Pouvons-nous tenter de pénétrer dans l'univers du cheval d'élevage, si mal connu des ''profanes que nous sommes''? L'univers de ce cheval d'Etat, que l'Etat entretient et protège, pour lequel l'Etat a construit un établissement spécifique, consacré à lui exclusivement? Évidemment, c'est un univers particulier, avec ses codes, ses règles, ses objectifs où les pensionnaires font l'objet des soins les plus attentifs : le haras.
LE MATIN
20 Octobre 2010
À 14:35
El Jadida possède le plus ancien des haras du Maroc. Il est facile à trouver, même si son apparence extérieure est discrète. Sur la route de Casablanca, à quelques 3 km du centre-ville d'El Jadida, tout près de l'hippodrome, une bâtisse cernée d'un mur blanc fait l'angle avec le grand boulevard qui contourne la cité, la nouvelle avenue Jabrane Khalil Jabrane... Passé le porche d'entrée, de style arabo-mauresque, en pénétrant dans la cour d'honneur, circulaire, avec en son milieu, une fontaine revêtue de faïence; de part et d'autre, on y trouve des allées et des boxes. Le haras s'étend sur une superficie d' environ six hectares . Outre la centaine de boxes et la cinquantaine de stalles, il y a des dépendances et des ateliers : une forge, une sellerie, une menuiserie et naturellement une infirmerie. D'ailleurs, les directeurs de l'établissement sont aussi vétérinaires.
Les différentes races sont: le cheval barbe, le plus marocain de tous, qui doit son nom au fait qu'il était ''la monture préférée des Berbères''. Puis le cheval arabe, venu d'Orient à la faveur des avancées de l'Islam et des croisements qui ont donné l'arabe-barbe, le pur-sang arabe et le pur-sang anglais… et l'andalou… qui est barbe, qu'il le veuille ou non…. Chaque cheval a ses caractéristiques, son pédigrée, sa carte de visite, son ''passeport''. Et les contrôles sont extrêmement rigoureux. « Le cheval est l'un des animaux sur lesquels on ne peut pas se tromper. Car chaque cheval a un signalement spécifique…Mais, pour arriver à cette classe-là, explique le Dr El Arabi Agountaf, médecin vétérinaire, il a fallu des siècles de travail. Les meilleures espèces mélangées aux meilleurs spécimens, on obtient forcément les meilleurs étalons, et c'est là le rôle essentiel du haras. Préserver la race et l'améliorer.
Et mettre ainsi à la disposition des éleveurs et des agriculteurs les meilleurs chevaux possibles pour le meilleur rendement possible.». Créé, en 1913, par le maréchal Lyautey, le haras d'El Jadida fut le premier haras en terre marocaine. Cet établissement avait à l'origine une vocation purement militaire. Certes, il y avait une jumenterie à Témara, mais elle s'avéra vite insuffisante pour les nécessités de l'armée française. Alors, il fut décidé de promouvoir l'élevage équin et d'assurer et contrôler la reproduction pour les besoins du Maroc mais aussi de la France. En chevaux mais également en mulets…. Autrefois, ce haras était un établissement militaire, commandé par des militaires… Et il le resta plusieurs années jusqu'en 1946, où il passa au civil, sous la tutelle du ministère de l'Agriculture et des Services vétérinaires, mais avec une organisation de type paramilitaire; puis, avec la mécanisation de l'armée, le haras d'El Jadida s'est réorienté vers les sports équestres… Après une éclipse de quelques années, le haras d'El Jadida a repris ses activités en 1972, quand le procureur du Roi de l'époque, Ahmed Lakhdar, grand amateur de chevaux, a fait revivre le club équestre, avec concours hippiques nationaux, sauts d'obstacles… D'autre part, il y a une dizaine d'années encore, le haras d'El Jadida avait compétence sur plusieurs provinces : El Jadida, bien sûr, mais aussi Settat, Casablanca, Rabat…Mais depuis l'ouverture officielle du haras de la casbah de Bouznika, en 1995, sa zone d'action s'est vu réduite aux deux provinces d'El Jadida et de Settat.
Quelles sont donc ses activités actuelles? « Notre but essentiel, dit le Dr El Arabi, c'est de mettre à la disposition des privés, agriculteurs ou éleveurs, des étalons pour qu'ils puissent assurer une reproduction de chevaux sains et robustes. Nous possédons ainsi des stations de monte, autrement dit, des lieux où les étalons amenés d'El Jadida viennent rencontrer des juments pour s'accoupler. Nous en avons cinq dans la province d'El Jadida (El Jadida, Chtouka, Arbâate El Âounate, Ouled Frej et Khemis Zemamra), et huit autres stations réparties dans la province de Settat. Nos étalons se rendent dans ces stations, accompagnés d'une équipe technique de notre haras. Nous pratiquons aussi l'insémination artificielle. Et tout cela gratuitement!». Puis, il se fait un peu critique : « Le nombre des propriétaires de chevaux augmentent, celui des chevaux aussi, les élevages augmentent en conséquence, mais les capacités du haras sont limitées. Nous ne pouvons répondre à la demande, faute d'étalons en nombre suffisant et faute d'effectifs conséquents… Nous abandonnons donc peu à peu notre vocation première au profit de la simple gestion…Et cela peut entraîner un déclin de la production équine…».
Notons à la fin qu'il y a un club équestre privé au sein du haras d'El Jadida. Et ce dans l'espoir de le développer, en incitant les jeunes à s'adonner à ce sport si noble qu'est l'équitation. Le week-end, des enfants, garçons et filles, culottes de cheval, sticks, bottes et casquettes, viennent tourner manège ! Leurs éclats de rire parsèment leurs cours d'équitation et les allées du haras. Ils connaissent tous les chevaux par leurs noms et tous veulent devenir cavaliers ! Le cheval, c'est leur passion. À signaler aussi que le haras d'El Jadida pourrait mettre sur pied des circuits de randonnées à cheval, comme il en existe dans la région de Meknès… Pensez ! Pour aller à Boulaâouane, une demi-journée suffirait. Mais il faut mettre en place une logistique adaptée. C'est faisable s'il y a derrière ''un moteur qui pousse''…!
Organisation des fantasias
L'autre activité du haras, que beaucoup ne connaissent pas : c'est l'organisation des fantasias. C'est une équipe technique du haras qui contrôle les chevaux des moussems; quelques fois, certains chefs de troupes veulent un cheval «hors genre» pour paraître plus haut et plus rapide, et cela peut donner des croisements anarchiques… Le rôle du haras est d'éviter ces dérives. C'est la direction du haras qui participe au jury des fantasias…Comme elle contrôle les courses hippiques : C'est une équipe technique du haras qui vérifie l'état des chevaux, elle s'assure qu'il n'y a pas de tricherie, car on peut doper un cheval tout comme les sportifs, et des fois, à l'insu même de leur propriétaire…et elle veille très scrupuleusement à ce que tout soit régulier.