Spécial Marche verte

Périple dans le refuge animalier de Bouskoura

Sur la route de Bouskoura, à une vingtaine de kilomètres de Casablanca, le siège du refuge animalier de l'Union Marocaine pour la Protection des Animaux passe presque inaperçu.

Elise Baron en train de soigner un cheval souffrant de coliques.

21 Février 2010 À 12:48

Construit sur un vaste terrain à proximité du douar Drabna, ce refuge vu de loin a plutôt l'apparence d'une auberge déserte. Au fur et à mesure qu'on s'en approche, on entend des cris distincts qui renseignent sur les habitants spéciaux des lieux qui ne sont autres que des chiens, des chats, des ânes et des chevaux de différentes races, couleurs et tempéraments, portant tous la même étiquette d' « animaux abandonnés ». Depuis déjà 58 ans, le local aménagé de l'UMPA sert de refuge aux animaux « en détresse ». Qu'ils soient malades, blessés ou tout simplement lâchés dans la nature, ils sont accueillis à cœur ouvert dans cet espace de 1.600 m², le temps nécessaire qu'ils reconstituent leur force. Le règlement en vigueur au sein du refuge est strict et respecté au pied de la lettre : chaque nouveau venu est soumis à son entrée à un examen par un vétérinaire. En fonction de son état de santé, l'animal est destiné soit à l'euthanasie soit à l'adoption pendant quatre mois au maximum par l'UMPA.

Dans le deuxième cas, l'animal est obligatoirement vacciné contre la rage et stérilisé « afin d'éviter la surpopulation », nous explique Elise Baron, trésorière de l'UMPA et amie dévouée des animaux. «La stérilisation est un confort pour l'animal qui n'a pas ainsi de petits à prendre en charge, pour ceux qui vont l'adopter et pour nous qui disposons d'un espace restreint et de moyens financiers trop faibles pour pouvoir entretenir de nombreuses bêtes. Déjà, nous nous démenons pour assurer la prise en charge des animaux existants. Cela génère des frais conséquents, notamment en matière de soins et d'aliments qui coûtent extrêmement cher», déplore-t-elle.
Dans une niche bien aménagée, une chatte qui a subi récemment une opération de stérilisation passe sa période de «convalescence». « Dans quelques jours, après qu'elle soit complètement rétablie, elle va être mise dans la chatterie avec d'autres chats », explique le technicien chargé des soins.

Dans la chatterie
La chatterie en question est un petit espace joliment décoré qui rassemble près de 30 félins de différentes races. Au moment de la visite, les chats étaient en train de prendre leur repas du soir constitué de croquettes offertes en don par des entreprises spécialisées. Chaque chat a une histoire mouvementée qui commençait dans les marchés de Casablanca d'où ils sont recueillis, et finissait dans ce refuge animalier où ils sont protégés momentanément contre les aléas de la rue. Malgré leurs différences intrinsèques au niveau de l'âge, de la forme et des comportements, ces félins s'entendent à merveille. Rien de plus naturel, puisqu'ils sont logés actuellement à la même enseigne. Sans doute, ils tirent de leur présence dans le refuge et de la compagnie agréable d'Elise une quelconque consolation, mais «le refuge n'a jamais été la place idéale pour un animal», insiste Elise, et d'ajouter, en caressant affectueusement un chat : « On aura beau l'aimer et l'entourer de soins et de prévenances, il aura toujours besoin pour son épanouissement de l'ambiance familiale et de la chaleur humaine qu'il ne peut trouver qu'au sein d'un domicile familial et nulle part ailleurs ».

Dans la chambre des soins, le technicien s'occupe d'un chat qui vient d'être apporté par une femme quadragénaire. « Je ne l'abandonne pas de gaieté de coeur. Il va laisser un vide très difficile à combler dans ma vie, mais que faire ? Mon employeur m'a acculée à l'abandonner par peur qu'il ne provoque des maladies à ses enfants », déclare-t-elle, la voix brisée par l'émotion. Cet argument sonne faux dans les oreilles d'Elise. « Voilà un exemple des idées reçues qu'ont les gens au sujet des chats. On aurait tort de croire qu'un chat puisse être responsable d'une maladie. Souvent, ce sont des facteurs externes qui sont à l'origine du mal. Au printemps par exemple, beaucoup de gens sont atteint d'allergie et tiennent leurs chats pour responsables alors que ce sont les graines de pollen transportés par l'air qu'il faut pointer du doigt», raisonne-t-elle. Au sortir du refuge, la femme est tout en larmes. «Elle n'est pas la seule. Toutes les personnes qui viennent nous remettre leurs bêtes sortent d'ici éplorées », nous confie le technicien.

Des chiens en détresse :
Plus vaste, l'espace canin regroupe quelque 50 chiens de toutes les formes et les races qu'on peut imaginer, depuis les petits caniches jusqu'aux gros chiens policiers. « Souvent, on reçoit des chiens de première catégorie qui, en grandissant, deviennent impressionnants et causent de l'embarras à leurs propriétaires », explique Elise en fermant à clé la porte qui donne accès aux boxs des chiens. Notre entrée suffit à galvaniser les bêtes. C'est l'effusion générale, tout un chamboulement d'aboiements, d'élans de joie avec lesquels ces bêtes nous reçoivent. « Ils manifestent leur joie de vous voir », informe, souriant, le technicien et de poursuivre que « la même scène se reproduit à chaque fois qu'un être humain pénètre chez eux. C'est pour dire à quel point la présence humaine leur manque ».

Les chiens, enchantés de voir leur maîtresse, ne cessent de lui lécher les mains, de lui mordiller les jambes et de courir gaiement après elle. Attendrie, Elise s'assoie parmi eux sur le sol, les appelle de leurs prénoms qu'elle sait par cœur et les embrasse tendrement sur le museau. « Je les connais tous. Cet endroit est mon Royaume et ces bêtes sont ma grande famille », confie-t-elle en serrant un petit caniche contre elle. A leur arrivée, les chiens sont mis en observation dans des cages séparées, le temps que leurs blessures se cicatrisent et qu'ils se mettent dans le bain. Après, ils sont répartis entre plusieurs stands selon leurs affinités. Dans l'attente de leur adoption, ils passent le plus clair de leur temps à jouer et à courir gaiement dans les champs du refuge. Mais même cette vie confortable est loin de leur procurer le bonheur qu'ils ressentiraient au sein d'une famille, fait entendre Elise. « En moyenne, l'espérance de vie d'un chien tourne autour de 15 ans. Il en passe 2 ou 3 ans en adoption pour être jeté à la rue le restant de ses jours. C'est que souvent, la décision d'adoption d'un chien est prise sur un coup de tête pour en faire cadeau aux enfants. Tant qu'il est petit, mignon et sage, il est choyé et adoré par toute la famille. Une fois il grandit et ses besoins naturels émergent, on le chasse impitoyablement ou, au meilleur des cas, on vient nous le remettre, histoire de s'en débarrasser. L'adoption doit être mûrement réfléchie et la famille adoptive doit savoir être à la hauteur de cette responsabilité », indique Elise.

Financement : là où le bât blesse

Informaticienne de son état, Elise passe sa matinée à mettre à jour le site électronique de l'UMPA et à formuler des demandes d'aide. Le budget de fonctionnement de l'association est de 600.000 dirhams mais reste loin de subvenir à tous les besoins des animaux, notamment les soins et l'alimentation. « En dehors des cotisations des bénévoles (100 dirhams chacun) et des rentes des calendriers que nous distribuons et des kermesses que nous organisons régulièrement, la subvention annuelle du ministère de l'Agriculture est la seule ressource financière permanente qui nous permet de tenir le chemin. Malheureusement, nous n'avons pas reçu la subvention de l'année 2009 à cause du remaniement ministériel qui a eu lieu. Pour assurer la pérennité de notre action, nous comptons beaucoup sur la générosité de nos donateurs, dont la Fondation Brigitte Bardot qui nous a alloué en 2009 une somme de 5.000 euros en reconnaissance de nos actions au service de la cause animalière au Maroc », indique cette grande passionnée des animaux.

Une hécatombe chez les équidés

A leur arrivée au refuge, les équidés sont dans un état lamentable. Les chevaux de charrettes tout particulièrement gardent encore les séquelles des sévices qu'ils endurent au quotidien. Utilisés pour transporter de lourdes cargaisons et nourris médiocrement, ils sont exposés à plusieurs maladies graves. C'est le cas d'un cheval ramené au refuge par trois ruraux et dont la maigreur et l'avachissement sautent aux yeux. Couché sur le sol, le pauvre animal pâtit de plusieurs blessures et ne peut même pas lever la patte, rongé par la douleur. « Il a des coliques », avance Elise qui se tient à pied d'œuvre. Et d'expliquer en portant un regard d'expert sur la bête : « c'est une maladie grave mais qui ne nécessite pas d'hospitalisation. Elle est causée par l'excès d'efforts et la malnutrition et qui se manifeste par de vives tensions au niveau des intestins ». « Pour apaiser ces tensions, on injecte à l'animal plusieurs litres du chlorure de sodium qui a comme effet d'hydrater les intestins et de permettre une meilleure circulation du sang», explique de sa part le technicien en donnant un coup de main à Elise. Avant de donner quartier libre aux propriétaires de l'animal, Elise obtient d'eux une promesse de le ramener au refuge le lendemain pour lui dispenser plus de soins. Des cas pareils, il en vient tous les jours au refuge, selon l'affirmation d'Elise qui dit recevoir entre 20 et 30 équidés par jour, un nombre qui s'accroît sensiblement en période d'épidémies.
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