«Aucune stratégie n'est figée, il faut constamment l'adapter avec un bon pilotage»
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Réda Chami évoque les avancées, sans occulter les retards. Instructifs.
Ahmed Réda Chami.
LE MATIN
05 Septembre 2010
À 15:09
La stratégie c'est la voie suivie dans afin d'atteindre les buts et les objectifs que s'est fixés une organisation.. Elle nécessite la conception d'un plan et d'une stratégie d'organisation. Reste nous explique Ahmed Réda Chami, ministre de l'Industrie, du Commerce et des nouvelles Technologies, qu'aucune stratégie n'est figée dans le temps et que pour réussir, toute stratégie doit s'adapter aux contingences de l'environnement, mais aussi à l'innovation. Adaptation, c'est le mot qui revient en filigrane tout au long de l'entretien.
Dans une économie marquée par des fragilités structurelles mises en évidence dans le dernier rapport de Bank El Maghreb, et par un environnement mondial de crises et de repli protectionniste, comment réussir le Plan Emergence et les différents plans sectoriels qui relèvent du ministère de l'Industrie et du Commerce ? En procédant tout d'abord à une réorganisation en interne qui fixe les nouvelles attributions et organisation du ministère. « L'idée nous confie A. Chami étant d'adapter l'organisation du département avec le nouvel organigramme pour qu'elle puisse accompagner les différentes stratégies sectorielles que nous avons lancées. Trois stratégies sont aujourd'hui avancées, Emergence, Rawaj et Maroc Numéric 2013, une autre est en bonne voie celle de Maroc Innovation.
Dans l'organigramme proposé, il y a neufs directions qui vont accompagner chacune des stratégies » Les directeurs choisis selon une nouvelle procédure piloteront leurs directions. Au fur et à mesure de la déclinaison des plans et de la stratégie, il faut adapter, s'adapter, réajuster, reconfigurer, et même parfois revenir en arrière. L'exemple donné est celui de la direction du foncier et des infrastructures qui devait être logé à l'AMDI, l'agence marocaine du développement des investissements. Un premier texte souligne Mr Chami devait officialiser ce transfert, mais après réflexion et après mure analyse nous avons conclu qu'un tel transfert n'était pas opportun : l'AMDI pouvait se détourner de sa mission première à savoir attirer les investisseurs, et le directeur du ministère perdait son statut en passant à l'agence. Nous avons aujourd'hui donné un bon stimulus à la création des zones industrielles et cette direction restera logée au sein de notre ministère».
Dans cet entretien M. Chami fait le point des avancées mais aussi des retards des plans Emergence, Rawaj, Maroc Numeric. Il évoque également les effets de la crise mondiale illustrée notamment par des comportements de repli comme en témoigne la déclaration récente du Secrétaire d'Etat française à l'emploi à l'encontre des entreprises française privilégiant la délocalisation de leur relation client. Vérité, contrevérité, c'est aussi le lot de toute action. Dans ce dernier registre A. Chami dément le retard des fonds d'amorçage et de développement « Nous n'avons pas eu de retard, à aucun niveau et la bonne nouvelle, c'est que nous aurons deux fonds, l'Etat met 150millions de DH dans chaque fonds et le gestionnaire s'est engagé à mettre 350 millions de DH de son coté. C'est un effet de levier important qui intéresse l'amorçage, le développement des entreprises mais aussi la transmission».
LE MATIN : Un nouvel organigramme, c'est en fait le processus d'une longue maturation. Qu'est-ce qui a motivé une réorganisation des directions et des structures dans votre département ministériel ? Ahmed Réda Chami : L'idée est d'adapter l'organisation du département avec le nouvel organigramme pour qu'elle puisse accompagner les différentes stratégies sectorielles que nous avons lancées. Trois stratégies sont aujourd'hui avancées Emergence, Rawaj et Maroc Numéric 2013, une autre est en bonne voie celle de Maroc Innovation. Dans l'organigramme proposé, il y a des directions qui vont accompagner chacune des stratégies ; C'est ainsi que nous aurons la direction de la production industrielle, celle du commerce intérieur, celle de l'économie numérique, celle de l'innovation qui accompagneront le plan numérique national.
Il y aura une direction du foncier industriel pour répondre au schéma directeur des 22 zones industrielles intégrées et des zones d'activités plus réduites que vous retrouvez, dans notre site qui reproduit une cartographie des zones actualisée avec les prix, les localisations... Nous donnerons ainsi de la visibilité et de la transparence aux industriels et aux investisseurs. Nous avons également une direction statistique, car nous avons toujours beaucoup de difficultés pour avoir des données fiables sur lesquelles nous pouvons fonder nos analyses. Nous avons dans la même veine, lancé un observatoire qui nous permettra d'actualiser ces données. Pour faire les meilleurs choix en termes de stratégie, il faut disposer d'une information large, cohérente, actualisée.
Direction de la statistique, observatoire, n'est-ce pas là une duplication du travail du Haut Commissariat au plan ?
Le HCP s'approvisionne chez nous en termes de données, de statistiques et d'enquêtes industrielles que nous consolidons et améliorons. Nous avons bien défini ensemble avec le HCP la nature du travail de cette direction et de l'observatoire. Nous avons aussi une direction de la coopération dont le rôle est majeur comme par exemple dans le domaine des technologies de l'information. Nous devons en effet être présents dans de nombreux forums. Auparavant, c'était le SG du DEPTI qui nous représentait, aujourd'hui ce sera le directeur de la coopération. Avec la fusion, nous n'avons désormais qu'un seul SG, Mme Mounia Boucetta.
Avez-vous déjà pourvu ces directions et selon quelle procédure ?
Ces directions sont pourvues par intérim en attendant la nomination par Sa Majesté des différents Directeurs. Nous avons que ce soit pour les directeurs ou les chefs de division, fait appel à candidatures. Nous avions au départ une commission constituée des directeurs et du SG de notre département, elle sera élargie ensuite aux représentants de l'Intérieur, des Finances, de la Modernisation de la fonction publique et à un privé, chasseur de têtes. Cette commission passait les entretiens aux candidats. J'ai pris l'engagement que pour 2 candidats notés de la même manière, la priorité sera donnée aux ressources humaines internes de notre département. Cela a été le cas pour la direction des statistiques, de la coopération, de l'innovation. En revanche, ce sont des candidats externes qui pourvoiront les directions d'économie numérique et du commerce intérieur, le premier étant lauréat de l'Ecole Centrale qui a déjà une carrière internationale bien remplie à l'instar du second, tous deux souhaitant s'investir dans l'action et le service public, ce qui est tout à fait à leur honneur, compte tenu de la différence des salaires !
Il y aussi l'agence AMDI ?
Nous avons veillé à ce qu'il n'y ait pas duplication avec le ministère. Dans le cadre du projet de loi, nous avions donné à l'AMDI, élément clef de la réussite de notre stratégie Emergence, la possibilité de créer une direction du foncier. L'idée était de transférer la direction des infrastructures de notre ministère à l'Agence qui pouvait ainsi, être un aménageur de zones industrielles, à coté de ses missions de promotion de l'investissement, de veille économique. Le texte prévoyait en effet une autre mission de l'AMDI, « celle de développer des zones d'activités dédiées aux secteurs de l'industrie, du commerce et des nouvelles technologies. A cet effet, l'AMDI est chargée notamment de réaliser ou faire réaliser pour le compte de l'Etat, les études préalables à l'identification et au choix des zones d'implantation des programmes d'investissements dans les domaines précités et les études relatives à l'apurement de l'assiette foncière des zones d'activités.
Elle devra également procéder au placement de ces zones d'activités auprès d'investisseurs, en vue de leur aménagement, leur exploitation et leur gestion. » Un premier texte devait officialiser ce transfert, mais après réflexion et après mure analyse nous avons conclu qu'un tel transfert n'était pas opportun : l'AMDI pouvait se détourner de sa mission première, à savoir attirer les investisseurs, et le directeur du ministère perdait son statut en passant à l'agence. Nous avons aujourd'hui donné un bon stimulus à la création des zones industrielles et cette direction restera logée au sein de notre ministère.
Pouvez-vous faire un état d'avancement mais aussi des difficultés rencontrées par les différentes et principales stratégies Emergence, Rawaj et Maroc Numéric ?
En ce qui concerne la stratégie de Maroc numérique, les choses avancent en termes de confiance numérique avec tout récemment la nomination et la mise en place de la Commission Nationale de protection des Données personnelles, en termes également de transformation sociale. Le programme Injaz a connu par exemple un franc succès et va bénéficier d'une deuxième édition dans les prochaines semaines au profit des doctorants en sciences et techniques, je citerai dans le sens de cette transformation, le technoparc, la mise en œuvre de projets phares notamment en direction des PME, l'e-gouvernement, les équipements des établissements scolaires et universitaires…Concernant le parc pour l'émergence industrielle, le développement des plateformes industrielles intégrées est en bonne voie, les travaux ont été lancés pour celles de Kenitra, Tanger, Nouacer, Tétouan et Settat. Des conventions ont été signées avec l'aménageur pour celles de Marrakech, Fès et Oujda. Pour Casablanca, il y a un problème de foncier qui doit être résolu ce mois de septembre. Un appel à manifestation d'intérêt est lancé pour la sélection de projets de zones industrielles à réhabiliter et des zones d'activités économiques à créer. Le chantier formation aux métiers industriels avance bien avec la mise en œuvre des plans de formation pour les secteurs de l'offshoring, l'automobile, l'aéronautique, l'électronique, le textile, l'agro-alimentaire et les TI et le démarrage des travaux de construction des instituts Automobile de Kenitra, Casablanca et Tanger.
Le chantier Environnement des affaires est plus complexe et il est suivi avec vigilance par Nizar Barakat et cette année devrait être une année de réalisation. , la Commission CNEA ayant retenu 12 actions telles que la codification et publication des procédures administratives applicables aux entreprises, la simplification de la procédure de création d'entreprise, la mise en place d'un mécanisme d'alerte contre les abus administratifs, la mise à jour de la Charte de l'investissement, la révision de la loi SARL …Dans le chantier compétitivité des entreprises qui permet d'accompagner les PME pour leur permettre de pouvoir évoluer dans un marché globalisé, certaines actions ont réussi, d'autres moins bien. Une deuxième édition Imtiaz qui permettait de donner 20% des investissements pour des entreprises porteuses de projets intéressants est lancée. Nous devons faute de projets suffisamment innovants pousser l'investissement en étudiant les besoins secteur par secteur et en proposant aux industriels d'investir par exemple dans le traitement de surface pour le secteur de l'automobile dans l'impression pour le secteur du textile… Nous serons initiateurs, promoteurs pour pousser à l'investissement et pour permettre une meilleure adéquation entre l'offre et la demande. Quelque 500 entreprises bénéficieront de l'offre Moussanada qui permet à l'entreprise d'améliorer sa compétitivité. Ce n'est pas suffisant.
Nous étudions actuellement l'exemple français des usines pilotes qui permettent aux cadres d'entreprises d'améliorer leur compétitivité. Nous réfléchissons à adapter cet exemple au Maroc. En fait aucune stratégie n'est figée, elle évolue différents critères et réalités du moment et nous devons, nous, l'adapter avec un bon pilotage, en accélérant les choses qui marchent trop lentement.
Un bilan d'étape du plan Rawaj vision 2020 a fait récemment l'objet d'une journée nationale du commerce et de la distribution. Avant 2020, qui prévoit de faire du Maroc une plateforme de shopping pour la région sud-méditerranéenne, il y a le plan d'action 2008-2013. Un premier bilan ?
Rawaj est un programme pour le développement du commerce et de la distribution qui doit monter en puissance. 1600 commerçants en ont profité jusque là, ce n'est pas suffisant, nous avons augmenté notre force de frappe et en 2011, ce sont des milliers de commerçants qui devront en profiter pour moderniser leur activité commerciale en ayant la possibilité pour certains de bénéficier d'offres bancaires. Le processus d'élaboration des schémas régionaux de développement du commerce et de la distribution est mené avec nos partenaires régionaux du Grand Casablanca, d'Agadir, de Beni Mellal, d'Oujda et avec d'autres partenaires institutionnels comme le ministère des Finances, de l'Agriculture, de l'Intérieur, avec MED Z filiale de la CDG.
Une série de mesures a permis l'amélioration de la planification urbaine du commerce, l'accompagnement de la modernisation du commerce de proximité et le soutien au développement d'entreprises championnes nationales de commerce en réseau et l'amélioration des circuits de distribution grâce à la réforme des marchés de gros des fruits et légumes qui feront l'objet d'une nouvelle répartition avec la fermeture des plus désuets. La feuille de route est claire en terme d'amélioration des circuits de distribution, d'émergence de nouveaux modèles, de renforcement de la compétitivité et du développement des outils de planification, nous devons passer aujourd'hui à une autre étape, celle de la mobilisation des commerçants autour de ce projet afin de permettre la modernisation d'un secteur qui peut participer à hauteur de 15% à la création de la richesse nationale en créant d'ici 2020 quelque 450 000 emplois !
L'APEBI a organisé récemment une table ronde sur le développement de l'industrie locale. Avez-vous entendu leur appel ?
Nous travaillons en étroite concertation avec l'APEBI qui a une vision que nous partageons pleinement, à savoir participer au développement d'un secteur des TIC fort, créateur d'emplois, générateur de richesses Le développement de l'industrie locale figure parmi une des priorités stratégique de Maroc Numéric. Les membres de L'APEBI ont parlé au cours de cette rencontre de deux choses importantes, capturer l'industrie locale par le biais notamment d'une plus grande visibilité des projets, mes équipes y travaillent. Deuxième chose, il faudrait relancer cette idée de priorité nationale, nous ferons une proposition. Il y aussi une attente forte en terme d'accès et d'aide au financement. Le fonds public privé pour les technologies de l'information qui se monte cette année à 50 millions de DH, dupliqué pour 2011 est ouvert à tous. Nous avons un autre fonds celui de l'Innovation qui leur est ouvert. Il faudrait aujourd'hui que les acteurs profitent de ce nouvel environnement pour lancer leurs projets. L'APEBI est d'autre part, partie prenante d'une instance de gouvernance, le CNTI, Comité national des technologies de l'information présidé par le premier ministre et peut en son sein soulever tous les problèmes qui existent. Nous sommes quant à nous ouverts, dans mon département, à l'écoute de toutes leurs propositions.
Un mot sur les métiers mondiaux ?
C'est là où intervient l'AMDI avec les campagnes de promotion comme celles que nous avons récemment lancées en France et en Espagne. Nous allons relancer une deuxième phase en octobre avec un plan déterminé. Nous avons ouvert les bureaux de Paris, de Madrid et nous programmons la prochaine ouverture du bureau de Milan pour être plus présents dans l'avenir et mieux capter l'investissement.
Ouverture des bureaux à Paris, Madrid, Milan.. Pourquoi ne pas sortir de ces marchés traditionnels et s'ouvrir en tenant compte d'une économie mondialisée ?
Nous avons un projet en cours pour les Etats-Unis et des pays comme le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine.
L'investissement est plus difficile à capter compte tenu de la crise, quels sont ses effets sur la déclinaison du Plan Emergence ?
Oui, les investisseurs sont dans l'attentisme, ils gèrent leurs cash et attendent la sortie de la crise pour investir. Cela nous retarde. Concernant le Plan Emergence, la crise a eu deux effets, un effet positif pour nous, car elle nous a permis d'avancer sur nos chantiers en termes de procédures, de mise en place de zones industrielles, de financement. Aujourd'hui nous sommes prêts. L'autre effet c'est que la crise a entraîné des retards d'investissement et certains comportements de repli dans différents pays.
Avant d'évoquer ces comportements, un mot sur les retards enregistrés au niveau de la création des fonds d'amorçage, des fonds de développement du plan Emergence ?
Pas du tout. Pour mettre en place un fonds, il faut d'abord mobiliser l'argent, il faut faire appel à manifestation d'intérêt. Nous n'avons pas eu de retard, à aucun niveau et la bonne nouvelle, c'est que nous aurons deux fonds, l'Etat met 150millions de DH dans chaque fonds et le gestionnaire s'est engagé à mettre 350 millions de DH de son coté. C'est un effet de levier important qui intéresse l'amorçage, le développement des entreprises mais aussi la transmission.
Concernant les effets de la crise, les déclarations de Wauquiez Secrétaire d'Etat à l'emploi français sur les entreprises qui privilégient la délocalisation de leur relation client ont eu l'effet d'une douche froide. Comment réagissez-vous à ces déclarations ?
Les relations entre le Maroc et la France sont sereines et exemplaires sur tous les plans comme en témoignent les grands projets que nous menons ensemble. De temps en temps, il y a bien sûr des malentendus. Nous avons une coopération au niveau des échanges de biens et de services et il y a aussi l'investissement et tous les deux doivent être libres. Il ne faut pas que les gouvernements imposent des contraintes, au Maroc nous ne le ferons pas et nous attendons bien sûr la réciproque. Nous avons multiplié récemment les contacts avec nos partenaires français et je peux dire que nous sommes aujourd'hui dans une attitude positive pour donner toutes ses chances à un partenariat gagnant-gagnant.
En attendant la prochaine réunion qui aura lieu en octobre à Paris, sur cette question de délocalisation ?
Chacun consulte de son côté, nous nous consultons, chacun prenant en compte le point de vue de l'autre partie. Le point de vue des associations marocaines est pris en compte, comme celui des donneurs d'ordre. Les résultats de ces contacts et discussions seront présentés en octobre. Personnellement, je m'attends à des choses raisonnables qui ne soient pas pénalisantes pour le Maroc.
Reste que cette annonce M. le ministre a déjà eu ses effets, celle de faire réfléchir les donneurs d'ordre français, qui ne sont plus dans les mêmes dispositions qu'avant, ni dans le même élan. En d'autres termes le mal est déjà fait ?
Nous n'avons pas mesuré l'impact de ces déclarations mais il est sûr qu'elles ont eu un effet négatif.
Un dernier mot sur le projet Renault de Tanger ?
C'est un projet qui avance bien et Carlos Ghosn a promis que ses équipes qui ont été renforcées seront au rendez- vous. Fin 2011, nous assisterons aux premiers essais sur la voiture.