La région MENA entre sens, résilience et prospérité
Après la WPC, Marrakech accueille le WEF et conforte ainsi sa place de capitale régionale de congrès et de séminaires qui met en évidence ses atouts non seulement en termes d'infrastructures qui permettent d'accueillir de grands événements nationaux et internationaux mais aussi de lieux privilégiés touristiques.
Anas Alami.
LE MATIN
25 Octobre 2010
À 16:59
Le thème choisi par les organisateurs du Forum économique mondial «Sens, résilience et prospérité» sera-t-il de bon augure pour les trois « événements » qui auront lieu au Maroc en cette journée du 26 octobre ? Le premier événement est bien sûr l'ouverture, sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi, du World Economic Forum à Marrakech avec la participation d'un Chef d'Etat, le Président Faure Essozimna Gnassingbé du Togo, de chefs de gouvernement, de ministres, de leaders d'entreprises, de société civile, des pays arabes du Golfe, d'Afrique, d'Europe, des Etats-Unis, d'Asie.
Dans le sillage du Forum de Davos, ce rendez-vous régional est, avec la «Réunion annuelle des nouveaux champions» qui se tient tous les ans en Chine, un événement de taille, comme le souligne M. Anas Alami, coprésident de ce forum dans l'entretien qu'il nous a accordé. «Laboratoire d'idées nouvelles, ce forum est aussi une tribune de rencontres entre le monde des décideurs politiques, économiques au moment où les agendas des uns et des autres sont difficiles à concilier, une tribune de communication, une sorte d'agora pour les idées, pour les messages que l'on veut passer.
Les débats permettent d'anticiper, dit-il, encore et de faire ressortir les tendances qui vont émerger et de proposer des actions concrètes. Beaucoup de leaders économiques et politiques, de grands patrons, des représentants de fonds souverains de la région du Golfe se retrouvent et c'est là une excellente occasion d'échanges, de mise en relation». Défricher la réalité de la région en ces temps de crise mondiale, mais aussi examiner son agenda économique avec toutes ses capacités d'énergies renouvelables, énergie solaire, éolien… Le deuxième événement c'est précisément de l'énergie solaire qu'il s'agit avec la signature à Ouarzazate de deux conventions entre l'Etat, le Masen, Agence marocaine pour l'énergie solaire et l'ONE-ONEP. La première convention portera sur la mise en place du cadre juridique qui régira leurs relations et la seconde sur la spécification technique qui déterminera la connexion future des centrales de Ouarzazate au réseau de l'ONE qui sera l'unique acheteur de l'électricité produite. Le troisième et dernier événement phare de cette journée, c'est l'arrivée de l'entraîneur Eric Gerets ; événement, en ce sens où le football a conquis le monde et qu'il est, comme le souligne Pascal Boniface, auteur de nombreux ouvrages sur la question, «le plus sûr ciment des populations qui se rassemblent autour de leur équipe nationale, porte-drapeau d'un pays et symbole consensuel d'une unité».
Eric Gerets, l'ancien Diable Rouge, ex-entraîneur de l'OM, surnommé le «Lion de Rekem», qui entraînait jusque-là le club saoudien Al Hilal est enfin au Maroc pour une période en principe de 4 ans avec un objectif : transformer l'équipe nationale. Un responsable sera présent et acteur à la fois aux trois événements : à Rabat où il accueillera l'entraîneur belge, à Ouarzazate où il sera l'un des signataires des conventions et à Marrakech où il interviendra au World Economic Forum. Ce responsable, c'est Ali Fassi Fihri qui, en tant que directeur général de l'ONE et ONEP, a fait un excellent travail dans le monde rural mais dont on attend un autre miracle, en tant que président de la Fédération royale marocaine de football : aider à la transformation avec le nouvel entraîneur de l'équipe nationale marquée par les échecs successifs et qui a fini par exaspérer, par désespérer son public au point de baisser d'un point le moral d'une nation ! Bon courage M. le président de la FRMF !
LE MATIN : Vous êtes co-président du World Economic forum (WEF) sur l'Afrique et le Moyen-Orient qui s'ouvre aujourd'hui à Marrakech, devenue une destination de grands événements internationaux. Après l'Afrique du Sud où s'est tenue l'année dernière la réunion régionale du WEF, et après plusieurs sessions régionales du Mena à Amman en Jordanie, c'est au tour du Maroc d'accueillir cette rencontre. Un mot sur les raisons de ce choix ?
ANAS ALAMI: Parce que le Maroc est en pleine mutation et qu'il était à l'origine de la première conférence régionale du forum qui s'était tenue à Casablanca. Mustapha Terrab qui a récemment organisé avec Thierry de Montbrial la conférence du World Policy Conférence à Marrakech était à l'époque au secrétariat de Sa Majesté le Roi et il avait piloté avec une grande efficacité cette opération en tant que secrétaire général au secrétariat exécutif du Sommet économique pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Après la WPC, Marrakech accueille le WEF et conforte ainsi sa place de capitale régionale de congrès et de séminaires qui met en évidence ses atouts non seulement en termes d'infrastructures qui permettent d'accueillir de grands événements nationaux et internationaux mais aussi de lieux privilégiés touristiques. Il faut aussi rappeler à la veille de la rencontre de l'OMC, qui se tiendra le 15 décembre prochain à Genève, pour tenter de trouver un accord sur le cycle de Doha, que c'est à Marrakech qu'à eu lieu en avril 1994 la signature par la majeure partie des puissances commerciales du monde de l' accord qui a permis la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s'occupe des règles régissant le commerce international entre les pays. C'est donc tout un symbole mais il y a aussi des raisons qui tiennent à la dynamique lancée par Sa Majesté le Roi. La mise en place de réformes, de stratégies sectorielles dans les domaines de l'énergie, des infrastructures, de l'industrie, de l'agriculture, de la finance avec la place financière de Casablanca, nous nous plaçons en pôle d'échanges et de croissance sur le plan régional. Sherif El Diwany qui est directeur exécutif du Moyen-Orient et Afrique du Nord auprès de la WEF mettait en avant les succès « affichés ces dernières années par le Royaume qui, dit-il, a pu dépasser la crise parce que son système financier était solide. Les indicateurs de développement révèlent que le Maroc, grâce aux efforts de son gouvernement, à ses entrepreneurs et à sa société civile, a pu maintenir le cap et afficher une bonne croissance. Tous ces éléments, selon lui, ont conforté la position du Maroc et ont permis de le choisir pour abriter le WEF ».
Certaines critiques disent qu'au forum de Davos ou au réunions régionales, il suffit d' «être là pour voir et être vu». Que répondez-vous ?
Derrière cette boutade, il y a l'idée que ces forums sont des tribunes de rencontres entre le monde des décideurs politiques, économiques et des laboratoires d'idées nouvelles. Grâce à une organisation minutieuse et extrêmement efficace d'ateliers, de déjeuners-débats, de sessions interactives, de sessions plénières, nous pouvons repousser les limites de réflexion, d'imagination et voir ce qui se fait ailleurs. C'est aussi une belle tribune de communication, une sorte d'agora pour les idées, pour les messages que l'on peut passer, mais pas seulement. C'est aussi une projection dans l'avenir car ces débats permettent d'anticiper et de faire ressortir les tendances qui vont émerger et de proposer des actions concrètes. Ce forum, c'est l'occasion où beaucoup de leaders économiques et politiques, de grands patrons, des représentants de fonds souverains de la région du Golfe se retrouvent et c'est là une excellente occasion d'échanges, de mise en relations car très souvent les agendas des uns et des autres sont difficiles à concilier. C'est donc un bon endroit pour fidéliser les relations, chercher des opportunités, des investisseurs et nouer des partenariats. C'est ce qui fait la force de ce forum.
Passer des messages, dites-vous, quel message aimeriez-vous passer ?
Celui du potentiel de la région, de l'Afrique. Le Maroc peut être une plateforme à partir de laquelle on peut opérer vers l'Afrique et le monde arabe. Nous avons des projets en cours de gestation et de réalisation.
Vous représentez la Caisse de dépôt et de gestion à ce forum, quel est le message que vous passerez à ce titre ?
Aujourd'hui, la CDG, à travers le groupe qu'elle contrôle, figure parmi les premiers acteurs économiques du Maroc, assumant un rôle d'opérateur sur le marché financier et d'investisseur institutionnel de long terme. Son positionnement à la frontière public-privé, son expertise, sa crédibilité et ses capacités financières lui permettent ainsi d'accompagner les politiques publiques de développement, en intervenant notamment dans des secteurs d'intérêt général mais tout en restant constamment soumises aux réglementations propres à ses métiers et aux impératifs de rentabilisation de ses fonds. La CDG est donc aux avant-postes de la veille économique et suit avec très grand intérêt les évolutions des marchés aux niveaux national et international, à la recherche notamment d'opportunités d'investissements. Sa stratégie à ce propos s'inscrit totalement en cohérence avec la politique d'ouverture à l'international prônée depuis des années par le Maroc ainsi qu'avec les priorités socio-économiques des plans de développement sectoriels du pays. Le développement humain avec ses corollaires d'habitat, d'éducation, d'attractivité de compétences comme ce que nous faisons avec l'Université privée de Rabat qui attire les hauts profils marocains de l'étranger, de santé et de création d'emplois, l'équilibre de la balance commerciale et le développement des exportations, la compétitivité des territoires dans les choix d'implantation des projets d'investissements, sont autant d'objectifs recherchés dans les engagements qui sont pris par la CDG et motivent ses prises de participation au Maroc ou à l'étranger. Notre présence à ce forum mondial en tant qu'investisseur de long terme témoigne donc de notre volonté de saisir toute opportunité de contacts et de mise en relation qui ouvriraient les perspectives d'investissement ou de co-investissements qui s'inscriraient dans ces objectifs qui sont créateurs de valeur.
Le contexte économique mondial et régional est toujours plombé et l'issue de la crise financière est toujours incertaine avec des déficits qui s'accumulent et une dette abyssale des pays développés. Quelle analyse faites-vous aujourd'hui du contexte régional ?
Nous n'allons pas répéter ici les diagnostics largement établis des causes de la crise économique et financière : la dérégulation, la bulle spéculative, la baisse excessive des taux d'intérêt… Nous sommes unanimement d'accord sur la nature systémique de la crise : c'est la crise d'une financiarisation excessive, totalement dé-corrélée des fondamentaux économiques. Mais, il faut nuancer l'analyse selon les pays concernés. Si les pays développés ont connu une accumulation de capital ces dernières décennies, c'est grâce à la dette et ces pays sont aujourd'hui arrivés à des niveaux d'endettement importants qui sont examinés par les agences de notation. Si on garde les mêmes paramètres d'analyse pour les régions du Moyen-Orient et de l'Afrique, on constate qu'il y a là un énorme potentiel et des besoins en accumulation de capitaux que ce soit en agriculture, en industrie. Si demain il y a une région qui doit bénéficier des projets d'investissement, c'est bien notre région et pour le Maroc, par exemple, qui bénéficie du statut avancé avec l'Europe, l'endettement reste toujours le meilleur financement pour des projets d'infrastructures qui devraient approcher les deux rives de la Méditerranée. Dans ce sens, des investisseurs de long terme, la Caisse française, la Caisse italienne, la KFW, la BEI, la CDG et une institution égyptienne Hermés FG capable de structurer un produit financier à rentabilité à long terme ont lancé le fonds Infra Med avec un premier tour de table de 380 millions d'euros et un objectif d'un milliard d'euros qui répond aux besoins d'infrastructures des pays de la rive Sud de la Méditerranée.
Sens, résilience et prospérité, c'est le thème du forum WEF de Marrakech. Un commentaire sur ce thème ?
L'excès de la dette mène à des situations de retournement et de déséquilibre qui impactent sur la croissance à long terme. Si les réformes structurelles adéquates ne sont pas prises, les risques de déflation ou de défaut sur les dettes souveraines sont bien réels. Dans certains pays, le secteur bancaire est en bonne forme et peut financer l'économie. C'est le cas du Maroc qui a un secteur bancaire qui a montré sa résistance par rapport à la crise internationale. Il faut cependant, pour financer la dynamique de développement, pousser encore plus les limites des capacités internes et s'ouvrir à l'international pour mobiliser l'épargne. Le Maroc l'a fait avec l'émission d'1 milliards d'euros qui a bien marché et qui a montré que notre pays bénéficie d'une crédibilité certaine. Cela donne un signal aux opérateurs de la Méditerranée pour aller chercher des capitaux à l'étranger pour poursuivre le rythme d'investissement nécessaire à leur développement.
Une attention particulière est portée dans ce forum aux fonds souverains et à leur orientation vers un engagement régional. Un mot sur cette problématique de partenariat interrégional ?
Ce partenariat ne pourra prendre sa vitesse de croisière que lorsque les pays de notre région pourront présenter des projets finis bien arrêtés. Nous en sommes plus aujourd'hui dans les seules relations affectives et de capital sympathie. C'est important certes, mais il faut que tout le monde se retrouve et pour cela il faut concevoir des projets gagnant-agnant. Le Maroc l'a fait avec tous ces projets de nouvelles villes dans le nord notamment, dans les programmes touristiques au Nord et au Sud, dans les projets d'infrastructures en termes de ports et de transport ferroviaires et de nouvelles énergies. Nous avons des projets clairs bien identifiés avec des rentabilités prévues et un engagement du gouvernement qui injecte lui-même des capitaux qui sont complétés par des financements extérieures. Et là avec les pays du Golfe, il y a un formidable potentiel. M. Chami a fait récemment une tournée dans cette région accompagné d'une forte délégation et nous avons pu mesurer ce potentiel qui correspond à un bon moment. Les perspectives de croissance de la région en 2010 sont importantes, de l'ordre de 4.4% selon la Banque mondiale tirées par les pays du Golf Cooperation Council qui ont réalisé un retour remarquable grâce aux plans de relance mis en place et à la remontée des prix du pétrole; le Qatar par exemple sera un des rares pays au monde à réaliser une croissance à deux chiffres en 2010 de l'ordre de 18%. L'investissement privé ne représente toutefois que 15% du PIB dans la région MENA, ce qui est bas comparé à d'autres régions. Le commerce intra-arabe, l'intégration maghrébine, l'expansion vers l'Afrique sub-saharienne et l'orientation des investissements des fonds souverains vers le secteur privé sont autant de potentiels non exploités pour dynamiser notre région.
Quelle est l'image du Maroc à l'international et comment travailler son attractivité ?
Le Maroc bénéficie de crédibilité matérialisée par des projets bien ficelés qui intéressent les fonds souverains. Maintenant, il faut transformer ce sentiment en action d'investissement. C'est la même dynamique que nous devons avoir avec les autres pays d'Europe. Quand le Maroc se présente à ces pays avec des opportunités, cela a du sens. Maintenant pour conquérir d'autres marchés plus grands comme ceux d'Asie ou des Etats-Unis, il faut une plus grande échelle comme l'échelle maghrébine. Il faut avoir une masse critique. Ceci dit, il y a plusieurs entreprises américaines qui s'installent au Maroc pour l'export vers le marché européen. L'Europe et son marché font du sens pour les entreprises américaines. Concernant l'Afrique, qui a un fort taux de croissance, une population jeune, qui a besoin d'infrastructures, elle reste encore fragmentée. Pour créer une masse critique, il faut avoir des hub et le Maroc peut être une plateforme à partir de laquelle les entreprises européennes ciblent telle ou telle région de l'Afrique. Il y a certes le risque rendement, mais avec une approche de portefeuille de pays, on peut diversifier le risque pour équilibrer les risques.