Fête du Trône 2006

L'Université marocaine demain

Samir BELFKIH
>Professeur universitaire

09 Août 2010 À 16:40

La compétition entre les pays prendra de nouvelles formes à l'avenir. Le défi sera relevé par les nations disposant dès aujourd'hui d'une vision du monde de demain. En effet, avec l'explosion démographique, l'e-payement, l'e-mobility, le manufacturing, les nanotechnologies et d'autres aspects feront la différence entre les états dans les prochaines années. Par ailleurs, la Compétitivité d'un pays doit d'une part, garantir un progrès social qui repose sur la formation, la santé, l'emploi et la démocratie et d'autre part, stimuler la productivité et la croissance économique.

Dans le cadre de sa stratégie à moyen terme, le Maroc est déterminé à anticiper l'avenir et se pencher dès aujourd'hui sur les défis à relever demain. « … Nous avons autant d'ambition que de détermination pour assurer l'insertion du Maroc, par ses entreprises et ses universités, dans l'économie mondiale du savoir.…». Extrait du Texte intégral du discours adressé à la Nation par S.M. le Roi à l'occasion de la Fête du Trône - 30/07/08.

En effet, il ambitionne d'une part d'avoir demain une place respectable et compétitive dans l'économie mondiale du savoir, et d'autre part, d'investir dès aujourd'hui de nouvelles voies industrielles autour des Nanotechnologies, la Biotechnologie, L'énergie et l'environnement, la Microélectronique et les techniques de l'information (TI). Pour cela, Il a mis en place de nombreux initiatives et projets nationaux visant à moderniser la société marocaine pour l'émergence d'une société du savoir démocratique, forte, riche et moderne. Nous pouvons citer à titre d'exemple : INDH, Emergence, Urgence, Génie, Mascir, Maroc Numérique 2013 et d'autres. Cela contribuera inévitablement à la création de la richesse qui demeure une équation politique très compliquée à résoudre.

Il est évident que les ressources humaines marocaines(RH) formées en grande partie par les universités marocaines, notamment celles spécialisées en techniques de l'information(TI), constituent le pilier primordial et le mur porteur nécessaire à la réalisation de notre grand projet de modernisation et de combativité économique. D'une part, elles doivent répondre au besoin actuel du pays en matière de compétences particulièrement autour des activités Offshores, et d'autre part, mettre dès aujourd'hui le train marocain de la compétitivité sur les bons rails. En effet, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a toujours mis en avant le rôle que doit jouer le système d'éducation pour relever ce défi national, «…Le décollage économique et la création d'emplois productifs ne peuvent se faire sans la mise en œuvre optimale de la réforme du système d'éducation et de formation….. ».« …La réforme judicieuse du système d'éducation et de formation est la voie essentielle à emprunter pour relever les défis du développement….. », extrait du discours royal.

Malheureusement, le déficit de l'université marocaine en matière de RH aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif, risque de faire planer le doute sur les ambitions du Maroc d'être présent dans l'échiquier économique mondial de demain. En effet, plusieurs rapports nationaux et internationaux ont tiré la sonnette d'alarme sur l'état actuel de l'enseignement supérieur au Maroc. Sur le plan quantitatif, le système éducatif marocain ne produit jusqu'en 2006 qu'environ 4283 ingénieurs par an ce qui est équivalent à 1,43 ingénieur pour 10000 habitants contrairement à 6 ingénieurs pour les pays de l'Est et 2,5 pour la Tunisie. Pour remédier à ce manque en matière de RH, Le Maroc a mis en place un programme national pour la formation de compétences capables de s'insérer facilement dans son grand chantier de développement, en lui réservant une enveloppe budgétaire très importante, répondant aux attentes des entreprises susceptibles de s'installer au Maroc. Il se traduit par le programme de formation Offshoring où participent plus de 28 établissements publics d'enseignement supérieur, le programme 10000 ingénieurs et le programme de la formation continue pris en charge par l'Anapec autour de l'Offshoring. Nous sommes très loin des 300 000 ingénieurs formés chaque année en Inde. Malgré ces efforts, la rareté des ressources humaines se fait bien sentir chez les opérateurs en IT.

D'autre part, le taux de renouvellement des ressources humaines (turn-over) et la fidélisation des cadres sont un vrai casse-tête pour les professionnels en IT. Un ingénieur change d'emploi en moyenne 2 à 3 fois en 3 ans. Par conséquent, les salaires flambent entrainant inévitablement une baisse des intentions d'implantation au Maroc ce qui a été montré récemment par un baromètre d'activité du cabinet d'audit Ernst & Young. Enfin, la cerise sur le gâteau est que plus de 8% de lauréats marocains quittent le pays pour aller mettre leurs intelligences au service du nord.

Sur le plan qualitatif, Certes, la volonté du ministère de l'Enseignement supérieur et Le programme Urgence se sont fixé l'objectif de stimuler l'initiative et l'excellence à l'université par l'amélioration de l'offre d'enseignement supérieur et la promotion de la recherche, mais cela n'empêche pas certains opérateurs en TI de reconnaître un niveau de compétence un peu plus élevé chez les ingénieurs d'autres pays concurrents comme les pays de l'Europe de l'Est que chez les Marocains. En effet, la fracture numérique existante entre l'université et l'entreprise en est la preuve : Certains langages de programmation et logiciels enseignés à l'université sont souvent obsolètes par rapport aux besoins des opérateurs en TI. Enfin, l'environnement logistique au sein de certains établissements de l'enseignement supérieur tant sur le plan Hardware que sur le plan Software est très loin de l'environnement de travail dans le secteur privé.

Le fossé entre les universités et les entreprises sur le plan numérique rend la tâche de formation de lauréats de haut niveau prête à produire, très difficile voire impossible au moins à court terme. En effet, l'enseignement supérieur censé former les futures ressources humaines en TI ne fait pas du numérique un outil incontournable de travail. Nous pouvons citer à titre d'exemple d'une part que le système d'information APOGE n'est pas généralisé complètement dans toutes les universités marocaines, et d'autre part, l'absence d'un Environnement Numérique de Travail (ENT) uniforme entre les université ainsi que d'autres outils numériques indispensables comme les Universités Numériques Thématiques(UNT) et la formation à distance(Foad) destinée aux étudiants « distanciels » sans oublier de mentionner le silence du campus virtuel marocain.

Enfin, les ingénieurs et techniciens marocains manquent de compétences en matière de communication et de langues. En effet, Si le nombre de francophones ne dépasse pas 200 millions dans le monde, nos ingénieurs devraient d'une part bien maîtriser le français et se pencher davantage sur d'autres langues comme l'anglais. La stratégie numérique du Maroc pour l'émergence de la société du savoir est effectivement indispensable et très prometteuse. Néanmoins, de nombreuses mesures doivent être prises d'urgence pour atteindre les objectifs que le Maroc s'est fixés.

Pour augmenter le nombre de lauréats et améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche au Maroc, il faut d'urgence:
1. Impliquer le secteur privé dans l'enseignement supérieur en mettant en place de réels partenariats entre l'université et le privé (PUP) comme ce qui se fait dans de nombreux pays comparables économiquement au Maroc.
2. Revoir l'ensemble des formations autour des TI (contenu, outils, méthodologie…) pour qu'elles soient en adéquation avec la politique nationale et le marché du travail.
3. Créer un pont et une passerelle entre la recherche scientifique à l'université à vocation purement académique et le secteur privé pour faire sentir son impact socio-économique.
4. Généraliser une charte nationale concernant la logistique de travail au sein de toutes les universités marocaines.
5. Instaurer la culture de compétition, d'excellence et d'élitisme à tous les niveaux du système d'enseignement.
6. Revaloriser les études courtes comme les DUT
7. Mise en place de formations en alternance.
8. Sensibiliser les entreprises et le corps professoral des enjeux majeurs et des orientations clés de la stratégie du Maroc dans ce cadre.
9. Mettre en place des initiatives et une politique intelligente autour de « l'incubateur » pour inciter et encourager nos jeunes diplômés marocains à la création d'entreprises en TI.
10. Mettre en place de vrais mécanismes pour faire bénéficier le Maroc de sa diaspora numérique et réduire le taux d'immigration de nos lauréats. L'instauration de la société du savoir au Maroc est un défi qui doit être porté collectivement par l'ensemble des Marocains, car il contribuera inévitablement à la concrétisation de notre grand projet démocratique et moderniste.
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