Spécial Marche verte

Quand les enfants se mettent à mentir

Le mensonge existe depuis toujours. Et peu de gens pourraient affirmer n'avoir jamais menti.

04 Février 2010 À 16:59

Dans la majorité des cas, les premiers mensonges d'une personne pourraient remonter aux premières années de l'enfance. Ainsi, pour éviter d'être grondé ou échapper à une punition, un enfant peut se retrouver contraint de masquer la vérité, de la modifier au gré de la situation. Mais ce comportement peut devenir problématique lorsqu'un bambin prend l'habitude de mentir. Pour leur part, les parents réagissent mal. Quand ils réalisent que leur enfant ment, ils se croient être de mauvais parents. Certains se disent qu'ils n'ont pas donné la règle comme il faut, d'autres pensent qu'ils n'ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités et croient que leurs enfants vont être mal éduqués. Cela leur rappelle aussi, parfois, qu'ils étaient eux-mêmes des enfants menteurs, ce qui leur est difficile à accepter. Ils essayent dès lors de corriger leur défaut et commencent à les chicaner et les punir… Mais rien à faire, les enfants recommencent toujours.

Comportement normal. «Ce n'est pas moi, c'est lui!» «Il est tombé tout seul !». De fausses petites histoires pour éviter la punition ou pour masquer la réalité, se transformer en héros…«Il faut savoir que mentir est un comportement tout à fait normal chez les enfants dès 3 ans», d'après le pédopsychiatre Amine Benjelloun. Leurs mensonges sont inévitables et sont tout à fait classiques dans leur développement, voire même nécessaires. Ils interviennent souvent dans une période marquée par une imagination débridée. Les enfants ont donc naturellement tendance à déformer les faits, à en rajouter, à enlever ce qui ne les convient pas, à inventer des histoires et même à croire ce qu'ils sont en train de raconter. Par contre, certains mentent plus que d'autres, notamment ceux qui font fréquemment l'objet de grondements ou de punitions. La colère des adultes a souvent des conséquences sévères. Elle pousse l'enfant à cacher la vérité, par peur ou pour se protéger. Dans ce cas, il est peut-être naturel qu'il veuille éviter d'être puni à tout prix, quitte à devoir mentir. D'ailleurs, à quoi bon dire la vérité si le résultat automatique est la punition ou la colère ?

Il faut donc réfléchir sur les raisons qui poussent l'enfant à mentir, et savoir que ce qui compte face aux mensonges des enfants, c'est avant tout la réaction de l'entourage. Une phrase un peu trop méchante, un air embarrassé qui cache quelque chose, une justification tirée par les cheveux… Quand on pose la question : « Tu me dis un mensonge ? », et que la réponse est affirmative, il vaut mieux se contenter de ne retenir que le côté positif de l'aveu de l'enfant. «Et comme ça, le rapport parents-enfant fait alors un pas important en avant, parce qu'à partir de là, les parents vont commencer à connaître davantage leur petit», ajoute Dr Benjelloun. En effet, lorsqu'on tente d'analyser le contexte et la nature des mensonges des enfants, on peut entrer dans leur petit monde, ce qui permet de mieux savoir comment les guider et les accompagner. Un peu comme pour les rêves, les mensonges sont en fait le reflet fidèle de leurs besoins, de leurs envies et de leurs peurs.

Quoi qu'il en soit, l'innocence enfantine ne dure pas longtemps. Avec la raison, vient le moment où l'enfant commence à distinguer le vrai du faux, ce qui est réel de ce qui est imaginaire, et à comprendre que ce qu'il désire tant ne correspond pas souvent à ce qui existe vraiment ou ce qui est admis par la société. La magie s'en est allée et l'enfant comprend qu'il peut décider de cacher, de déguiser, de nier, de déformer des vérités, pour tromper son monde. Le voilà capable donc de mentir pour de vrai.
C'est-à-dire, comme le font les parents et les adultes. Tant il est vrai que le mensonge est un partage incontournable de la communication.
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Explication Dr Amine Benjelloun • Pédopsychiatre

«Je suis très embêté par un enfant qui, à l'âge de trois ans, ne ment pas»

Pourquoi les enfants disent-ils des mensonges ?

Cette notion de mensonge comporte quelque chose de très moralisateur et réducteur. Au risque de vous surprendre, je suis très embêté par un enfant qui, à l'âge de trois ans, ne ment pas, n'invente pas des histoires, n'essaie pas d'entraîner ses parents, amis, dans des chemins-histoires compliqués et faux. C'est merveilleux, pour moi, enfant de 3 ans, de comprendre que l'autre a sa propre pensée, que je peux aussi jouer avec la pensée de l'autre et de voir jusqu'où l'autre me suivra dans mes pensées, dans mes dires. Les enfants psychotiques ne mentent pas.

Pourquoi des enfants mentent plus que d'autres ?

Ils ne mentent pas plus que leurs parents, que leurs enseignants... Un enfant peut "mentir" devant une personne et pas une autre. Il "mentira" concernant un fait en présence d'une personne et pas d'une autre. Ce qui pose le problème de la confiance que peut avoir l'enfant en l'adulte. (Tout le travail des adultes est de gagner la confiance des enfants, et pas l'inverse).

Même nous, les adultes, nous ne disons pas toujours la vérité, les enfants le sentent-ils ?

On se trahit ; le ton de la voix ne colle pas aux mots. L'adulte se trouve gêné, des tics apparaissent, il en fait trop ou pas assez... Bref, ça sonne faux, aux oreilles de l'enfant.

Que pensez-vous des enfants qui racontent des histoires incroyables ?

Certains ont une imagination plus fertile que d'autres. Il faut les écouter, utiliser ce matériel prodigieux, le mettre à profit, en proposant des activités multiples et variées à ces enfants, pour que cette richesse imaginative explose.
Ce sont eux les futurs chercheurs, les futurs artistes, écrivains, conteurs. Par contre, il ne faut pas que cet imaginaire soit non canalisable, débordant sur la réalité au point de l'envahir. A ce stade, il vaut mieux consulter.

Est-ce qu'un enfant menteur deviendra forcément un adulte menteur ?
Non. Tout se rejoue toujours.

Comment les parents doivent-ils réagir devant un enfant menteur ?

Certains "mensonges " sont tolérables, parfois même souhaitables. L'adulte ne doit pas tout savoir de la réalité vécue par son enfant, pas plus qu'il ne doit contrôler son imaginaire. La peur, l'angoisse, la crainte et l'absence de confiance d'un parent envers son fils, poussent les enfants à mentir.
Lisez Pascal Hachet, "le mensonge indispensable" (Armand Colin), et vous comprendrez comment le mensonge aide les individus à assimiler les expériences difficiles, et participe à la création et à l'équilibre des liens sociaux ! Rien de moins !

* Journaliste stagiaire
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