Entretien avec l'artiste-photographe Leila Alaoui, autour de l'exposition «40» qui se tiendra en septembre à la villa des arts de Rabat.
Leila Alaoui
LE MATIN
26 Août 2010
À 15:27
Le Matin : Comment vous définiriez-vous : journaliste, photographe, une femme multimédia ou encore artiste, comment on vous découvrira à la villa des arts de Rabat ? Photographe ?
Leila Alaoui : Oui. Une femme multimédia ? C'est vrai que je me suis toujours sentie un peu « multi….» pour beaucoup de choses ! Multiculturelle par mon identité franco-Maroco new yorkaise…multidisciplinaire tout au long de mes études supérieures à New York. J'ai commencé par le cinéma et les sciences sociales (sociologie/anthropologie) avant d'être diplômée en photographie. MultiMedia… aussi, d'ailleurs J'ai toujours voulu faire des films documentaires, mais je suis trop têtue et trop indépendante pour travailler en équipe, je me sentais plus « libre » en étant photographe. En ce qui concerne l'expo photo 40 à la Villa des arts de Rabat, ce n'est pas tellement moi que vous allez découvrir, mais plutôt 40 artistes marocains dont nous connaissons surtout les travaux mais pas souvent les visages !
Que représente la photographie pour vous ?
La photographie me permet de mêler toutes mes passions: être à la fois créative et engagée sur des sujets qui m'interpellent, aller à la rencontre de l'autre et voyager.
D'où vient votre inspiration ?
Les photographes de l'agence Magnum (Abbas, Steve McCurry, Jim Goldberg, Salgado…), m'ont particulièrement inspiré. Ils ont pris des documents sur le monde, les guerres, les sociétés à travers des photographies esthétiquement fortes. J'aime les images qui ont une forte valeur artistique tout en ayant à la fois une grande portée politique et sociale. Les images qui « subliment » la violence ont un message beaucoup plus profond, elles nous touchent plus sensiblement, et quelque part elle créent en nous un sentiment de responsabilité et de révolte. Pour moi ces photographes sont non seulement d'excellents artistes mais ils nous permettnte aussi d'ouvrir les yeux sur des réalités que nous préférons souvent ignorer.
Qu'est ce qui vous plaît le plus: faire des photos, des livres ou des expositions ?
Je dirai que c'est plus la démarche de mes projets qui m'intéresse le plus. Les photos n'en sont que le résultat. Quand j'ai fait mon premier reportage sur les Harragas, j'ai dû m'investir physiquement et psychologiquement dans mon projet. J'ai dû habiter dans les familles des migrants pendant plusieurs semaines et vivre leur réalité au jour le jour. Les photos de «No Pasara » reflètent bien cette expérience. Je n'aurai jamais pu avoir ses images sans avoir vécu des moments aussi forts. Pareil pour le projet «40», Leila Belabbes et moi nous nous sommes beaucoup amusées en faisant le projet. Elle a écrit les textes qui accompagnent les portraits, mais elle a aussi été présente pendant tout les sessions photos et les rencontres avec les artistes.
Avez-vous des regrets par rapport à des images en tant que photographe ?
Il m'arrive très souvent de ne pas pouvoir capturer certains instants. Mais Je préfère avoir une conscience tranquille plutôt que de voler des images.
Aujourd'hui, quel est votre grand projet ?
Je travaille sur un projet de portrait beaucoup plus conceptuel et plus contemporain que mes travaux précédents. Mais je préfère le garder secret pour le moment… Tout ce que je peux vous dire, c'est que je sillonne le pays avec un studio photo portable. Et Après le Maroc, j'appliquerai la même démarche dans d'autres pays d'Afrique… d'ailleurs je reviens tout juste du Kenya.
Un mot sur l'exposition qui aura lieu en septembre...
L'exposition photo "40” à la villa des arts de Rabat réunit des portraits d'artistes plasticiens et visuels marocains de toutes générations et styles confondus qui reflète le monde de l'art contemporain marocain. L'expo va aussi présenter le livre "40” dont les photos sont extraites. Le livre qui réunit mes photos, mais aussi les textes de Leila Belabbes et les dessins des artistes, a été édité par la CGEM. Une partie de l'exposition "40” montrera aussi les dessins et œuvres que les artistes nous ont gracieusement offerts au cours du projet. ------------------------------------------------------------------
Le regard de Leila Alaoui
Pour cette artiste, la photographie est un art, une passion qui va dans le sens des problématiques que traverse notre société. Loin de l'aspect péjoratif que représente ce que l'on appelle la photographie de presse, elle fait partie de ces artistes-photographes qui restituent à la photographie ses lettres de noblesse en l'investissant d'une touche sociale et humanitaire qui font toute la différence. C'est ce qu'a voulu faire Leila Alaoui, qui laisse parler ses photos empreintes de réalisme issus du vécu des personnages, des instants, qu'elle réussit à capter grâce à son objectif à travers lequel on réussit à voir un autre visage, différent de celui que nous connaissons, que nous voyons dans la vie. Et puis soudain, on sent quelque chose de plus…c'est le regard de Leila Alaoui qui nous restitue une part du réel auréolé de quelque chose d'autre dont chacun devra trouver une définition à la hauteur de ses visions.