Fête du Trône 2006

«Méditel est un opérateur totalement indépendant qui prépare l'avenir»

Les nouvelles technologies de télécommunication occupent une place importante et un rôle majeur dans l'économie, la croissance mais aussi et surtout dans le développement de la société. Cette position appelle des questions dès lors qu'un événement a lieu comme celui, récent, du rachat des parts de Téléfonica et Portugal Telecom de Méditel par les groupes CDG et Finance.com. Le groupe CDG qui était déjà actionnaire à hauteur de 18% de Meditel va contrôler 49,76% du capital de la société.

Mohamed Elmandjra

13 Septembre 2009 À 15:35

Il en sera de même pour le groupe Benjelloun qui à travers Finance.com et RMA El Watania va contrôler 50,24% des actions Finance.com qui faisaient partie du précédent tour de table, tous deux ayant fait prévaloir leurs droits de préemption face à sept opérateurs en lice. Si la transaction ne sera finalisée à la fin de l'année qu'après l'obtention de l'accord des autorités de tutelle, ce n'est pas tant l'aspect financier qui nous intéressera le plus dans cet entretien que l'aspect stratégie de Meditel.

De nombreuses questions ont été en effet posées lors de la conférence de presse donnée par les « nouveaux » actionnaires sur le positionnement de l'opérateur dans un marché qui « stagne », sur le manque à gagner technique et technologique après le départ des grands groupes ibériques et portugais, sur l'ouverture à l'international …Concernant une préoccupation récurrente sur les capacités techniques de l'entreprise, Mohamed Elmandjra, directeur général de Meditel, est catégorique : Meditel est un réseau totalement indépendant avec une infrastructure indépendante. Sur le plan technique et technologique, toute la partie opérateur de l'entreprise est à 100% propriété de Meditel. Nous avons notre propre machine et notre propre opérateur de machine. » Qu'en est-il au niveau des ressources humaines ? Là encore la réponse est claire : sur les 1000 collaborateurs, dit-il, nous avons 4 expatriés dont deux dans le secteur finance.

Rien ne va changer ! » Comment dès lors va fonctionner cet opérateur dans un marché qui a accusé une forte croissance durant cette dernière décennie, avec quel partenariat, quelles synergies éventuelles avec d'autres groupes et avec quels investissements ? Ce sont autant de questions posées à Mohamed Elmandjra, directeur général de Méditel,
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LE MATIN : Meditel fêtera bientôt son dixième anniversaire. Pouvez-vous nous présenter l'entreprise, ses réseaux, ses salariés, ses parts de marché et ses investissements notamment ceux réalisés ces dernières années ?

Mohamed Elmandjra :
Meditel fêtera ses dix ans dans quelques mois en mars 2010. Meditel, c'est aujourd'hui 8,5 millions de clients, soit près de 37% de parts de marché de clients, c'est aussi un chiffre d'affaires supérieur à 5 milliards de DH, plus de 1 000 collaborateurs directs et plus de 18 000 collaborateurs indirects. C'est un réseau qui compte plus de 3 000 stations de base et qui couvre 98% du royaume. C'est un réseau totalement indépendant avec une infrastructure indépendante. En d'autres termes, c'est un opérateur à part entière. Meditel n'a jamais été une filiale de Portugal Télécom ou de Téléfonica. Ces opérateurs qui avaient chacun une participation faisaient partie d'un tour de table. Le conseil d'administration de Meditel décidait des moyens à mettre en place et des investissements qu'il fallait réaliser. Ce sont essentiellement des investissements en infrastructures, réseaux radio et infrastructures internes avec tout ce qui est système d'information qui est l'un des systèmes d'information des plus avancés du Maroc. Il y a les autres investissements en formation, en construction de marques, en développement du réseau commercial et le chèque de 10,8 milliards, investissement conséquent pour la licence. L'investissement total cette dernière décennie a dépassé 25 milliards de DH.

Comment avez-vous apprécié l'opération de rachat des parts de Téléfonica et Portugal Télécom par Finance.com et la CDG ?

En tant que DG, je dois avant tout tenir compte des objectifs intrinsèques à l'entreprise. De ce côté-là, c'est une bonne chose pour l'entreprise : nous avons moins d'intervenants autour de la table et cela rend les choses plus simples. Avoir deux opérateurs, c'était, disons, compliqué d'autant qu'ils opéraient sur le même champ avec des stratégies différentes. La simplification du tour de table rend donc les choses moins difficiles. D'un côté plus émotionnel et en tant que Marocain, je dirai que c'est une belle opération pour le Maroc.

Connaissant la force de groupes tels que Telefonica implanté dans une cinquantaine de pays ou Portugal Telecom, l'absence d'adossement à des opérateurs internationaux pourrait-elle poser des problèmes d'ordre technique et technologique à Meditel ?

Absolument pas ! Meditel est un opérateur totalement indépendant. Au niveau des ressources humaines, les chiffres en témoignent. Sur les 1000 collaborateurs, nous avons 4 expatriés dont deux dans le secteur finance. Rien ne va changer ! Sur le plan technique et technologique, toute la partie opérateur de l'entreprise est à 100% propriété de Meditel. En d'autres termes, pour son service, Meditel n'est dépendant d'aucun autre opérateur national ou international. Nous avons notre propre machine et notre propre opérateur de machine. Nous sommes bien sûr dans un monde où les choses sont liées et enchevêtrées et nous avons des accords sur les connexions internationales, sur les services achetés. Ce sont des prestations de service qui vont se poursuivre, voire se multiplier.

Je repose ma question différemment : avez-vous toute l'expertise nécessaire pour pallier l'absence de synergies avec de grands groupes internationaux ?

Quand on est adossé à de grands groupes, il peut y avoir des synergies au niveau des centrales par exemple où on mutualise les achats, ce qui donne bien sur des avantages. Mais on n'a pas besoin d'être nécessairement liés par le capital pour mutualiser nos achats. Nous pouvons trouver des synergies de manière indépendante, mais je répète pour ce qui est des parties les plus importantes, à savoir la continuité technique et technologique et celle des ressources humanes, celles-ci sont absolument assurées.

Après la déclaration d'Anass Alami, directeur de la CDG, faisant état au cours de la conférence de presse de la possibilité d'ouvrir le capital à un opérateur télécom international, plusieurs opérateurs notamment arabes comme l'opérateur emirati Etisalat, l'opérateur Batelco (Bahrein telecommunications company) ont fait part de leur intérêt quant au marché nord-africain en général et quant à Meditel en particulier. Qu'en pensez-vous ?

Ce n'est un secret pour personne que les opérateurs arabes avaient des velléités de prendre des participations. C'est clair que le Maroc est un marché qui intéresse, que Meditel est une entreprise qui intéresse beaucoup. Dans le process de la cession des parts de Telefonica et Portugal Telecom, il y a des opérateurs arabes et non arabes qui ont montré un vif intérêt. Aujourd'hui, Meditel est une entreprise marocaine et ce qui change dans la donne, c'est qu'aujourd'hui les actionnaires de Meditel vont décider si oui ou non, quand et comment prendre un partenaire. Le critère de participation, et M. Alami l'a bien souligné, c'est que cela sera fait en fonction de la qualité du partenariat que les actionnaires pourront développer avec cet opérateur et de la valeur ajoutée qu'il pourra apporter à Meditel. L'optique est différente par rapport à une opération strictement financière. Le seul critère de l'argent n'est pas suffisant, il faut une valeur ajoutée vue par le côté marocain et par Meditel et non par l'opérateur intéressé.

Quelle serait cette valeur ajoutée ?

Je disais que nous sommes un opérateur indépendant, cela ne veut pas dire que nous n'avons rien à apprendre de personne. Il y a des opérateurs qui ont des expériences beaucoup plus avancées sur des marchés comme le marché marocain, il y a des synergies qui peuvent se développer si l'opérateur acquiert des participations dans des pays qui sont communs et où Meditel peut apporter son savoir-faire, il y a aussi au niveau de la participation et des expériences technologiques des choses à apporter. Si un opérateur opère dans un pays par exemple où l'Internet a une pénétration plus importante que celle qui existe au Maroc et qui sont en avance, on peut penser à des synergies.

Les dernières statistiques publiées par l'ANRT font état d'une stagnation du marché des mobiles après une forte croissance qui a atteint 75% de taux de pénétration avec 24 millions de mobiles. Quelle analyse faites-vous de l'évolution du marché et de son potentiel pour Meditel ?

Beaucoup ont interprété les statistiques de l'ANRT comme une stagnation du marché.
Si l'on regarde les quatre derniers trimestres, l'opérateur historique Maroc Telecom est passé de 14 211 000 à 14 288 000 clients, soit quelque 70 000 clients de plus.
Dans le même temps, Meditel a pris 1,4 million clients. Si le marché n'est pas en régression, c'est bien grâce à Meditel. Nous avons eu une évolution de notre parc qui est importante et nous avons cassé ces dix derniers mois ce rythme de stagnation qui était à 33% depuis deux ans pour gagner 4 points de parts de marché, passant de 33 à 37% en l'espace de deux trimestres !
Il faut nuancer les analyses qui sont faites notamment celle qui veut que quand le marché se tasse, Meditel perd des parts de marché, ce n'est pas vrai. Le marché peut se tasser, mais nous avons des parts de marché à prendre !

Avec un taux de pénétration de 75% pour les mobiles, le pic de croissance est déjà atteint ?

Non, dans l'industrie des télécoms, les taux de saturation sont évalués autour de 120 et 130% avec des cas extrêmes comme Dubaï qui a atteint 168% ! Nous en sommes encore loin ! D'autre part, la distribution des 24 millions que vous avez évoqués est différente selon que l'on parle des villes ou du monde rural.
Ce dernier est pénétré à 35%, il y a encore un potentiel énorme. Dernier point, sur le mobile, il y a effectivement une mesure du business par rapport au taux de pénétration, mais il y a aussi une mesure du business par rapport à la consommation et nous sommes loin, très loin de la saturation !

En termes d'axes de développement, il n'y a pas que le mobile ? Qu'en est-il de l'Internet ?

Sur l'Internet, nous avons de très bons résultats, nous avons fait une croissance à 3 chiffres, deux trimestres durant et d'affilée. Sans entrer dans les détails de comptage, il y a l'Internet haut débit, l'Internet bas débit, il y a le fait que Wana ayant une technologie 3G native comptabilise beaucoup de choses comme 3G parce que c'est leur technologie de base. Notre part de business de l'Internet évolue de manière rapide et nous avons été leader dans beaucoup de choses par rapport à la technologie Internet : nous avons lancé sur le marché le débit à 7.2 en janvier dernier et nous constatons qu'aucun opérateur n'a suivi parce qu'il n'ont pas les capacités technologiques.
L'Internet reste pour nous un segment porteur d'avenir, car le taux d'équipement des ménages en PC va s'accroître et que le segment entreprise est pour nous un gisement de croissance !

Y a-t-il des possibilités de synergie avec Wana ?

Avec Wana, le type de synergie que nous pouvons avoir c'est au niveau du partage des infrastructures.Nous le faisons déjà et nous le ferons de manière plus soutenue. Mais nous sommes et restons sur le marché trois entités commerciales différentes.

Au cours de la conférence de presse, vous disiez que Meditel n'a pas obtenu sa rétribution légitime en termes financiers, 36% de parts de marché ne générant que 20% des recettes du secteur. Comment expliquer cette différence ?

Meditel a eu beaucoup de mal à pénétrer les marchés publics, cela veut dire que nos 8 millions de clients ne sont pas de la même typologie que les clients de nos concurrents. Les choses commencent à changer, puisque nous avons eu le marché de l'ONCF, de Marwane, l'ONDA, le ministère de l'Equipement et du Transport, la CNSS…. Il y a aussi une autre partie qui est de la responsabilité de Meditel qui, dans les années 2004, 2005 et 2006, a misé totalement sur le mobile «particuliers». Nous n'avons pas investi d'autres champs et nous avons donc manqué certaines opportunités. Depuis 2008, nous avons changé de stratégie et nous voyons une évolution à 2 chiffres sur le marché entreprises privées et publiques. Il y a un gros rattrapage à faire et nous sommes confiants.

Avec la CDG et Finance.com, comme principaux actionnaires, faut-il s'attendre à un changement de stratégie ?

Les « nouveaux » actionnaires qui ne sont pas nouveaux puisqu'ils étaient présents dans notre tour de table précédent ont une optique et une vision purement Meditel, qui ne prend pas en considération l'idée de faire partie d'une stratégie régionale d'un autre opérateur, chose que nous avions avec Téléfonica et Portugal Telecom. En d'autres termes, la stratégie que nous avions auparavant devait non seulement servir l'entreprise mais aussi le groupe ou la division de laquelle elle dépendait ! Aujourd'hui, nous avons des actionnaires qui ne pensent qu'à maximiser Meditel. C'est un changement de prisme important. Le second changement, c'est d'investir sur le moyen et long termes sur cette entreprise qui est l'une des plus importantes du royaume, sur le très court terme parce que l'on a besoin de résultats qui vont être reportés à Lisbonne ou à Madrid !Nous avons aussi, comme l'a souligné M. Benjelloun, un potentiel de synergie à faire valoir en Afrique puisque le groupe Finance.com et BMCE sont présents en Afrique et que la CDG a une plateforme internationale. C'est le marché qui reste le plus ouvert, le plus porteur mais qui demande une stratégie à implémenter avec les bons moyens !

Vous avez décliné lors de la dernière convention Meditel votre stratégie 2009-2011. Garderez-vous les grandes orientations ?

Les axes stratégiques sont maintenus, à savoir Internet haut débit et la stratégie entreprise où nous avons mis beaucoup de moyens et construit de l'infrastructure a priori.
Nous sommes en train de devenir un partenaire privilégié des entreprises publiques et privées et la CDG en tant que grand groupe nous apporte une réelle valeur ajoutée. Le troisième axe plus petit et non moins important, c'est l'axe client haute valeur et postpayé ou nous avons engrangé des chiffres record ces derniers mois. Notre rythme d'acquisition des clients haute valeur est à peu près deux à trois fois supérieur à celui que nous avions l'année dernière. Tout cela, en nous assurant de garder notre position forte et de continuer à grignoter des parts de marché sur le prépayé.

Concernant la stratégie de long terme, comment une entreprise comme Meditel peut-elle contribuer à renforcer l'attractivité du Maroc dans la sous-traitance informatique offshore par exemple mais pas seulement qui a fait d'un pays comme l'Inde un géant de l'informatique ?

Quand un investisseur vient dans un pays, il s'enquiert d'abord de l'état des infrastructures et en particulier des infrastructures de télécommunications.
Vu le développement de notre réseau et de notre capacité au niveau du débit, nous contribuons déjà à cette attractivité. Il y a six mois avec le programme Africa gate, un réseau fédérateur qui a permis l'interconnexion de plusieurs réseaux reliant le Maroc à l‘Espagne sur une longueur de 2.520 km, les ramifications business pour le Maroc se sont renforcées. Nous avons aujourd'hui un réseau Meditel qui a une capacité énorme vers l'Europe qui se traduit à 6,2 millions d'appels simultanés vers l'étranger. C'est une infrastructure propre à Meditel et c'est quelque chose d'important pour les centres d'appels. Nous avons aussi des capacités DATA qui peuvent couvrir 10 fois les demandes d'aujourd'hui. Nous avons donc du potentiel au niveau des capacités.

Vous avez fait vos études, master en biophysique et doctorat en génie biomédical et une partie de votre carrière aux Etats-Unis. Vous avez également déclaré un jour «il faut se différencier et comprendre le marché marocain qui a des particularités à servir». Sommes-nous dans les bonnes options stratégiques ?

On ne peut pas venir au Maroc et prétendre appliquer des modèles extérieurs ! Il faut composer avec les particularités du Maroc : nous avons une économie dynamique qui fonctionne sur un marché restreint. Aux Etats-Unis, chaque secteur est un univers en soi. Au Maroc, les secteurs d'économie sont enchevêtrés. On a rapidement accès à tous les pans de l'économie, mais on ne peut pas opérer dans un secteur en pensant que l'on est dans une bulle qui n'a pas d'impact sur d'autres secteurs. Au niveau des consommateurs, il faut reconnaître que le marché est très friand de hautes technologies et de concepts avancés, mais d'un autre côté c'est un marché où le pouvoir d'achat est limité ! Dans d'autres pays, vous avez des consommateurs à pouvoir d'achat limité mais dont les envies sont aussi limitées, ou un pays où le pouvoir d'achat suit les besoins en hautes technologies. Au Maroc, notre force, c'est d'être avancé dans ce que l'on veut mais nous sommes conscients aussi qu'il ne faut pas créer des frustrations au niveau des consommateurs et concilier le manque de moyens.

Le recours en bourse de Meditel est-il envisageable ?

Je ne pense pas que l'on sera sur le NASDAQ, mais l'IPO et l'entrée en bourse continuera d'être une option stratégique pour Meditel. Maintenant tout est question de timing. C'est par rapport à un environnement économique et financier que cela se situe. Les résultats de Meditel lui permettent d'attendre et de ne pas rentrer en bourse. Entrer en bourse c'est souvent quand on a besoin d'argent. Nous ne sommes pas pris à la gorge, nos résultats sont bons. Certains rappelleront nos 500 M de résultats par rapport à 9 MM de l'opérateur historique, mais nous avons fait un choix. Nous avons choisi de payer notre dette à un rythme de 20% par an. En un an, nous avons payé près de 2 MM DH, et à ce rythme-là nous aurons terminé de la payer en deux ans et demi. Payer sa dette et avoir des investissements très soutenus, c'est une stratégie de long terme. Le secteur des télécommunications a une importance nationale et internationale, c'est un secteur stratégique qui a été très bien géré au niveau national et auquel les responsables accordent beaucoup d'importance.
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