Spécial Marche verte

L'autre facette de l'Achoura...

Si certains considèrent Achoura comme la fête de l'enfance et de la famille, d'autres trouvent que c'est l'occasion attendue pour des pratiques plus «intéressantes».

16 Décembre 2010 À 16:12

Comme chaque année, les dix premiers jours de l'année hégirienne sont marqués par une préparation intense pour célébrer le jour d'Achoura. ''Tâarej'', tamtams et autres tambours traditionnels, le commerce des jouets est en pleine effervescence. Sans oublier les fruits secs qui sont aussi vendus en grandes quantités. La plupart des femmes retroussent les manches pour préparer de délicieux repas. D'autres le font pour concocter des recettes d'un autre genre. Il s'agit, n'en déplaise aux plus rationnels et moins superstitieux d'entre nous, de toutes sortes de pratiques de sorcelleries. En effet, ces dernières battent leur plein à l'occasion d'Achoura. Se trouver un mari, le conserver, réussir sa vie professionnelle, activer un commerce ou encore se venger… Pourquoi s'en priver si c'est la période propice ?

Les voyants, sorciers et charlatans l'avouent : c'est le meilleur moment de l'année pour s'adonner à des pratiques de la sorcellerie. «Chaque année, j'attends la fête d'Achoura pour renouveler la fidélisation de mon mari. De cette façon, je suis sûre qu'il ne me trompera pas. De plus, il devient plus amoureux», lance Zineb, la trentaine dépassée sans aucune gène. Au souk Jmiâa de Derb Sultan à Casablanca, des «nekkachates» se sont installées le long d'une ruelle et invitent les passantes à mettre du henné comme «barouk» (bénédiction). Juste derrière elles, des locaux qui regroupent des ''chouafates'' (voyantes) et des ''fquihs'' (charlatans) attendent les visites de personnes (essentiellement des femmes) ayant besoin «d'aide». Badiâa est l'une des ''chouafates'' les plus réputées du coin.

Sous ses airs de vieille dame chétive, elle cache un CV bien garni et plus de quarante ans d'expérience. Elle avoue avec fierté qu'elle est l'une des plus connues dans le domaine. «Je suis très connue pour ma compétence. Des clients aisés et même des étrangers font parfois appel à mes services et m'envoient un véhicule avec chauffeur pour me conduire pour faire des "consultations" à domicile. Tout le monde est satisfait.

Cette période d'Achoura représente la floraison de mon activité», confie-t-elle.
Selon plusieurs initiés en la matière, ces pratiques peuvent être faites tout le long de l'année, mais elles sont surtout pratiquées à l'occasion d'Achoura. Il paraît que le "taux de réussite" est plus élevé que pendant le reste de l'année. «Pendant ces dix jours, tout mes travaux marchent comme sur des roulettes. Cela grâce à «jouadis» (les esprits qui m'habitent). Ils sont contents en cette période des "Awacher" (Achoura). Grâce à eux, je peux me transpercer les joues avec des épées sans problème. Je peux manger ou marcher sur du verre tranchant sans que rien ne m'arrive», ajoute Badiâa, non sans grande fierté, avant d'aller faire la prière d'Al Asr!

Croire ou ne pas croire...
Une des clientes de Badiâa, une jeune fille qui a l'air aisé et plutôt débutante dans le domaine de la sorcellerie, est toujours sous le choc après une brève ''consultation''. «Elle a regardé dans des cartes ordinaires pour voir mon "fal» (présage) et elle m'a dit des choses pas loin de la vérité. Elle va m'accompagner pour acheter les produits nécessaires pour me faire «al koboul» (acceptation) afin d'éloigner "lâyn" (le mauvais œil)», raconte la cliente.
En effet, parmi les pratiques adoptées en cette période d'Achoura figure «al koboul». Préparé dans une ambiance plutôt romantique entourée de bougies de couleurs diverses, «al koboul» est une sorte d'amulette «hijab» qui aide la personne qui le porte à réaliser ses souhaits (mariage, travail, commerce…). En le confectionnant, le fquih prononce une longue liste de mots incompréhensibles. «Ldoun» (l'étain) est aussi souvent fait en cette période. Il a pour but d'éloigner le mauvais œil et faciliter des choses... Il est aussi utilisé pour «tbatil».

Ce dernier signifie l'élimination de l'effet de la sorcellerie. Il est un peu plus efficace que «tfoussikha». Pour les plus mal attentionnés qui souhaitent se venger, c'est le moment parfait pour faire «tkaf». Ce dernier consiste à mettre fin au rêve du mariage. Jeunes hommes ou jeunes femmes sont tous concernés. «Certes, au début, ils ne ressentent pas de changement mais au moment de consommer le mariage, l'impuissance s'installe», indique Aicha, une sexagénaire «chouâfa» retraitée après des dizaines d'années de pratique. Toujours dans le registre de la vengeance et du mal, «nfil» est également pratiqué en force dans la période d'Achoura. Il détériore la santé de la personne ciblée. Il s'agit de quelques petites feuilles d'herbe sur lesquelles sont transcrits des mots avec un produit spécial pour ensuite les faire avaler à la personne qu'on «aime» tant.

Magie noire

Courante chez les charlatans, les sorciers et les ‘'chouafates'', comme son nom l'indique, la magie noire représente toutes les pratiques maléfiques qui peuvent aller jusqu'à tuer la personne ciblée. Un mélange d'horreur qui peut coûter des vies ou ruiner la santé. Des bougies noires avec certaines herbes, de la cire, des cheveux, des œufs, du verre d'un accident, du sang d'une personne tuée… le tout mélangé peut affaiblir la personne concernée. Elle devient de plus en plus maigre et moche jusqu'à ce qu'elle meurt.
D'autres pratiques peuvent rendre une personne brillante et intelligente complètement folle et lui faire oublier tout son passé. «Tout cela n'est qu'une petite partie du monde dangereux de la sorcellerie et la magie pratiquées intensément en cette période d'Achoura», confie Aicha la ‘'chouafa retraitée''.
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