Fête du Trône 2006

Le tourisme culturel au Maroc : un outil de rayonnement et une niche d'emploi mal exploités

Mokhtari Abderrahmane
>Responsable RH au ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle

13 Février 2010 À 19:12

Le maire de Marrakech a tiré la sonnette d'alarme lors d'une intervention la mi-janvier sur le patrimoine de Marrakech, en mettant le doigt sur les négligences et les défaillances que connaissent les monuments architecturaux et musés de la ville ocre. Des acteurs associatifs de la même ville avaient déjà essayé d'attirer l'attention des autorités locales sur ce problème et avaient proposé des alternatives intelligentes pour que le patrimoine historique de Marrakech ne dépérisse pas et devienne, à l'instar de ce qui se fait dans des pays où le tourisme est florissant, un outil de rayonnement culturel et un levier non négligeable du décollage économique.
En 2003 effectivement, un groupe formé d'intellectuels, d'artistes, d'architectes, d'universitaires, tous amoureux de Marrakech, menés par un acteur associatif dynamique, éditeur et soufi, avaient réfléchi à un projet original et avant-gardiste au Maroc et demandé au wali de l'époque, après lui avoir exposé en détail l'idée, de l'appuyer pour qu'il soit réalisé.
En quoi consiste ce projet ? L'idée était de faire du Palais Bahia où résidait le vizir Ba Ahmed, bras droit du Sultan Moulay Hassan 1er, un haut lieu du tourisme culturel.

Le palais en question est géré actuellement par le ministère de la Culture et ses entrées (10 DH pour les nationaux et 20 pour les étrangers) génèrent quelque 5 ou 6 millions de DH par an. La formule proposée par le think-thank consistait à créer une fondation avec un conseil d'administration et de revoir complètement le mode de gestion de ce monument de l'histoire du Maroc. Au lieu de continuer à proposer aux visiteurs, à un prix dérisoire, la découverte des murs, des salons vides et des plafonds, l'idée consistait à faire vivre l'ancien Palais, de le meubler, d'y créer une petite librairie où seraient vendus des livres sur l'histoire et la culture du Maroc, une boutique souvenirs et bibelots, un salon de thé et un restaurant pour faire apprécier l'art culinaire marocain, une galerie d'art (Belkahia faisant partie du groupe), une salle de cinéma où seraient projetés des films documentaires sur l'histoire du Royaume, un riyad où seraient organisées des rencontres littéraires, soirées musicales samaa, fêtes religieuses, une maison de l'artisan et un théâtre. Le visiteur ne laisserait pas 10 ou 20 DH mais un minimum de 50 DH.

Le calcul le moins optimiste est qu'une moyenne de 100 DH par visiteur donnerait un chiffre d'affaires annuel de 100 millions de DH pour 1 million d'entrées par an (le musée du Louvre a enregistré à titre d'exemple 8,5 millions d'entrées en 2009). Une cinquantaine de personnes (administratifs, artistes, commerciaux et personnels divers) pourraient faire fonctionner l'ancien Palais, ainsi transformé, pour une masse salariale ne dépassant pas les 7 ou 8 millions de DH.
Une partie des bénéfices engrangés serait réinvestie sur le même site et une autre partie irait alimenter un fonds qui serait dédié aux opérations du même genre à Marrakech et dans d'autres villes impériales (restauration de monuments, embellissement, aménagement …) faisant ainsi de l'opération Fondation El Bahia une expérience pilote qui ferait boule de neige à travers le Royaume et créerait une dynamique culturo-touristique qui entraînerait dans son sillage le développement d'un grand nombre d'activités artisanales, artistiques et culturelles génératrices de richesses et d'emploi.

Dans l'exposé fait devant le wali à l'époque, et afin de ménager toute susceptibilité possible, le groupe s'était engagé dans le scénario monté à verser chaque année au ministère de la Culture l'équivalent de la somme collectée avant création (7 ou 8 millions DH).
Le projet n'avait pas eu de feed-back malgré les enjeux qu'il pouvait susciter et la qualité des personnes qui le portaient. On pourrait supposer que le Maroc, n'ayant pas encore réuni les ingrédients d'une maturation socio-politique, les décideurs avaient jugé prudent d'opter pour un certain attentisme. Ou pouvait supposer aussi que ces mêmes décideurs ont dû préférer ne pas heurter l'USFP à un moment où le pays vivait l'expérience de l'alternance (le ministre de la culture de l'époque était socialiste). Mais quoiqu'il en soit, la quinzaine de personnes qui formaient le groupe, voyant que le projet était en stand-by, ont baissé les bras en attendant des jours meilleurs pour revenir à la charge.

Voilà donc un exemple concret où la société civile se mobilise et des intellectuels, des universitaires, des artistes proposent une alternative à la gestion, défaillante, il faut le dire, du patrimoine historique de nos villes impériales et voient leurs doléances contrer par le mur.
Combien de projets potentiellement structurants, complets et prometteurs en termes d'emploi et d'amélioration de l'image du Royaume peuvent trouver leur chemin vers la concrétisation si les outils mis en place (CRI, autorités locales, etc.) avaient plus de réactivité ?
Maintenant que la mairesse de Marrakech a mis le doigt sur ce problème, d'autant plus que c'est une élue étiquetée PAM (Parti Authenticité et Modernité) qui veut apporter un vent de changement à la vie socioéconomique, le moment est peut-être venu de revoir complètement les modes de gestion et d'organisation du tourisme de façon générale et du tourisme culturel plus particulièrement pour l'impact qu'il a sur le rayonnement d'un pays à l'étranger et sur l'emploi.
Je lance un appel pour que le projet fondation El Bahia voit le jour, et pour qu'une chance soit donnée aux concepteurs de l'idée, qui ont tous réussi dans leurs vies professionnelles respectives, et qui sont animés par un réel et sincère désir de faire avancer les choses.
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