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Iran : un an après...

Karim Sadjadpour
>Membre associé de la Carnegie Endowment for International Peace à Washington.

13 Juin 2010 À 10:54

Ce mois-ci marque le premier anniversaire de la très contestée réélection du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui a provoqué le plus grand soulèvement populaire que le pays ait connu depuis la Révolution islamique de 1979. Tandis que le régime parvenait progressivement à museler dans la violence l'opposition du Mouvement vert, les profondes divisions intérieures du pays – aussi bien au sein même des élites politiques qu'entre le gouvernement et la société – sont loin d'être résorbées.

Les évènements ont fait de nombreuses victimes collatérales parmi lesquelles la notion même d'un Iran comme « République islamique». Selon l'expression du Grand Ayatollah Ali Montazeri, la brutalité du régime contre son propre peuple en fait une nation qui n'est « ni islamique ni république». Une autre victime fut la légitimité du chef suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei. Pendant vingt ans, Khameini a trompeusement cultivé l'image d'un guide impartial et magnanime, mais il s'est révélé être un petit autocrate partisan en accordant ouvertement son soutien sans faille à Ahmadinejad. Parmi les slogans sans précédent entendus lors des manifestations de l'été dernier, il y a eu celui de « Khameini assassin, son pouvoir est nul». Sous la direction de Khamenei, une trilogie improbable constituée de gardiens de la Révolution, nouveaux riches, de religieux intransigeants et de miliciens Basij endoctrinés a progressivement pris le pouvoir. Malgré ses prétentions religieuses comme guide spirituel, l'avenir de Khameini dépendra surtout des gardiens de la Révolution.

Tandis que Khameini s'inquiète de certains chefs religieux qui à Qom expriment de plus en plus leur opposition à sa loi, le vrai danger pourrait venir de l'intérieur même des gardiens de la Révolution et qui pourrait, en revanche, lui être fatal. Malgré la crise de légitimité du gouvernement et une mauvaise gestion endémique, le Mouvement vert – mené par les candidats d'opposition à la présidence de Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi – doit faire face à des obstacles majeurs. Les cerveaux du mouvement sont soit derrière les barreaux, soit interdits de communiquer librement. Ils manquent d'organisation et de vision stratégique. Lorsque les manifestations ont débuté l'année dernière, la nature populaire du Mouvement vert était considérée comme un avantage, dans la mesure où il ne pouvait pas être si facilement écrasé. « Il y a trente ans, les gens étaient des moutons et Khomeini était leur berger», me disait un éminent activiste pro- démocratie iranien. « Aujourd'hui, nous n'avons pas de berger, mais les gens ne sont plus des moutons».

Malgré la force que représente leur nombre, Mousavi et Karroubi commettent une erreur en s'appuyant uniquement sur les contestataires de la rue. Leurs courageux partisans défendent la tolérance et pratiquent la non-violence mais ils sont dépassés par les forces gouvernementales armées qui sont prêtes à tuer et à être tuées pour conserver le pouvoir. Si le Mouvement vert veut représenter une réelle menace pour le gouvernement, il doit s'adjoindre le soutien des commerçants du bazar, des ouvriers dans les industries majeures du pays, des syndicats des transports et des fonctionnaires du gouvernement. Si tous ces groupes entamaient des grèves soutenues, l'économie du pays en serait immobilisée. Mais ce sera une tâche difficile car si la grogne des travailleurs iraniens est réelle, ils n'en demeurent pas moins aussi amorphes que le Mouvement vert lui-même. De plus, peut-être en partie parce qu'ils sont échaudés par les promesses non tenues et les excès de la Révolution islamique, Mousavi et Karroubi ne recherchent pas expressément des changements radicaux.

Ils poursuivent plutôt une approche graduelle dont l'objectif est de coopter et de recruter les membres des classes traditionnelles qui se détournent du pouvoir, y compris des religieux et des gardiens de la Révolution, pour les rallier au Mouvement vert. La stratégie délibérée du Mouvement vert est freinée par les Etats-Unis, l'Europe et surtout Israël, qui ressentent l'impérieuse nécessité de brider les ambitions nucléaires du gouvernement iranien. L'influence que peuvent avoir les puissances étrangères comme les Etats-Unis sur la réforme politique en Iran est limitée et la politique iranienne de l'Administration Obama est, par ailleurs, confrontée à deux obstacles. Tout d'abord, comment arriver à un arrangement avec un régime pour lequel vous êtes plus utile en tant qu'adversaire ? Tandis qu'une large majorité d'Iraniens veut se rapprocher des Etats-Unis, l'hostilité vis-à-vis des Américains est devenue un élément essentiel de l'identité de la République islamique pour les partisans iraniens de la ligne dure. « Si le pouvoir iranien devait adopter une attitude pro-américaine, nous devrons renoncer à tout, » a concédé l'Ayatollah Ahmad Jannati, à la tête du puissant Conseil des gardiens.

«Après tout, l'anti-américanisme est l'une des principales composantes de notre état islamique». Le second défi pour les Etats-Unis est de défendre les droits de l'Homme et la démocratie en Iran sans compromettre l'indépendance des forces d'opposition. La diversité du Mouvement vert fait qu'il n'y a aucun consensus clair sur la politique américaine qui serait la plus constructive. La conviction universelle est que les Etats-Unis doivent absolument éviter toute action militaire, condamner les abus de la République islamique contre les droits de l'Homme et exprimer leur solidarité morale envers le peuple iranien. Il n'y a pas non plus de consensus sur les questions plus délicates comme l'efficacité potentielle de sanctions ciblées. Le tout premier Premier ministre post-Révolution de l'Iran, Mehdi Bazargan, aurait déclaré que le véritable leader de la Révolution de 1979 n'était pas l'Ayatollah Khomeini mais plutôt le Shah, qui était parvenu à rallier une diversité de groupes de la société iranienne contre lui. Une dynamique assez similaire semble s'être reformée aujourd'hui : les deux personnes dont on peut dire aujourd'hui qu'elles sont responsables de la résistance de l'opposition ne sont pas Mousavi et Karroubi, mais Ahmadinejad et Khamenei. La brutalité et l'intimidation du gouvernement peuvent interrompre la marche de l'histoire pour un temps, mais pas indéfiniment. Quel que soit le destin du Mouvement vert à court terme, des millions de courageux manifestants iraniens ont clairement exprimé au monde l'été dernier que la quête centenaire du pays pour la démocratie est une idée dont le temps est venu.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
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