L'humain au centre de l'action future

Regraguia ou le devoir de mémoire

Le musée Sidi Mohamed Ben Abdellah célèbre la défunte et ses œuvres les 20, 21 et 22 mai. Lundi 9 novembre 2009, l'univers des arts plastiques marocains a perdu l'une de ses artistes les plus talentueuses. Regraguia Benhila a tiré sa révérence, en toute discrétion à Douar Lamsasa dans la commune rurale de Lahrarta (province d'Essaouira), à l'âge de 70 ans. Avec elle, une page de la peinture naïve a été tournée.

16 Mai 2010 À 12:17

Moins d'une année après sa mort, Essaouira, sa ville natale lui rendra un hommage posthume les 20, 21 et 22 mai à l'occasion de la Journée mondiale des musées célébrée le 18 mai. Le musée Sidi Mohamed Ben Abdellah lui consacrera une série d'activités qui seront axées sur l'œuvre et la personne de la grande artiste. Le programme de cette manifestation comprendra une exposition, un atelier qui se penchera sur les couleurs qui ressortent des tableaux de Regraguia, un documentaire inspiré de la fibre sociale de l'oeuvre de l'artiste, une projection du film « Regraguia » de Kamal Kamal, une conférence qui sera axée sur le parcours de la défunte ainsi qu'une soirée artistique. Un devoir de mémoire amplement mérité par cette figure emblématique de l'art naïf marocain qui a tant donné à ce genre, qu'elle affectionnait plus que tout au monde et auquel elle s'est accrochée jusqu'à son dernier souffle.

C'est dire que même morte, le souffle de son inspiration et la portée de son talent resteront à jamais gravés dans les mémoire de ceux qui savent reconnaître et apprécier les œuvres de qualité. «...La défunte Regraguia était une authentique artiste-peintre, mais pas seulement peintre dans le sens de l'utilisation des couleurs ou des formes; mais aussi peintre dans le sens de la perception à travers l'autre langage de la saisie visuelle et spirituelle de la nature, du sort de l'être humain et des histoires qu'il porte ou fait exprimer..., c'est-à-dire qu'elle n'était pas une « analphabète ou une ignorante qui peint », mais une intellectuelle qui fait exprimer le monde à sa manière, comme elle faisait exprimer le patrimoine culturel, l'échange interculturel, la joie de l'art ou la fraternité et l'amour universel... , témoigne Ahmed Harrouz, artiste plasticien et chercheur universitaire.

Une humaniste hors pair, doublée d'une femme qui croquait la vie à pleines dents, voilà ce qu'était Regraguia tout simplement. Pour s'en convaincre, il faut bien regarder ses œuvres qui débordent de vitalité. Elles expriment son bonheur à respirer et à peindre.
Aujourd'hui qu'elle n'est plus du monde des vivants, ses tableaux se chargeront de transmettre cette joie de vivre qui ne mourra jamais.

Le bonheur de peindre

Par rapport à sa conception d'art, la défunte a confié à Abdelkader Mana, anthropologue : « Quand je peins, je me sens malade comme une femme sur le point d'accoucher. Ça m'arrive à des moments de silence. L'enfantement est la seule sensation que je n'ai pas encore expérimentée. J'exprime l'idée du foutus dans ma peinture. Inconsciemment, je peins la matrice des femmes et leur état de grossesse. Je peins le diable que j'avais vu dans une forêt lorsque j'étais toute petite : j'arrachais avec mes dents le palmier nain dont j'aimais le cœur, quand il m'apparut sous la forme d'un chameau à cornes. Il était de très grande taille croisant les bras sur la poitrine. Il me regardait avec des yeux fissurés au milieu et qui louvoyaient dans tous les sens. Je m'éloignais en rampant sur mon ventre. Je rêvais souvent d'un chameau qui me poursuit. Il se transforme en une boule qui rebondit de colère jusqu'au ciel lorsque je me dérobe à sa vue. Je peins aussi le serpent, parce que, dans les temps anciens, les gens avaient peur de lui. Les hommes étaient très beaux. Les serpents aussi. Mais s'ils te ''foudroient'', tu ne peux plus guérir. C'est le serpent de l'amour, car l'amour ressemble au venin. Mais je prie ''Allah'' pour que les cœurs des hommes soient aussi blancs que les colombes». («Artistes d'Essaouira» paru en 1990, article sous
le titre : « La quête de la fertilité»).
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