Lors de la conférence «Soufisme et Société », organisée par la Fondation ONA dans le cadre des soirées ramadanesques, le Dr Faouzi Skali, spécialiste du soufisme a soulevé la question pertinente de la spiritualité qui, d'après lui, prend un sens tout à fait particulier à notre époque, parce qu'elle implique une réflexion sur le rôle qu'elle peut jouer à un niveau social.
Le soufisme au Maroc possède une importance centrale et fait partie des piliers de la tradition de l'Islam
LE MATIN
05 Septembre 2010
À 14:31
« C'est un chemin de travail, de transformation et d'amélioration de soi qui aboutit à des conséquences directes sur le plan relationnel, notamment social. Il faut avoir une conscience collective sur un plan spirituel, car nous sommes, actuellement, dans un monde où un paradigme, en quelque sorte global, dure depuis ces dernières décennies se basant sur le fait que le développement matériel est la base de toute forme de développent humain. Ce progrès linéaire et permanent étant devenu une sorte de nouvelle religion, c'est-à-dire que dans ce développement, il y a une sorte de progression continue. Donc, nous sommes en train de basculer dans un autre paradigme qui nécessite une prise de conscience. Et c'est là où l'on peut parler de spiritualité collective et de l'importance de la culture spirituelle et des ressources spirituelles qu'on peut trouver dans notre propre histoire et patrimoine pour pouvoir utiliser ces sources de sagesse, d'expérience dans notre vie quotidienne et dans la transmission de ce projet sociétal commun dans la production d'une forme d'intelligence collective.
Car il ne peut pas y avoir de développement sans cette conscience collective. Cela prouve qu'il y a aussi une évolution matérielle nécessaire pour une société, mais qu'elle est impossible à concevoir en dehors d'un aspect qualitatif et non pas simplement quantitatif et qui est celui des valeurs spirituelles, des modes d'être, de culture, d'art et de conception de la vie », explique l'anthropologue Faouzi Skali. Et d'ajouter que ce paradigme est beaucoup plus en adéquation avec les besoins de notre époque. Car une croissance sans cette dimension humaine et spirituelle, conduit à une espèce de cataclysme généralisé. « Je pense que dans le monde musulman, le soufisme peut jouer un rôle fondamental de ce point de vue là et peut constituer le moteur d'une transformation de la société ».
Sachant que le soufisme au Maroc possède une importance centrale et fait partie des piliers de la tradition de l'Islam, le Dr Faouzi Skali assure qu'on peut retrouver un certain nombre d'éléments tout à fait appropriés pour lancer cette nouvelle perception du développement de l'Humain de manière générale.
Pour lui, ce sera une nouvelle forme de mobilisation de ces ressources spirituelles qu'il faut intégrer dans ce processus de développement afin de participer à une forme de transformation sociale. Quant à la capacité spirituelle d'inspirer une pensée sociale et politique, M.Faouzi Skali a soulevé la question posée continuellement, à juste titre, sur tous les dangers que peut engendrer la relation entre religion et politique, un des problèmes majeurs lorsqu'il y a une forme d'instrumentalisation de la religion par le politique. «Mais, je pense que l'erreur est dans la conception du rapport établi entre cette dimension. Évidemment, la religion a forcément des aspects politiques. Elle fait partie de l'échange, des règles sociales,... Donc, le processus de travail doit aller dans le sens où la spiritualité doit œuvrer à élever les valeurs du comportement, de l'éthique personnelle, des valeurs humaines et sociales de telle manière qu'elles puissent inspirer une perception noble de l'action politique et des finalités politiques. Mais, également, tout ce qui est en rapport avec les enseignements, social économique et culturel.
Et donc, je pense que ce travail doit être amené à être compris, parce que les différences sont très subtiles et ce n'est que par la pratique et la compréhension d'une politique citoyenne qu'on peut assumer cette responsabilité. Nous avons besoin d'une science de spiritualisation du concept non pour théologiser la politique mais pour la lier non pas à une forme d'idéologie, mais à une forme de comportement, d'éthique et de perception de finalité qui permet d'élever et d'anoblir le métier de la politique, dont nous avons besoin non seulement dans notre pays mais aussi de par le monde ». F.Skali ajoute, à cet effet, que la décrédibilisation de la politique vient du fait qu'elle s'est complètement déspiritualisée. «Il y a un processus d'acculturation qui a marqué l'identité de l'histoire marocaine. L'imprégnation culturelle est très importante dans ce sens.
Communiquer cet esprit dans l'éducation scolaire, universitaire et à travers les nouvelles conceptions de l'acte politique, peut aboutir à une nouvelle conception de la société en général. L'apport du soufisme aujourd'hui peut, donc, devenir une source d'inspiration très intéressante qui peut amener à des solutions innovantes. Une sagesse qu'on peut s'approprier en se ressourçant vers des formes nouvelles très pertinentes pour notre avenir ».
Entre d'autres points débattus dans sa conférence, M.Skali a relevé l'enjeu que pourrait constituer aujourd'hui un renouveau spirituel dans le monde musulman, et au-delà, tout en évoquant un certain nombre d'idéologies qui sont nées pour être salvatrices par rapport au monde musulmans, comme, par exemple, les frères musulmans, les ouahhabis, entre autres, et qui furent la source de véritables drames dans le monde musulman bien qu'elle dénotent d'une volonté de réformer ce monde et lui redonner la place qui lui incombe. « On se rend compte qu'à côte de ce simplisme et ce réductionnisme, il y a un combat.
Un parcours imprégné de soufisme
Docteur en anthropologie, ethnologie et sciences de religions, Faouzi Skali est, également, écrivain francophone qui œuvre pour le dialogue des hommes et des cultures. La fin de ses étude a été marquée par sa soutenance d'une thèse à Paris-Sorbonne sur « Les Saints et les Sanctuaires » de Fès. Mais déjà à l'âge de 23 ans, sa lecture du « Livre du dedans » de Jalâl ud Dîn Rûmî, traduit en français par Eva de Vitray-Meyerovitch, l'oriente vers le soufisme, dimension mystique de l'islam. Un an plus tard, il rencontre Sidi Hamza al Qâdiri al Boutchichi dont il devient le disciple. Membre du Groupe des Sages nommé par le président de la Commission européenne, Faouzi Skali a contribué à la réflexion sur le « Dialogue entre les peuples et les cultures dans l'espace euro-méditerranéen ». Il est, par ailleurs, le fondateur-directeur du colloque international « Une âme pour la mondialisation », depuis 2001 comme il a été à l'origine du « Festival des musiques sacrées de Fès », fondé depuis 1994. Son riche parcours compte, aussi, la fondation, en 2007, du Festival de la Culture Soufie à Fès.