Des relations conflictuelles entre des frères et sœurs, des parents qui ne savent plus où donner de la tête : problème très fréquent.
LE MATIN
21 Janvier 2010
À 15:59
Se chamailler, se bagarrer, hurler... Les relations entre les frères et les sœurs peuvent être tendues et ce n'est pas toujours facile de gérer tout cela. Il faut savoir que la dispute des frères et des sœurs est logique ! Ils sont rivaux puisqu'ils sont contraints de partager l'amour des mêmes parents. Les relations fraternelles sont par nature contradictoires : un mélange d'amour et de haine, qui s'explique par la rivalité spontanée entre les enfants d'une même fratrie.
Ils sont à la fois très proches, en tant que parties d'un groupe de même génération, face aux adultes en général, et aux parents en particulier, et très opposés car luttant pour obtenir la suprématie dans ce groupe (même s'il ne s'agit que de deux enfants) et vis-à-vis des parents. Cette lutte pour prendre le dessus n'est heureusement pas éternelle. Elle n'est pas non plus linéaire ; chacun des enfants peut l'obtenir à son tour, ou en même temps, dans des domaines variés comme prendre le dessus pour obtenir un jouet, mais avoir le «dessous» pour être servi le premier, être le meilleur en sport, mais le second à l'école, etc. Mais cette «haine» qui éclate pour des raisons futiles disparaît souvent rapidement, ce qui exprime l'amour fraternel. Beaucoup d'enfants se mettent à rire ou à jouer ensemble une minute après s'être tiré les cheveux.
Lorsque la différence d'âge entre l'aîné et le cadet est supérieure à trois ans, l'aîné n'apprécie pas souvent l'attention soudaine portée au nouveau venu. Quant au cadet, il envie les avantages "injustes" accordés au grand. Lorsque l'écart est faible, les frères et sœurs se chamaillent, car ils sont sur le même terrain, dans une situation de constante rivalité. Les disputes entre frères et sœurs sont donc normales. Mais elles sont toujours difficiles à supporter pour les parents. D'autant plus qu'elles les renvoient à leurs propres conflits familiaux non soldés, donc il faudrait poser des limites. Les enfants ne doivent pas se battre pour éviter une punition. De même, il faut leur apprendre à mesurer le sens des mots et interdire les insultes. En revanche, mieux vaut éviter de se mêler et surtout de prendre parti dans une dispute dont il est impossible de connaître l'origine exacte.
L'intervention peut toutefois se justifier par une approche constructive. Les parents peuvent par exemple inciter leurs enfants à négocier pour trouver un terrain d'entente. Parfois, ils sont amenés à intervenir pour se protéger eux-mêmes. Fatigués par leur journée, ils peuvent aspirer à un peu de sérénité et ordonner à leurs enfants de poursuivre leur dispute dans leur chambre. Si les éclats de voix se poursuivent à table, ils peuvent les forcer au silence le temps du repas pour régler leur différend après.
Au-delà de la gestion du conflit lui-même, il faut aider chacun à construire son propre territoire, pour sortir de la logique de comparaison. Bien sûr, cet objectif est plus facile à atteindre si chacun peut s'isoler dans sa chambre. Mais on peut aussi aider deux frères à dépasser leur rivalité en les orientant vers des activités sportives différentes. En tout état de cause, il faut toujours consacrer du temps séparément à chacun de ses enfants. Enfin, il ne faut pas dramatiser les conflits. En dehors du cercle familial, des frères et sœurs "ennemis" se révèlent souvent solidaires. Les années aidant, une complicité peut s'installer et perdurer quand ils deviennent à leur tour parents.
Quand jalousie devient violence !
Si les conflits sont infinis, les parents peuvent essayer d'y remédier en mettant en avant les qualités de chacun et en évitant les comparaisons excessives qui peuvent virer à l'obsession. Aussi, il est conseillé de les laisser résoudre leur problème entre eux car cela peut leur apprendre des notions utiles comme le compromis, le partage et l'entraide. Néanmoins, la jalousie n'est pas seulement positive. Elle signifie aussi une souffrance de l'enfant, celle de se sentir moins aimé que l'autre. Lorsque la jalousie est exprimée par la violence, il faut faire attention. Si l'enfant s'isole, c'est aussi un signal d'alarme. Cela peut se manifester par des régressions, des colères, un repli sur soi ou des troubles du sommeil et de l'alimentation. Dans ce cas, il est nécessaire de s'intéresser plus à lui et tâcher de le rassurer sur sa place dans la famille.
Une mère peut expliquer à son enfant que l'amour se multiplie, et ne se divise pas entre enfants. Etre un peu jaloux c'est bien, mais trop de jalousie empêche d'aimer en paix. Les parents devraient trouver du temps à passer avec chacun. * Journaliste stagiaire
EXPLICATION : Amine Benjelloun • pédopsychiatre. «Chaque enfant a sa propre histoire au sein de la famille et du couple»
Pourquoi on dit que les relations conflictuelles entre frères et sœurs sont normales ?+ Quand on revient aux mythes originaires, on retrouve le meurtre du frère par le frère. Pareil dans les trois grandes religions : judaïsme, christianisme et Islam. Elles commencent toutes par le meurtre du frère, du double, Caïn tuant Abel. Idem, quand on revisite la fondation de Rome, avec Romus et Romulus. C'est dire l'importance d'avoir sa propre place, de ne pas être le double, d'exister pour soi et non pas dans l'ombre de l'autre. Comment puis-je aimer et accepter cet autre qui est presque comme moi, qui a presque la même histoire familiale que moi, qui a les mêmes parents que moi, avec qui je dois partager, cohabiter, exister, à qui on me compare toujours, en bien ou en mal ? Ne puis-je pas exister par moi-même ? Dès lors, un peu de violence est quasi obligatoire pour définir son territoire, ses jouets, sa place dans la famille, ses choix (l'échec peut-être un choix, aussi).
Que doivent faire les parents lors d'une dispute ? Donner à chacun sa place précise, donner à chacun un temps individuel propre à lui. Pas de comparaison, chaque enfant a sa propre histoire au sein de la famille et du couple. Les parents ne peuvent pas être toujours au centre des relations entre les frères et les sœurs. Ils ne doivent intervenir que si cela va trop loin.
Que peut-on faire lorsque cette jalousie devient grave ? D'abord, la prévenir et ne pas l'alimenter. Les parents ont leur préféré, chacun dans la famille le sait. Tout comme dans les familles maltraitantes, il y a toujours une tête de Turc, un bouc émissaire, qui s'en prend de partout (généralement, c'est le plus fragile, et ses fragilités se trouveront aggravées). Aux parents de lutter contre leurs penchants naturels. Par exemple, ils ne doivent jamais donner à un frère un ascendant sur les autres, un rôle de tuteur ou de gardien: c'est hypothéquer lourdement l'avenir de la fratrie.
A quel âge la jalousie devient-elle très fréquente ? Il n'y a pas d'âge pour être jaloux. Cela se produit dès que l'on a compris qu'on était un différent du père et de la mère, c'est-à-dire dès la fin de la phase de séparation individuation, un peu avant les 18 mois de vie.
Quels sont les moyens à appliquer pour que les relations entre frères et sœurs soient stables ? Encore une fois, en donnant de l'attention à chacun, en ne comparant jamais, et en valorisant chacun, seul, et en public, à tour de rôle.