipe africaine » nous déclare Laurence Brissard, responsable de la compagnie Heddy Maalem. Vêtus de simples «maillots de bain» de couleurs scintillantesantes, six hommes et six femmes s'aiment et se détestent, se disputent et se réconcilient, se battent, s'enlacent et s'enjambent… La sensualité primitive est présente dans la pièce. Le face à face entre l'homme et la femme perdure et l'affrontement entre les deux êtres continue et recommence sans cesse…Le spectateur devient témoin du combat éternel entre les deux sexes. L'homme et la femme sont ennemis mais deviennent brusquement amis puis amoureux. Leurs corps ne deviennent qu'un, une image qui fait chavirer les cœurs et rêver les esprits.
C'est une œuvre érotique et sensuelle que nous dévoile Heddy Maalem. Durant cette lutte, interviennent deux autres danseurs. Ce sont des jumeaux aux corps élancés et bien bâtis. Ils interprètent les rôles de deux esprits qui portent chacun un message. Le bien et le mal interviennent dans l'histoire pour influencer les décisions de l'homme. Reine de la pièce, la femme noire est honorée, embellie, cajolée…durant toute la chorégraphie. Heddy Maalem lui offre la danse comme un hommage à la mère de l'humanité. Dans la chorégraphie, les danseurs se frôlent et se confrontent, se caressent et s'empoignent…Les interprètes sont présents avec force mais aussi avec une précision qui attire l'attention du regard. Le spectateur s'aperçoit du « merveilleux choc esthétique » qui rappellent les références et les contradictions de l'Afrique et de l'Europe. Tout est fort, tout est beau, tout est grand dans ce sacre du printemps. Heddy Maalem offre une traduction rafraichissante de l'œuvre de Stravinsky et signe une pièce manifeste sur l'Afrique d'aujourd'hui, ses traditions ancestrales, ses déchirements. Une danse brute, décapée et efficace. -------------------------------------------------------------
Le spectacle vu par Heddy
Danser ce qui est mort et qui renaît et qui mourra. Dire le rite, cela qui mêle le mort au vif, l'os à la cendre. Redire ce qu'un homme inscrivit de façon si unique pour célébrer encore le don d'une joie si terrible. En respirer le rythme pour la dernière et la première fois, quand déjà, sur nos yeux, retombera le voile. Et l'Afrique : un continent tout entier contenu dans l'espace qui sépare le jour qui finit de celui qui commence, une aurore. La fin et le début d'un monde. Un autre monde encore agenouillé quand Stravinsky voit se lever à l'Est, les soleils rouges. Un continent d'où sourd en même temps qu'une promesse l'épaisse angoisse du printemps. Une terre qui supporte l'énorme poussée de l'univers, la force du demain bondissant. Un dernier royaume où marcher.