L'humain au centre de l'action future

un raï des années 80»

Avec un sourire qui ne le quitte jamais et qui donne à son visage cet air de jeunesse éternelle, Kouider Morabet, plus connu sous le nom de Cheb Kader, a accepté de revenir avec nous, sur les raisons de son départ et, surtout, celles qui justifient aujourd'hui son retour.

03 Décembre 2010 À 17:25

LE MATIN : Dans les années 80, alors que vous étiez au summum de votre carrière, vous avez décidé de vous éclipser. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ?
Cheb Kader :
J'ai tout laissé tomber parce que les choses allaient trop vite pour moi, alors qu'on a besoin de prendre son temps pour bien faire les choses quand on est au début de sa carrière. Il ne faut pas courir. C'est ce que j'ai toujours fait en prenant tout mon temps pour enregistrer des albums, mais en même temps, pour faire de la recherche. Il est vrai que dans les années 80, il y a eu une explosion musicale, la pression faisait qu'il fallait produire vite et bien. Chose que je ne pouvais pas faire. Ce qui a fait qu'à un moment donné, j'ai eu des problèmes avec ma maison de disques qui ne m'a pas accompagné comme il fallait dans mon développement au niveau international. J'ai donc décidé de mettre un frein à mon élan et de stopper ma carrière pour mieux répartir. Je n'ai jamais regretté cette décision, puisque j'ai pu garder ma fraîcheur et ne jamais trahir mes idées. Je pense que c'était plutôt bien, même si entre chaque album et le suivant je mettais quasiment 10 ans.

Qu'est ce que vous avez fait pendant cette période ?

Je ne me suis plus produit durant cette période. En fait, à la fin des années 80, j'ai arrêté pour ne reprendre qu'en 2001, chez Universal, avec l'Album « Mani » où on retrouve l'extrait de « Majiti», qui a été très diffusé à la télévision marocaine.

J'ai fait une tournée en 2001, quand l'album est sorti, en Allemagne, en Suisse, un peu au niveau de l'international, mais je ne suis pas quelqu'un qui force les choses. De toutes les façons, on ne peut rien changer à son destin. L'important n'est pas de faire un album tous les 6 mois, mais de faire des albums qui restent dans l'histoire de la musique. Personnellement, je n'ai pas oublié que dans les années 80, personne ne croyait aux titres que je faisais. J'ai été critiqué par les spécialistes du raï qui m'accusaient d'être trop moderne. J'ai pris tout mon temps pour faire les choses et l'histoire m'a donné raison, puisque mon style a été repris peu de temps après. En fait, j'étais le premier à prendre des risques musicaux. Je continue toujours mes recherches pour faire avancer les choses. Je n'aime pas faire deux fois la même chose. Grâce à Dieu, les chansons qu'on a faites il y a 20 ans sont toujours là aujourd'hui : « Sid El Houari », « Sel dem Draï », « Lghaiba »... J'en suis très fier et très heureux.

Votre départ a coïncidé avec la montée des stars actuelles du raï. Pourquoi ne pas avoir tenu, alors que vous êtes le vrai précurseur du genre ?

Dans votre raisonnement il y a une question : Pourquoi avoir arrêté au moment ou les autres se sont lancés ? Justement, j'ai arrêté à cause de ça. J'ai été le seul artiste du Raï, je le revendique totalement, à avoir cru au destin international du Raï. J'ai travaillé pour qu'il devienne international en y injectant des sonorités funk, reggae, musique marocaine… Or, ce sont ceux qui m'ont critiqué au début qui en ont profité après. C'est ce qui a fait qu'à un moment donné j'ai décidé de me retirer.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on vous a reproché de dénaturer le raï.

Exactement. Je répondais très souvent à ceux qui n'ont pas compris ma démarche que ce qui n'est pas du Raï aujourd'hui le deviendra demain. Parmi tous les chanteurs du Raï, je suis le seul a avoir commencé ma carrière à l'étranger. J'ai grandi avec la variété internationale. A l'âge de 14 ans, j'allais danser en discothèque et c'est là où j'ai découvert tous ces genres musicaux qui m'ont influencé. Quand j'ai commencé dans ce style, ces influences sont venus naturellement vers moi, se sont imposées d'elles-mêmes. J'ai proposé une musique qui me ressemblait. C'est ce qui a fait que lorsque j'organisais des tournées à travers le monde, tout le monde réagissait de la même manière. Tout le monde était positif par rapport à cette musique parce que, finalement, même s'il s'agissait d'un raï qui venait de naître, il était habillé d'une manière qui ne choquait personne et qui ressemblait au monde entier. C'était la seule manière de faire écouter ce genre de musique et de le faire accepter.

Pourquoi avoir décidé de réapparaître aujourd'hui ?

En toute sincérité, je n'ai jamais rien calculé. Quand je suis revenu en 2001 avec l'album « Mani », c'était grâce à un ami. Je vous raconte l'anecdote : javais réalisé, chez moi, une maquette de mes titres. Et quand je l'ai faite écouter à un ami réalisateur, il m'a demandé de la lui laisser pour qu'il puisse bien l'écouter et l'analyser. J'ai été d'accord. Il est alors parti voir la société Universal pour leur faire écouter ces titres. Une semaine après, ils m'appellent en m'annonçant qu'il fallait absolument réaliser un album. C'est parti comme ça. Cet album, qui est une compilation de mes meilleurs titres, en plus d'autres inédits, moins connus au Maroc, comme la chanson « Dima Raï », qui est un espoir de réconciliation entre le Maroc et l'Algérie, ou encore « Bledi », où je fais le point sur que je suis exactement, pour que les gens le sachent une bonne fois pour toutes. J'y parle du Maroc, mon pays. L'album comprend également des chansons comme «Attir», «Hmami», «Selou» qui est un mélange de Salsa et de Raï avec le chanteur Sergent Garcia, il y a la chanson «Zina», une reprise du tube de Raina raï…

Vos chansons rappellent à vos fans ce qu'ils appellent « la belle époque ». Est-ce que vous leur promettez des tubes qui leur feront revivre cette époque ?

C'est volontaire. Je peux leur en faire la promesse. D'ailleurs, ce qui m'a donné envie de revenir c'est la volonté de leur offrir un Raï des années 80. La fraîcheur est là. L'envie aussi. De nouvelles chansons sont prêtes à sortir, pour votre information. Des chansons totalement inédites. Je voudrais déjà leur rappeler une histoire. Celle qu'ils ont connue dans les années 80. Ce qu'on retrouve dans mon album, c'est la continuité. C'est un Raï chaud, live et qui fait bouger, avec les influences des années 70, 80. Il y a toujours le super violent qui m'accompagne. J'aime beaucoup cet instrument parce qu'il me rappelle l'Orient. Je ferais tout ce qui est en mon possible pour qu'on puisse retrouver un vrai Raï. Depuis quelques années, il n'y a plus beaucoup de nouveautés dans la réalisation et de la recherche.

Est-ce qu'on peut dire que vous reprenez là où vous vous êtes arrêté ?

Avec cette compilation, je reprends une histoire musicale là où je l'ai laissée justement. J'ai toujours fait du live avec de vrais musiciens. Cela continue avec cet album. Entre-temps, j'ai fait beaucoup de recherches. J'ai enregistré un titre qui s'appelle « Nia », qui est sur cet album et qui n'a absolument rien à voir avec le raï, mais qui en a l'esprit. C'est un morceau qui est très long. Il a été enregistré avec l'orchestre philharmonique de Bulgarie à Sophia. C'était un rêve d'enfant de faire un Raï classieux. J'ai toujours eu l'idée de faire jouer le raï par d'autres, pour qu'il y ait une espèce d'échange.

Quel regard jetez-vous sur le Raï aujourd'hui ?

Ce n'est pas le raï que j'ai connu. Celui-ci ne touchera pas grand monde. J'ai toujours rêvé d'un style maghrébin, mais aussi international, qui soit reconnu comme tel aux USA, au Japon, en Europe… A une certaine époque, nous avons eu largement les moyens de le faire. Malheureusement, on a misé sur les mauvais chevaux. Le raï qui s‘est développé dans les année 80 est avant tout une culture. J'ai eu la chance d'avoir vécu dans une double culture qui m'a enrichi et de faire des choses dans lesquels j'étais à l'aise. Il se trouve que j'ai été le déclencheur de tout un mouvement. J'aurais aimé continuer sur la même lancée. Je pense souvent aux chanteurs anglo-saxons qui font des carrières sur de longues années, mais toujours avec la même richesse et le même développement.
Je ne comprends pas le cheminement qu'à connu cette musique. On a commencé avec du raï vivant et par la suite il est devenu machinal. Ensuite, on a donné des compositions à des gens qui n'ont jamais rien compris au genre et qui nous ont fait de la variété. En cours de chemin, on a perdu l'esprit raï. S'il en est là aujourd'hui, c'est parce qu'il n'y a pas d'échange d'idées. Chose qui ne sert pas la musique.

Vos projets d'avenir…

Mon album «Dima Raï», qui porte bien son nom, sort en Suisse et en Allemagne le premier janvier. Je serai aussitôt en tournée dans ces pays et dans une bonne partie de l'Europe. L'album sort également au Maroc, en janvier, et je serai en tournée tout l'été dans mon pays. Les contacts sont pris avec les grands festivals, (Casablanca, Oujda, Al-Hoceima…). Je me donne moins d'un an pour sortir mon nouvel album, totalement inédit. J'ai eu envie, avec cet album de rappeler une couleur musicale pour répondre à la demande de beaucoup de gens via Internet».
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