Spécial Marche verte

La société civile entre en ligne

Nouveaux rebondissements dans l'affaire de la petite Shirine. La mère, Houda Amal Belhaj, accusée de pratiquer avec deux étrangers des sévices sexuels sur sa fille, recourt à la société civile pour faire entendre sa voix. Et c'est l'association Touche pas à Mon Enfant qui a pris sa défense, en organisant jeudi 2 septembre à Rabat, une conférence de presse en guise de soutien à cette dame quadragénaire.

Le frère de la petite Shirine a démenti les propos de sa mère devant un public qui se tient au garde-à-vous. Ph. SAOURI

05 Septembre 2010 À 14:46

Une masse importante de journalistes et d'acteurs associatifs a répondu présente à l'invitation de l'association pour voir plus clair dans l'« affaire Shirine » qui a provoqué, quelques années plus tôt, un tollé général dans la société et la presse marocaines. Pour prendre les faits à rebours, cette affaire a éclaté en 2007, lorsque Majid Belhaj Soulami a intenté un procès de divorce contre Houda Amal Khayam après 14 ans de mariage. Depuis, la vie de leur fille Shirine, une gamine de 7 ans alors, a basculé et n'a jamais repris son cours normal. C'est qu'il ne s'agissait pas d'un procès de divorce anodin comme les tribunaux en regorgent. Majid, le père de la petite y a mis des accusations gravissimes à l'encontre de la maman Houda.

A l'en croire, elle serait adepte d'une secte d'inspiration occidentale du nom de Mandarom qui exalte la pédophilie et les relations sexuelles extraconjugales. Dès lors, M. Belhaj a accusé son ex-épouse d'adultère et, pire encore, de commettre des abus sexuels sur leur fille, en complicité avec deux ressortissants français qui seraient, eux aussi, membres de la dite secte. Pendant les trois années précédentes, l'affaire a été riche en rebondissements. Houda, décidée à poursuivre en justice son ex-époux pour diffamation et fausses accusations, obtient gain de cause auprès de la Cour d'appel de Rabat ainsi que de celle d'Aix-en-Provence qui estime que « les documents produits étaient insuffisants pour établir que la mère était membre d'une secte ou sous l'influence d'un groupe sectaire ». Pour autant, Houda n'était pas au bout de ses peines.

C'était la question de la garde de Shirine qui constituait la pomme de discorde. Disculpée du chef d'accusation, Houda se lançait dans un autre combat acharné pour obtenir la garde de sa fille. Un combat qui n'était pas gagné d'avance, étant donné que les tribunaux de Rabat ont rendu leur verdict en faveur du père. L'avocat de Mme. Khyam a obtenu auprès du Tribunal de la famille de Rabat de suspendre la procédure d'exécution du jugement. Faisant fi de la loi, le père enlève manu militari la petite des bras de sa maman et ce, en pleine voie publique. Houda dépose alors une plainte pour enlèvement de mineure, et c'est parti encore pour une série de procès intentés de part et d'autre, chacun revendiquant son droit à la garde de la petite. Depuis, c'est le statu quo qui prévaut.

Cela fera bientôt un an que Shirine vit avec son frère Karim sous le toit paternel et n'a plus de contact avec sa mère qui n'a maintenant que ses yeux pour pleurer. Minée par le chagrin, celle-ci a perdu 40 kilogrammes et déclare mourir à petit feu loin de ses deux enfants. D'autant plus que, selon sa version des faits, les conditions de leur « séjour » chez leur père sont loin d'être reposantes. « Suite à son enlèvement, Shirine a été déscolarisée et renfermée dans une chambre par son papa qui cherche par tous lesmoyens à lui bourrer le crâne et à la remplir de haine envers moi. Son complot s'est étendu même à notre fils Karim, âgé aujourd'hui de 17 ans, qu'il cherche sans vergogne à impliquer dans ce conflit en le poussant à donner de faux témoignages.

Que sera-t-il après, quand il grandira et s'habituera au mensonge, sinon un délinquant ou un criminel ? », se demande Houda, laissant libre cours à ses larmes. Sur ces entrefaites, et comme un coup de théâtre, Karim fait irruption dans la salle et cherche à tout prix à prendre la parole pour apporter un démenti formel aux allégations de sa maman. « La justice a d'ores et déjà donné son verdict : c'est papa qui a la garde définitive de Shirine. D'ailleurs, ma sœur se porte très bien en notre compagnie et son sourire radieux ne la quitte jamais », martèle le garçon, sans broncher, devant un public qui se tient au garde-à-vous.

Et, tous les projecteurs braqués sur lui, Karim termine son mot qui a jeté le trouble dans la salle en appelant sa maman à tourner la page du passé et à revenir « à la maison ». Aussitôt dit, le jeune garçon prend congé et quitte les lieux sous les regards abasourdis du public. Son comportement n'a pas manqué de susciter la réprobation des conférenciers, en premier lieu Najat Anouar, présidente de l'association Touche pas à Mon Enfant qui y voit un coup savamment orchestré et « une preuve tangible que le petit a été instrumentalisé par son père et qu'il a reçu des instructions pour venir perturber la réunion et s'en aller, une fois sa mission terminée, sans souffrir écouter la réponse à ses allégations », soutient-elle.

De sa part, Mustapha Rachdi, l'avocat de Houda Khayam, considère que par de tels agissements, le père de Shirine cherche, par le biais de son propre fils, à « faire sensation et manipuler l'opinion publique », surtout que le concerné avait déjà publié des accusations calomnieuses à l'encontre de son ex-épouse dans la presse. Avant de « lever la séance », Najat Anouar a tenu à souligner que son association ne mettra pas les pouces, qu'elle va soutenir la maman et sa fille jusqu'au bout et qu'une série de sit-in est prévue dans les jours à venir en solidarité avec Houda Khayyam et sa fille Shirine.

Qu'en disent les médecins ?

Dans leur combat acharné pour obtenir la garde de Shirine, ses parents ont utilisé les certificats médicaux attestant de l'état psychologique de la fille comme pièces de justification qu'ils ont inclu dans leurs dossiers. Ces certificats sont contradictoires à plus d'un égard. Interpelé par Houda Khayam, François Jourdan, psychologue clinicien au Centre Hospitalier du Pays d'Aix, a attesté en 2008, après examen psychologique de la gamine, qu'elle « ne présenterait pas de troubles ou anomalies susceptibles d'affecter son équilibre psychique ».
Par contre, docteur Abdellah Ouardini, psychiatre marocain, a produit en 2009 un certificat médical d'arrêt de scolarité, attestant que Shirine était « psychologiquement perturbée » et que « sa scolarisation est un danger pour sa sécurité et sa santé physique ». A noter que Shirine a retrouvé, il y a quelques mois, le chemin de l'école après une rude bataille menée par sa mère.
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