Le directeur de la Bourse de Casablanca s'explique
Invité du Matin Forum, le directeur général de la Bourse dresse des états des lieux et livre ses projections d'avenir. Instructif. Optimiste ? Oui, il l'assume et l'argumente. Le commandant au cockpit de la bourse de Casablanca, parce que c'est de lui qu'il s'agit, voit grand pour la place casablancaise.
Reportage Photos A. SAOURI & A. MECHOUARY
LE MATIN
01 Juin 2010
À 14:52
Invité du Matin Forum, Karim Hajji délivre la vision d'un optimiste réaliste parce que réalisable. Quand bien même la BVC n'aurait pas connu de coup d'éclat, ces derniers temps, il n'en demeure pas moins que l'objectif de 75 nouvelles introductions, note notre interlocuteur, est atteignable. Ambitieux ? Oui, mais pas trop, résume l'invité des « 90 minutes pour convaincre », car il reste réaliste. D'ailleurs, c'est l'un des objectifs de la Caravane qui sillonne plusieurs villes du pays. L'idée étant de de vulgariser la culture boursière. Quid de l'actualité immédiate. Karim Hajji affiche une certaine sérénité quant à l'évolution de la place casablancaise.
Comparaison n'est pas forcément raison, le directeur de la BVC ne se prive pas de rappeler que si la place a perdu 13% à la clôture de l'exercice 2008, cela est loin de ressembler à ce qui s'est passé sur d'autres places de la zone MENA. Sachant que ces dernières ont connu des ressacs inclus entre 40% et 70% ici s'arrête la comparaison. Crise oblige. Lucide, K. Hajji revient, par ailleurs, sur les origines de la crise de l'Euro. Eventuel impact sur la psychologie des investisseurs à la bourse locale ? Notre invité n'en voit pas. D'autant plus que la finance marocaine n'est encore complètement intégrée dans le système international. De même, argue-t-il, que l'économie marocaine, à la faveur des mesures et actions entreprises, a démontré une forte capacité de résilience. Ceci explique peut-être cela.
«Les entreprises cotées présentent des perspectives de croissance très intéressantes»
LE MATIN FORUM : Quelle lecture faites-vous des évènements qui viennent de secouer les marchés financiers en Europe ?
KARIM HAJJI : La situation que vit l'Europe aujourd'hui est la conséquence de la mise en place de l'euro sans les structures de gouvernance qui vont avec. Certes, il y a une Banque centrale européenne (BCE), mais il n'y a pas une politique économique cordonnée entre les différents Etats de l'UE. Les critères de convergence, tels que définis à Maastricht, n'ont pas empêché certaines économies à laisser déraper les déficits. De grands pays comme la France et l'Allemagne sont contraints, quoiqu'il arrive, de continuer à soutenir l'euro. Une implosion de la monnaie unique serait inacceptable. Il y a matière à plus de coordination dans l'avenir pour que les critères de politique économique soient cohérents. Pour ma part, je ne pense pas que l'Euro soit voué à disparaître. Au contraire, la crise est une opportunité qui donne l'occasion de renforcer les structures de gouvernance de l'UE.
La vitesse et l'intensité de la contagion à l'échelle de l'UE ont surpris les analystes et les marchés financiers. Quels sont les moyens à la disposition de l'UE à même de réduire les dégâts ?
Le risque de contagion existe car on rentre dans une spirale infernale. Lorsque les agences de notation dégradent la note d'un pays, le coût de la dette augmente, ce qui rend les choses plus difficiles à résoudre. C'est pour cette raison que l'Europe doit se substituer aux marchés pour éviter aux pays exposés de passer sous les fourches caudines des marchés de capitaux. En guise de soutien, on pourrait imaginer une sorte de garantie globale à hauteur des quotes-parts de chacune des grandes nations membres de l'euro de manière à leur permettre l'accès à des financements à des taux raisonnables. Si on laisse les notations des agences décider des taux auxquels les pays doivent emprunter, on voit bien où cela risque de les mener. Cela dit, à l'image de son comportement face à la crise financière de 2008, je pense que l'Europe est capable de réagir avec la même vigueur pour stopper les spéculateurs qui attaquent l'euro et répondre aux défis que représente la dégradation de la notation du crédit de certains pays membres de l'euro.
L'Allemagne a saisi l'occasion pour interdire la vente à découvert. Cela ne devrait-il pas interpeller le Maroc dans le sens d'une interdiction stricte de cette pratique soupçonnée d'être à l'origine de la baisse du marché casablancais en septembre 2008 ?
La décision de l'Allemagne concerne uniquement les Credit default swaps (CDS), un instrument qui permet de se couvrir contre le défaut d'une institution financière. Lors de la crise de 2008, des institutions (dont certaines sont aujourd'hui clouées au pilori) ont utilisé ces CDS en les vendant à découvert pour gagner énormément d'argent. Les mesures annoncées par l'Allemagne sont de nature exceptionnelle. Elles s'appliquent à un instrument précis et non pas à l'ensemble des ventes à découvert. Même pendant la crise des subprimes, l'interdiction de la vente à découvert concernait juste certaines valeurs (banque, assurance, etc) pour des raisons de maîtrise du risque systémique. Maintenant, faut-il en tirer la conséquence et dire que la vente à découvert ou bien les produits dérivés sont à proscrire, je ne partage pas ce point de vue. Les produits dérivés ont des vertus qui permettent aux banquiers et aux assureurs de couvrir leurs risques. Un assureur qui détient un portefeuille d'actions peut, en achetant des produits dérivés, couvrir le risque de baisse de son portefeuille. De même, un banquier a la possibilité, à travers les produits dérivés, de se couvrir contre une évolution défavorable des taux. Au Maroc, entre 1999 et 2003, nous avons vécu une période de baisse longue et lente. Les investisseurs s'attendaient à ce que les résultats a posteriori des entreprises justifieraient les niveaux de valorisation. S'il y avait eu la vente à découvert, on aurait pu purger assez rapidement les excès des marchés. Les institutionnels auraient pu vendre à découvert en empruntant les titres, puis en les vendant au comptant avant de les racheter à un prix moins cher. En revanche, il faut encadrer la pratique. On ne peut pas l'autoriser sous n'importe quel prétexte, à n'importe qui et n'importe comment. A ma connaissance, cette pratique n'est pas en vigueur à la place de Casablanca. Il se peut qu'il y'ait des cas isolés. Un projet de loi sera en mesure d'encadrer cette pratique dans le cadre du pré-emprunt de titres. Désormais, les investisseurs ne peuvent vendre à découvert que les titres déjà empruntés, contrairement à la vente à découvert totale où ils peuvent vendre des titres non empruntés et qui, parfois, n'existent même pas en réalité. C'est ce qu'on appelle ''la vente à découvert à nu'' (naked). Le projet de loi insiste aussi à ce que la pratique soit réservée exclusivement aux institutionnels. Puis, le projet donne la possibilité à la société gestionnaire (il n'est pas décidé à ce que celle-ci soit l'émanation de la société gestionnaire de la Bourse de Casablanca) d'intervenir pour empêcher les ventes à découvert sur certaines valeurs en fonction des circonstances du marché. Enfin, pour limiter le risque, le projet prévoit une chambre de compensation laquelle pourrait faire des appels de marge en demandant aux opérateurs de rajouter des fonds pour couvrir leur position sur les marchés des produits dérivés.
L'effet psychologique de la crise financière pèse-t-il encore sur le comportement des investisseurs à la Bourse de Casablanca ?
Depuis le début de l'année, l'indice de la Bourse de Casablanca a progressé de plus de 17%. C'est une belle performance si on la compare à celle qu'on observe sur les places mondiales. La finance marocaine n'est pas encore complètement intégrée dans la finance internationale. Notre économie démontre depuis 2008 une certaine résilience. Malgré la crise internationale, nous avons eu, en 2008 comme en 2009, des taux de croissance supérieurs à 5% et l'on s'attend à un taux de croissance de 3,5% au moins cette année. Cela est dû aux mesures de soutien de la demande qui ont été mises en œuvre par le gouvernement et également à la politique ambitieuse mise en place par Sa Majesté le Roi pour soutenir un certain nombre d'activités jugées prioritaires, notamment le plan Emergence (industrie), le plan Azur (tourisme), le Plan vert (agriculture), le plan Halieutis (pêche), etc. Sans oublier les projets d'infrastructures, les ports de Tanger-Med et de Nador, les autoroutes…Tout cela contribue à créer une dynamique de croissance dans un contexte international qui n'est pas très porteur. Il est clair qu'il y a un impact à attendre au niveau de la demande étrangère pour les produits marocains. Il est clair aussi qu'il y a un impact, même s'il est limité jusqu'à présent, au niveau des transferts des MRE. Le tourisme peut subir l'effet de la crise, sachant qu'il a bien résisté en 2009. Les transferts des MRE ont également beaucoup mieux résisté que ce qu'on pouvait craindre (une baisse inférieure à 10% au premier trimestre alors qu'elle était de plus de 20% au début de l'année). Il y a quand même une certaine résistance mais on ne doit pas non plus être des optimistes béats et ne rien faire.
Contrairement à la crise de 2008, la Bourse de Casablanca dessine une tendance nettement haussière depuis le déclenchement de la crise de dette en Europe. A quoi est dû, selon vous, ce changement de réaction de la part des investisseurs boursiers face aux crises externes ?
La baisse des Bourses mondiales en 2010 est moins brutale que celle observée en 2008 où elle a frôlé les 50% dans certains marchés. Certes, la baisse a été forte au cours de certaines séances, mais elle n'est pas aussi marquée qu'en 2008. A la Bourse de Casablanca, nous avons relativement peu d'investisseurs étrangers qui pourraient, a priori, être tentés de vendre leurs positions pour couvrir des pertes subies sur d'autres marchés. L'essentiel des investisseurs à la BVC sont des institutionnels. Les OPCVM qui gèrent l'épargne des particuliers sont relativement pondérés dans leur réaction par rapport à ce qui se passe à l'étranger. Cela dit, nous ne sommes pas totalement à l'abri des secousses et des perturbations…
Depuis l'annonce de l'opération de réorganisation stratégique des groupes ONA et SNI, on a assisté à une hausse continue et forte des indices. Puis, durant la semaine allant du 24 au 28 mai, la tendance a été inversée du moment que le Masi a baissé de plus de 3% en cinq séances. Qu'en pensez-vous ?
Il n'y a aucune Bourse au monde qui suit un chemin linéaire. Les investisseurs souhaitent de temps à autre enregistrer leurs profits. Au contraire, c'est mal sain de voir une Bourse monter très haut et trop vite. Pour l'intérêt des investisseurs et des entreprises cotées, je préfère qu'il y ait une croissance modérée. Lorsqu'une action connaît une très forte progression, l'émetteur doit justifier ses niveaux de valorisation par des résultats exceptionnels. Sinon, la sanction du marché ne se fera pas attendre.
Justement, quelle appréciation faites-vous des niveaux de valorisation actuels du marché ?
Je pense que nous sommes face à des niveaux raisonnables. Lorsqu'on se compare aux Bourses européennes, les entreprises cotées à Casablanca ont des perspectives de croissance plus intéressantes. Nous avons un marché et une économie dynamiques, pour ne citer que l'exemple de l'immobilier et des travaux publics. J'estime que la valorisation de la Bourse de Casablanca est tout à fait correcte compte tenu des perspectives de croissance qu'offre l'économie marocaine.
Des rapports émanant de Morgan Stanley et de Standard & Poor's ont révélé que la Bourse de Casablanca est l'une des rares à avoir clôturé en baisse l'année 2009 au moment où la reprise fut constatée dans la plupart des Bourses émergentes…
Je vous rappelle qu'en 2008, la baisse à la Bourse de Casablanca a été seulement de l'ordre de 13%, alors qu'elle a atteint plus de 40% dans la majorité des places de la région MENA: l'Egypte (-58%), Dubaï (-70%), l'Arabie saoudite (-50%). En deux ans, la baisse à Casablanca est moins prononcée qu'ailleurs.
Au-delà de la performance des indices et de la capitalisation boursière, quel serait le critère qui pourrait justifier une comparaison objective entre la BVC et les autres Bourses de la région MENA ?
Les Bourses au Moyen-Orient sont beaucoup plus intégrées à la finance internationale. A Dubaï par exemple, la crise de dette a entraîné une sanction immédiate du marché vis-à-vis de certaines entreprises immobilières lesquelles représentent l'essentiel de la cotation. Quand vous prenez les Bourses de Doha, Riyad, Manama, la majeure partie de leur capitalisation appartient à des entreprises plus ou moins liées aux hydrocarbures. Par contre, à Casablanca, on retrouve tous les secteurs d'activités (télécoms, BTP, agroalimentaire, NTIC). En termes de diversification, on est plutôt comparable à la Bourse de Johannesbourg, voire aux Bourses européennes.
Des secteurs comme le tourisme (mis à part Risma) ou l'agriculture restent tout de même peu représentés à Casablanca…
Je vous l'accorde et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons initié la démarche de la Caravane de la Bourse…
Quel bilan provisoire pouvez-vous donc dresser de la Caravane de la Bourse?
Nous avons sillonné jusqu'à ce jour cinq villes (Tanger, Rabat, Marrakech, Fès et Oujda). L'objectif de la Caravane consiste à convaincre les entreprises, toutes tailles et tous secteurs confondus, à s'introduire en Bourse. A l'issue des cinq premières étapes, beaucoup d'entreprises ont montré de l'intérêt pour la Bourse alors qu'elles pensaient que ce marché serait inaccessible, compliqué, trop cher et réservé uniquement aux grandes entreprises. La Caravane nous a permis justement de leur montrer que la Bourse est également faite pour accueillir les PME. Nous avons tenu à nous faire accompagner d'un certain nombre d'entreprises qui ont réussi à financer leurs projets d'investissements à travers la Bourse et qui, en l'espace de trois ans, sont parvenues à multiplier par trois leurs chiffres d'affaires. Nous avons montré que la Bourse sert à financer avant tout les projets de croissance, l'institutionnalisation, l'amélioration de l'image et de la gouvernance des entreprises. Nous ambitionnons de doubler le nombre des sociétés cotées pour passer de 75 à 150 d'ici 2015. Sachant que nous avons déjà identifié plus de 2.000 PME cotables.
On a souvent tendance à croire que la Bourse est une affaire d'initiés. Comment peut-on lui restituer son « visage humain » et lui rendre une dimension populaire à l'instar des autres marchés émergents ?
Les médias doivent s'intéresser davantage à la Bourse et à l'analyse financière. La Bourse toute seule ne peut pas y arriver. Pour notre part, l'Ecole de la Bourse forme des milliers d'investisseurs chaque année. Nous avons pris le pari de former les formateurs, ceux qui, au sein des banques, vont former à leur tour les responsables d'agences qui sont en contact direct avec les investisseurs. Nous avons créé un site Web réservé à cette école pour vulgariser et démystifier la culture boursière. Vous pouvez déjà consulter les vidéos de la Caravane; d'autres capsules didactiques seront bientôt mises en ligne. Par ailleurs, à travers l'Ecole de la Bourse, nous irons à la rencontre des fédérations sectorielles de la CGEM pour présenter les opportunités de la Bourse, particulièrement aux PME.
Pour attirer plus de PME à la cote, n'y a-t-il pas lieu d'alléger le cadre réglementaire exigé pour l'introduction des PME ?
Le CDVM réfléchit à la possibilité de création d'un marché libre pour les entreprises moins structurées de sorte à ce qu'elles ne soient pas soumises aux mêmes exigences de reporting que celles en vigueur pour les entreprises déjà cotées à la Bourse de Casablanca. Je ne veux pas non plus empiéter sur le territoire du CDVM. En revanche, il y a un équilibre à maintenir entre la volonté de protéger l'épargne et la mise en place des règles plus souples pour certaines entreprises.
Le marché libre parisien peut servir d'exemple dans ce cadre…
Il faut savoir que dans un marché libre, les titres se traitent de gré à gré (over the counter). Ce n'est pas un marché réglementé au sens où nous l'entendons. Que ce soit l'investisseur ou l'émetteur, chacun assume ses responsabilités. Il s'agit d'une sorte d'antichambre préalable à la cotation effective sur une place organisée comme l'Euronext ou la Bourse de Casablanca. Quand vous avez une Bourse organisée, dotée de règles précises et d'une autorité de tutelle censée protéger l'épargne, l'investisseur étranger s'attend à un certain rythme de reporting. Il faut aussi faire en sorte que la Bourse de Casablanca soit reconnue comme un hub financier régional. Le marché libre est certes possible, mais je ne pense pas qu'on puisse imaginer avoir des règles beaucoup plus souples pour les entreprises cotées officiellement à la Bourse de Casablanca. D'ailleurs, nous avons déjà un troisième compartiment où les règles sont assez souples. Pour y accéder, l'entreprise doit justifier un an de bilan certifié et émettre juste un minimum de 10 millions de DH. Aucun montant de capital ou de chiffre d'affaires n'est exigé. Maintenant, aller au-delà de cette souplesse, honnêtement, j'aurais tendance à m'interroger parce qu'on n'a pas encore tellement d'entreprises qui ont fait le pas pour accéder déjà au troisième compartiment malgré ces conditions singulièrement allégées.
Depuis le quatrième trimestre 2008, le marché n'a enregistré aucune nouvelle introduction. Quelles sont les raisons qui, selon vous, seraient à l'origine de ce climat d'hésitation ?
Un certain nombre de dossiers étaient prêts et même, pour certains, déposés au niveau du CDVM. Les entreprises ont fait marche arrière suite à la crise financière. Certaines ont reporté leurs introductions parce qu'elle s'attendaient à une meilleure valorisation. Elles estimaient que les niveaux proposés par le marché n'étaient pas suffisamment attractifs pour s'y introduire. Pour ma part, je considère que les valorisations sont tout à fait attractives pour les émetteurs. Le marché est à 16 fois les bénéfices attendus pour 2010, ce qui correspond à un niveau correct.
Valorisation et fiscalité attrayantes, pourtant, les entreprises ne se bousculent aux portes de la Bourse...
Il y a des traits culturels. Les entrepreneurs n'acceptent pas facilement de céder une partie du contrôle à d'autres investisseurs. Nous ne sommes pas les seuls, cette culture caractérise aussi les pays du Moyen-Orient. Ce n'est pas un frein qu'on pourra lever en quelques semaines ou bien quelques mois. Cela prendra des années d'éducation, d'efforts de vulgarisation de la culture boursière, des années de Caravane de la Bourse pour expliquer aux gens que celui qui détient soit 100% ou 80% du capital d'une société garde toujours le contrôle.
L'objectif de 75 nouvelles introductions à l'horizon 2015 vous paraît-il réaliste ?
C'est un objectif ambitieux, je le reconnais, mais qui est tout à fait atteignable. On ne parle pas d'un grand nombre. Ce serait certes difficile de passer par exemple de 500 à 1.000. Mais là, on parle de 75 introductions. C'est un objectif ambitieux mais réaliste.
Le caractère familial des entreprises marocaines, particulièrement les PME, soulève des problèmes de transmission et pèse sur l'avenir d'un pan considérable du tissu productif national. Quelles sont les mesures qui pourraient inciter les PME à éviter ces problèmes à travers le marché boursier ?
C'est déjà le cas aujourd'hui. Les incitations fiscales sont considérables mais cela ne suffit pas malheureusement. L'abattement de l'IS offert aux entreprises nouvellement introduites est une disposition intéressante. Il y a aussi la nouvelle taxation des opérations de fusion-acquisition. Le rapprochement de PC Matel Market avec Distrisoft n'aurait pas dû avoir lieu sans le nouveau dispositif fiscal. Je dois reconnaître que les pouvoirs publics nous donnent un coup de main. Cela dit, la fiscalité ne doit pas être le seul levier. Il ne suffit pas de donner des incitations fiscales pour introduire les sociétés en Bourse. On l'a vu en 2009, il n'y a pas eu d'introductions malgré les incitations fiscales.
Comment se porte la société gestionnaire de la Bourse de Casablanca ?
La société gestionnaire a dégagé des bénéfices en 2009 comme en 2008. Malgré la crise financière et l'absence de nouvelles introductions, le résultat net est de 41 millions de DH.
Quid des réserves et de leur éventuelle affectation ?
Les réserves se situent aujourd'hui à plus de 500 millions de DH. Vis-à-vis du ministère des Finances, nous avons un cahier des charges clair qui précise que ces réserves font partie des biens de retour. C'est-à-dire qu'en cas de retour de la concession, c'est l'Etat qui les reprend. Il y a aussi la possibilité de distribution du résultat à hauteur de 15% du capital social de la société gestionnaire. Au-delà de ce seuil, les fonds alimentent les réserves lesquelles ne pourront être utilisées que pour les investissements de la Bourse et non pas pour les distribuer sous forme de dividendes aux actionnaires (sociétés de Bourse). C'est le ministère des Finances, à travers la direction du Trésor, qui décide de la manière dont les réserves peuvent le cas échéant être utilisées.
Ne pensez-vous pas au moins que le siège de la société gestionnaire mérite d'être situé dans un emplacement digne d'une grande Bourse régionale ?
J'imagine qu'avec la future place financière internationale, la Bourse de Casablanca sera certainement appelée à s'installer avec les banques ainsi que d'autres entreprises au niveau de la même zone.
Justement, comment imaginez-vous le rôle de la Bourse dans la future place financière de Casablanca ?
La Bourse de Casablanca est un élément important de la place financière mais elle n'est pas la seule. De leur côté, les banques marocaines sont appelées à jouer également un rôle majeur, d'autant plus qu'elles sont reconnues parmi les meilleures de la région. Solides et bien gérées, des banques comme Attijariwafa, BMCE et la Banque populaire assurent aujourd'hui une présence continentale dans une vingtaine de pays africains. De même, les multinationales pourraient également utiliser Casablanca comme siège régional pour l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest.
Vous avez l'ambition de faire de la Bourse de Casablanca un hub censé attirer des investisseurs issus des Etats-Unis, de l'Asie et du Moyen-Orient. Comment se décline votre action dans ce sens ?
En compagnie des entreprises cotées, nous devons aller chercher et présenter à ces investisseurs les opportunités qu'offrent la Bourse et l'économie marocaines. L'année prochaine, nous irons en Afrique pour inciter les entreprises à venir se faire coter à Casablanca. Nous sommes en train de recruter les cadres pour réussir cette démarche. La direction du développement à la BVC est structurée de manière à répondre aux différentes cibles : émetteurs et investisseurs, puis les deux sont accompagnés par le département des études. Au niveau des investisseurs, nous avons un site Internet en trois langues. Nous avons mandaté Reuters pour traduire et diffuser en anglais les états financiers des sociétés cotées.
Faire coter des entreprises étrangères à Casablanca signifie que de nouveaux émetteurs vont venir lever des fonds au Maroc pour ensuite les expatrier vers leurs pays d'origine. Dans quelle mesure cette démarche serait bénéfique pour la place financière de Casablanca ?
Il y aura certes un export de capitaux, mais à terme, il y aura aussi un apport de capitaux. Les investisseurs basés à Londres, à Dubaï ou à Riyad vont traiter avec Casablanca en tant que place régionale. Au lieu d'investir à Lagos, à Tunis ou bien au Caire, ils vont investir à Casablanca, là où ils peuvent trouver des entreprises marocaines, mais aussi celles issues du Maghreb et de l'Afrique francophone. Cette démarche est démontrée par exemple à la Bourse de Londres qui héberge plusieurs centaines d'entreprises, cotées par ailleurs sur d'autres places. Londres attire quand même plus de capitaux qu'elle n'en fait sortir. C'est mathématique et c'est ainsi que fonctionnent les places financières.
Sachant que la Tunisie s'apprête, elle aussi, à se lancer dans une démarche similaire. Quel serait cet avantage comparatif qui pourrait inciter les investisseurs à faire le choix de Casablanca au lieu de Tunis?
A ma connaissance, la Tunisie est plus une place offshore qu'une place réellement intégrée dans l'économie locale. Les Tunisiens pensent plutôt à la création d'une place offshore pour faire venir les banques étrangères. Au Maroc, Sa Majesté le Roi Mohammed VI souhaite faire de Casablanca une place régionale intégrée dans le tissu économique du pays. Les banques marocaines seront en mesure de s'installer au niveau de la place financière internationale, au même titre que les banques étrangères. Je dois à ce titre rendre hommage aux banques marocaines qui, d'ailleurs, sont prêtes à assumer ce risque. Puis, chacun a ses atouts. Nous n'avons pas à rougir des atouts qui sont les nôtres ou à craindre des places comme celle de Tunis.
Quels types de partenariat avez-vous développés avec les autres Bourses de la région ?
Nous avons des accords avec un certain nombre de Bourses, notamment celle de Tunis avec qui nous avons signé un accord de double-cotation (une entreprise peut être cotée simultanément à Tunis et à Casablanca). Avec l'Egypte, le cadre de coopération est assez large (échanges d'expériences, etc). Comparé au nôtre, le marché égyptien dispose de plus de liquidités. Les investisseurs étrangers détiennent environ 25% du flottant de la Bourse du Caire contre seulement 7% à Casablanca.
Au-delà de ces accords de coopération, le scénario d'une fusion avec d'autres Bourses est-il envisageable (schéma similaire à l'ensemble américano-européen NYSE-Euronext) ? Et dans la perspective de l'ouverture du capital de la société gestionnaire, serait-ce possible d'envisager l'entrée d'investisseurs étrangers dans ce capital ?
S'agissant de l'ouverture du capital, rien n'est encore décidé. Des discussions sont en cours entre la direction du Trésor et les actionnaires de la Bourse. A l'heure où je vous parle, il n'y a pas de schéma totalement arrêté. Est-ce que ces discussions prévoient ou non l'entrée d'investisseurs ou d'une Bourse étrangère ? A ma connaissance, non. Avant d'envisager des rapprochements avec des Bourses africaines, il faudrait que le statut même du capital soit d'abord clarifié. Cela dit, il faut savoir que dans la plupart des pays d'Afrique, les Bourses sont gérées par les Etats. Certains pays sont en train d'envisager l'ouverture des capitaux de leurs Bourses. J'estime que n'avons pas atteint un stade d'évolution à même d'initier une démarche similaire à celle initiée par l'ensemble Nyse-Euronext. Avant de se rapprocher, les Bourses occidentales étaient déjà démutualisées, c'est-à-dire cotées elles-mêmes en Bourse. Je pense que nous aurons moins de mal à développer une coopération technique plutôt qu'à chercher un lien capitalistique qui, par nature, serait compliqué. Dans ce sens, la BVC apporte déjà un soutien technique à la Bourse de Libreville. On peut également imaginer un schéma dans lequel la Bourse de Casablanca serait amenée à héberger le système d'information d'une Bourse africaine (les systèmes informatiques coûtent très cher et exigent des ressources humaines hautement qualifiées).
Vous avez signé une convention avec l'éditeur londonien Footsie pour lancer un nouvel indice portant le nom ''Footsie Casablanca Stock Exchange (FTSE)''. Quelle sera sa vocation ?
Effectivement, les équipes de Footsie sont en train de consulter les professionnels pour lancer cet indice lequel devrait regrouper les valeurs qui intéressent les gérants de portefeuilles aussi bien au Maroc qu'à l'étranger. L'idée étant de mettre en place un indice plus liquide que le Masi ou le Madex, dans lequel les investisseurs peuvent répliquer (c'est-à-dire investir dans ses valeurs sous-jacentes). A terme, l'objectif consiste à développer un produit dérivé sur l'indice de Casablanca, chose qui n'est pas possible avec les indices dont nous disposons aujourd'hui. Une fois mis en place, FTSE sera disponible sur les écrans des gérants de portefeuilles à l'échelle internationale.
Quelques incidents techniques ont marqué ces derniers mois la Bourse de Casablanca. Qu'en dites-vous ?
Il n'y a pas aucune activité humaine qui soit exempte des risques. Prenons l'exemple du transport aérien, est-ce que vous croyez que les avions partent et arrivent toujours à l'heure. La Bourse de Casablanca est dans cette configuration. Nous exerçons une activité humaine. Nous utilisons des logiciels qui peuvent parfois tomber en panne. Heureusement, cela n'arrive pas très souvent. Certains incidents ont été certes médiatisés, mais pour votre information, il y a trois semaines, Euronext a connu un incident technique pendant quatre heures (les indices n'étaient pas disponibles). Cela a fait l'objet d'un petit entrefilet dans la presse sans pour autant défrayer la chronique. Sachez que nous ne sommes pas dans une activité maîtrisée à 100%. Le zéro risque n'existe pas. En 2009, le taux de disponibilité du système d'information de la Bourse de Casablanca a été de 99,9976%. Ce n'est pas 100%, je l'admets. Mais honnêtement, je trouve que c'est un niveau acceptable. Même les Bourses les plus développées n'ont jamais atteint un niveau de disponibilité à 100%.
Le mot de la fin…
A la Bourse de Casablanca, nous sommes extrêmement heureux de voir la création d'une place financière qui va permettre à notre pays d'avoir une visibilité sur les marchés financiers internationaux et qui va également permettre aux entreprises marocaines de couvrir leur besoin de financement auprès d'un pool d'investisseurs beaucoup plus large.