Les parents ne doivent pas interpréter le silence des adolescents comme un refus de socialisation.
LE MATIN
17 Juin 2010
À 17:31
Mehdi est rentré chez lui. Il se dirige, doucement, vers sa chambre. Il ne parle à personne. «On entend ses pas dans l'escalier, la porte qui s'ouvre et qui se claque. Il regagne sa chambre de la même manière», soupire sa mère Rachida. S'il parle, selon sa maman, Mehdi demande: y a quoi à manger ? Quand est-ce qu'on mange ? Où est mon père ? «Il est maintenant âgé de 17 ans. En un an, tout a changé: son comportement, son look, son rendement à l'école...», affirme la mère. Rachida n'est pas la plus à plaindre. Maha n'adresse pas un mot à ses parents pendant quinze jours, voire trois semaines. «Ma fille, Maha, 18 ans, ne parle à personne depuis des semaines. Elle n'est pas en bon terme avec son père et son frère. A chaque fois que je l'invite à parler, je sais que la réponse est le silence.
Cela m'angoisse et me perturbe», raconte Amina avec amertume. «Je vis le même problème à la maison, raconte, de son côté, Majid. Ma fille me parle rarement. Je sais que c'est le cas avec sa maman. Mais je tiens à savoir pourquoi elle fait cela ? Pourquoi elle a du mal à lâcher ses mots? Comment rompre ce silence ?». Ces parents ne savent rien de la vie de leurs adolescents. Ils ne savent rien de la façon dont ils se projettent dans la vie future, de la société dans laquelle ils aspirent vivre et à construire un destin individuel et collectif. Une situation difficile à vivre par ces parents. Ils ne savent à quel saint se vouer et cherchent à briser cette "omerta".
Avant, il existait, certainement, un peu de conflit générationnel, mais les parents et les enfants se retrouvaient dans des codes communs, explique le sociologue Mohamed Serbouti «Tout est gâché quand s'est élaborée une culture des adolescents». L'adolescent se constitue moins par rapport à ses parents que par rapport à son temps, note Serbouti. «Une époque où le téléphone portable et l'ordinateur dans la chambre renforcent l'isolement des adolescents, creusent le faussé entre eux et les parents», précise-t-il. Pourtant, il ne faut pas s'affoler ni s'alarmer outre mesure, ajoute-t-il. Le silence des adolescents entre en résonance avec l'ébullition de leur corps. Par ailleurs, ils ont peur s'ils se mettent à parler, de ne plus arriver à se taire.
Ils craignent d'être tentés de tout raconter, d'ouvrir les barrages et laisser filer ce qui n'appartient qu'à eux. «Pour se construire, il a donc besoin de dresser un voile obscur entre lui et ses parents. De ne pas être découvert, afin de mûrir à l'abri des préjugés», ajoute le sociologue. Pour corroborer cette idée, Mehdi assure qu'il parle avec ses parents, mais il refuse de tout dévoiler. «Je n'ai pas envie de tout leur dire. J'ai ma vie privée aussi», soulève-t-il. Et d'ajouter sur un ton ferme : lorsqu'on discute, notre conversation tourne très vite en un interrogatoire policier. Situation qui m'oblige à me taire. D'ailleurs, je n'ai pas de problèmes de communication avec mes amis, mes professeurs et le monde extérieur. J'ai un réseau d'amis et je suis inscrit dans le monde des ultras des supporters du foot». C'est donc là où réside le malentendu. Les parents ne doivent pas interpréter le silence des adolescents comme un refus de socialisation. L'adolescent à la maison n'est pas le même à l'école et à la rue. Les parents doivent négocier et utiliser la diplomatie avec leurs bouts de choux. En revanche, il est souhaitable de distinguer le silence normal et le repli sur soi, qui est plus inquiétant.
A noter que ce repli intervient d'une façon brutale, à cause d'un drame au sein de la famille ou dans l'entourage. Les parents doivent s'alarmer et solliciter l'aide d'un spécialiste. Enfin, la période de l'adolescence, qui ramène son lot de transformations, est susceptible de plonger l'adolescent dans un état dépressif. C'est pourquoi il faut être attentif aux symptômes de déprime de ce dernier. Si deux ou trois symptômes se manifestent en même temps, les parents ne doivent pas hésiter à consulter un spécialiste.
Silence légitime
Un jour, il peut arriver que l'adolescent bavard, souvent, devienne quasiment muet. Il ne raconte plus rien, il ne répond plus que brièvement à quelques questions, se contente de hocher la tête ou employer d'autres gestes. Les parents ne doivent pas forcément s'alarmer dans la mesure où c'est un phénomène relativement normal lié au processus de l'adolescence. Cela témoigne de l'ébullition, de la transformation pubertaire et au passage de l'enfance à l'adolescence. L'adolescent se trouve dans un dilemme. Il est absorbé par ce qu'il vit et ressent, et il ne peut pas montrer un quelconque intérêt pour tout autre sujet. Il ne se sent pas suffisamment prêt ou motivé pour en parler surtout avec ses parents. Le silence de l'adolescent est son refuge dans son monde.
C'est légitime pendant cette période. Donc, les parents ne doivent donc pas chercher à forcer l'adolescent à sortir de son silence, afin que l'anxiété que ce dernier ressent, ne se change en agressivité pure et dure. Quand il trouvera que le moment est opportun pour parler, il le fera. Le silence lui permet de répondre aux questions qu'il se pose et de diminuer son angoisse interne en observant les autres. Les parents doivent veiller à respecter son silence, mais cela n'empêche pas qu'ils doivent manifester à l'adolescent qu'ils sont présents et à l'écoute.
EXPLICATION : Sanae Abdelhafid • Médecin en psychologie clinique, médecine comportementale et thérapie cognitivo-comportementale.
"L'adolescent doit savoir qu'il peut compter sur ses parents dans n'importe quelle situation"
Comment les parents interprètent-ils le silence de leurs enfants adolescents ?
Les parents sont angoissés face à ce silence. Les questions fusent chez eux : Est-ce que notre fils ou fille est tombé dans une addiction, se drogue, fume, s'adonne-t-il à l'alcool ? Est-ce que ces fréquentations l'influencent mal ? Les parents pensent au pire car ils ont peur. Les parents ne doivent pas forcément s'alarmer dans la mesure où c'est un phénomène ponctuel et relativement normal lié au processus de l'adolescence. Mais ils doivent chercher la cause.
Quand et comment rompre ce silence ? Comment doivent-ils réagir ?
D'abord, il faut comprendre le problème de l'adolescent. Pourquoi, il se replie sur lui-même ? Essayer de savoir s'il n'a pas des difficultés scolaires. Voir aussi si le changement est brutal ou grave ou seulement des changements à mettre dans le cadre de la crise d'adolescence. Il faut bien savoir si le comportement de l'adolescent à complètement changer brutalement ou d'une façon graduelle. Il faut également savoir qu'une entente doit être instaurée entre les parents et leurs bouts de choux dès l'enfance. La proximité avec les enfants est très utile. Au moins, l'un des parents doit être plus proche des adolescents. Un des parents ou les deux doivent s'habituer à lui poser des questions, à discuter avec lui. Il faut tout leur dire, tout expliquer. L'adolescent doit savoir qu'il peut compter sur ses parents dans n'importe quelle situation. Il doit être sûr que ses parents seront là pour lui en cas de problème.
Comment se comporter lorsque l'adolescent se refugie dans son silence ?
Cela dépend du fait que les parents ont déjà une bonne relation avec leurs enfants. S'ils ont déjà l'habitude de discuter et parler avec eux. Si les parents sont très proches des enfants, il n'y aura pas un grand problème. L'adolescent vient chez ses parents lorsqu'il ne se sent pas bien. Parce qu'il sait qu'il peut bien compter sur eux. En cas d'éloignement, l'adolescent et les parents trouvent des difficultés à s'approcher et à discuter.