Fête du Trône 2006

De Gaulle sur les barricades

Auteur de "The General: Charles de Gaulle and the France He Saved".

14 Juillet 2010 À 13:07

Charles de Gaulle naît à Lille il y a 120 ans. Il succombe à une crise cardiaque il y a 40 ans, un soir qu'il fait chez lui une partie de solitaire, à Colombey les deux Églises. Et c'est en juin 1940, il y a soixante-dix ans, qu'il fait résonner son fameux appel à la résistance sur les ondes de la BBC, après avoir quitté une France en pleine déroute. La plus grande figure française depuis Napoléon connaît donc une année faste en anniversaires aux chiffres ronds.

Cette année marque également un autre anniversaire, beaucoup moins fêté celui-là. Il s'agit d'un épisode au cours duquel le mélange unique qui le caractérise, fait de résolution, de tact politique et de talent oratoire, lui permet de mater une opposition obstinée. Une étape essentielle dans la naissance de la Cinquième République, encore vivace aujourd'hui.

La guerre d'Algérie joue un rôle-clé dans le retour de de Gaulle au pouvoir en mai 1958, à 67 ans. Il a beau se dépeindre dans ses mémoires sous les traits d'un dirigeant qui sait ce qu'il fait, mes recherches pour la rédaction d'une nouvelle biographie font apparaître que sa politique à l'égard de la crise secouant la zone méditerranéenne est plutôt faite d'espoirs déçus. Il fonde ses espoirs sur la supériorité militaire de la France sur le FLN (Front de libération nationale), et se désole du chaos politique qui règne sur place et de la difficulté de convaincre les colons que le maintien du statu quo est impossible.

En 1958 à Alger, devant une foule essentiellement composée de pieds noirs d'Europe, il lance son fameux "Je vous ai compris.” Mais en 1960, la rancœur prend le pas sur l'euphorie chez ceux qu'il a utilisés pour reprendre le pouvoir, mais qui le considèrent maintenant comme un traître, qu'il faut contrer, lui et le régime qu'il a fait naître.

C'est une interview du général de division Jacques Massu, publiée dans le quotidien allemand Sueddeutsche Zeitung, qui met le feu aux poudres et qui va déclencher ce que l'on appellera par la suite la "semaine des barricades.” Massu déclare qu'une partie de l'armée regrette d'avoir rappelé de Gaulle au pouvoir, qu'elle se sent flouée par sa politique et l'accuse d'être "aux ordres de la gauche.” Massu, un gaulliste convaincu, aurait dû prévoir, quelle que soit l'étendue de son mécontentement, ce qu'il en coûte de déballer des vérités qui fâchent. Il est rapidement relégué en province. De Gaulle et lui ont une entrevue houleuse à l'Elysée, à l'issue de laquelle Massu téléphone à son chef d'état-major, le colonel Antoine Argoud, lequel, depuis un moment déjà, est partisan d'un putsch.

Une grève générale est décrétée et des étudiants politisés érigent des barricades au centre d'Alger. Quand la police donne l'assaut aux gaz lacrymogènes, les pieds noirs ouvrent le feu. Au cours de la fusillade qui s'ensuit, 14 membres des forces de sécurité et huit manifestants sont tués et 200 personnes blessées.

"L'heure est venue de renverser le régime,” déclare Jean-Jacques Susini, l'idéologue de l'extrême-droite. "La révolution partira d'Alger et gagnera Paris.”
De Gaulle est à Colombey, mais il retourne aussitôt à Paris. Un fonctionnaire, qui le croise dans les couloirs de l'Elysée à ce moment-là, se rappelle l'avoir entendu grommeler: "Quelle affaire! Quelle affaire!” Lors d'une réunion de cabinet, il tient à ce qu'il soit mis fin au défi de la nouvelle république.

Michel Debré, le premier ministre, est envoyé à Alger, mais les rebelles le traitent par le mépris, et il reprend l'avion les mains vides. Des rumeurs se répandent sur la création d'un gouvernement fantôme par des extrémistes à Paris. Des membres de l'encadrement militaire présidentiel se voient ordonner de porter des pistolets. De Gaulle convoque le successeur de Massu, le général Jean Crépin, et lui dit: "Les Européens ne veulent pas de l'autodétermination pour les Arabes, [mais] les musulmans ne veulent pas être des Bretons. Si l'armée se fait torpiller, c'est l'Algérie [et] la France qui coulent avec elle.”

L'apparition de de Gaulle, en uniforme, à la télévision, nouveau medium dont il joue avec maestria, est un moment décisif. "Eh bien! Mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve,” commence-t-il. Affirmant que l'autodétermination est la seule voie possible, il en appelle à l'armée pour refuser toute accointance, même passive, dans l'insurrection, et la somme de rétablir l'ordre public. Si l'Etat cède aux provocations, la France ne sera "plus qu'un pauvre jouet disloqué sur l'océan des aventures,” prévient-il.

Le visage du général s'est à peine effacé qu'un quart d'heure plus tard, on assiste au ralliement de 40 unités militaires en Algérie. Les hommes retranchés derrière les barricades, les quittent sans se faire prier, certains des chefs insurgés sont mis sous les verrous, d'autres prennent la fuite en Espagne.
Cette défaite de la mutinerie s'avère être la première fois où les pieds noirs, qui avaient contribué à défaire la Quatrième République, se soumettent à l'autorité républicaine de Paris. La fermeté et l'éloquence de de Gaulle – aidées, il faut le dire, par la maladresse des rebelles – ont donné la primauté à l'Etat.

Le lendemain, de Gaulle a les traits tirés, mais il est rempli de détermination et d'énergie. Les ministres qui sympathisent avec les colons, notamment Jacques Soustelle, un gaulliste de la première heure, sont mis à la porte. De Gaulle obtient de l'Assemblée nationale le droit de gouverner par décret pendant un an. Les syndicats organisent une grève symbolique d'une heure en soutien au gouvernement. Il ressort d'un sondage, que l'opinion approuve le général à 75%.
La Cinquième République est sauve, et une page d'histoire se tourne. Le mépris que les colons et leur émotivité inspirent à de Gaulle, un homme du Nord, depuis l'autre rive de la Méditerranée, s'est encore renforcé. Deux ans plus tard, la trempe d'acier de de Gaulle repousse un second soulèvement, et la France et le FLN signent la paix des accords d'Evian, consacrant l'indépendance de l'Algérie.
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