Fête du Trône 2006

Une dénucléarisation à très petits pas !

Bennett Ramber
>Ancien membre du Bureau des affaires politico-militaires du Département d'Etat sous la présidence de George H.W. Bush. Il a écrit plusieurs livres sur la sécurité internationale.

22 Août 2010 À 13:53

Ces jours-ci, alors que le débat sur la ratification du Nouveau traité de réduction de l'armement stratégique (le nouveau traité START) avec la Russie fait rage au Sénat américain, une étrange sensation de déjà vu saisit Washington. Une polémique a éclaté entre l'administration Obama, les futurs candidats à la prochaine élection présidentielle, certains sénateurs et des experts en matière de contrôle de l'armement et de la défense. Cela ne relève sans doute pas d'une nostalgie de la Guerre froide, mais les arguments échangés sont une réminiscence de cette période.

Le Sénat doit se prononcer sur la question de savoir si le nouveau traité START renforce la sécurité de l'Amérique. Malheureusement, quelle que soit sa décision - qui pourrait être ajournée à la fin de l'automne afin de laisser davantage de temps à l'administration Obama pour mobiliser en faveur du traité - les gouvernements américain et russe vont continuer dans le futur prévisible à se placer l'un l'autre dans leur ligne de mire nucléaire. Le nouveau traité START se situe dans la prolongation de la limitation de l'armement nucléaire stratégique qui a débuté dans les années 1970.

L'ancien secrétaire d'Etat Henry Kissinger a bien formulé le problème dans un récent témoignage:"L'idée du contrôle de l'armement nucléaire est née des tentatives apparemment paradoxales de ceux qui ont créé l'arsenal… le plus destructeur, pour éviter par la négociation les conséquences ultimes de leurs propres décisions." Au cours du temps, "éviter… les conséquences ultimes" par la limitation de l'armement a buté sur la crainte d'une attaque surprise que les USA et la Russie ont héritée de la Deuxième Guerre mondiale.
Après la guerre, chacun a adopté une politique du style "ne plus jamais se laisser surprendre", ce qui s'est traduit par des milliards de dollars investis dans tout un éventail d'armes nucléaires mobiles, cachées et plus sophistiquées les unes que les autres dans le but de dissuader l'autre.

Il en a résulté des milliers de têtes nucléaires. Finalement, les traités de limitation des armes stratégiques sont devenus la mesure des relations politiques américano-russes. L'effondrement de l'Union soviétique a été une occasion unique de mettre fin à la course à l'armement nucléaire.
S'il y a eu élimination des stocks nucléaires dans les anciennes républiques soviétiques, le Kremlin s'est cramponné à son arsenal nucléaire - dernier vestige du passé de superpuissance de la Russie. De leur coté, les gouvernements américains successifs n'ont pas renoncé à la Bombe. Aussi, "l'équilibre de la terreur" issu de la Guerre froide a-t-il perduré, bridé cependant en 2002 par le traité de réduction des armes stratégiques offensives (START) qui a fixé à 2200 le nombre maximum de têtes nucléaires à l'horizon 2012. Lors d'un discours à Prague au printemps 2009, Obama a avancé un objectif ambitieux : un monde dénucléarisé. Mais son audace s'est heurtée à un monde dans lequel la Bombe reste au cœur de la stratégie de dissuasion de beaucoup de pays. Obama a brouillé son message en ajoutant qu'il ne s'attendait pas à voir la disparition de l'armement nucléaire au cours de son existence.

Néanmoins, le nouveau traité START marque une avancée dans la direction du désarmement. Les pays signataires ne pourraient disposer chacun de plus de 1550 têtes stratégiques sur 700 véhicules déployés en position de tir. Le processus de contrôle repose sur 18 inspections sur site, la notification des armes en service et hors service, des informations sur les essais de missiles, sur des échanges d'autres données et sur une commission consultative chargée de veiller au respect du traité. Les partisans du nouveau traité START disent que s'il n'est pas ratifié par le Sénat, les USA ne seront plus en position de prévoir l'évolution des activités nucléaires de la Russie, avec pour conséquence une plus grande méfiance et un plus grand risque d'erreur de calcul - ce qui insécuriserait les deux pays. Les opposants au traité ne partagent pas ce point de vue. Pendant la Guerre froide, ils estimaient que toute entrave au développement de l'armement nucléaire américain ou à son volume portait atteinte à la sécurité nationale. Leur point de vue était renforcé par la crainte que l'Union soviétique ne triche. Or la tricherie a effectivement ébranlé la relation entre les deux superpuissances.

Aujourd'hui les mêmes appréhensions nourrissent l'opposition au nouveau traité START. Afin d'apaiser ces inquiétudes, l'administration Obama s'est engagée à une augmentation du budget des laboratoires de l'armée américaine consacrée à l'armement nucléaire qui sera maintenu plusieurs années. Et dans le document sur la politique nucléaire américaine (la Nuclear Posture Review) publié le 10 avril, elle avertit les autres pays disposant de l'arme nucléaire et ceux qui seraient tentés de violer le Traité de non-prolifération nucléaire qu'ils resteraient des cibles pour l'armement nucléaire américain. La défense antimissile est une autre source de désaccord. Le préambule du nouveau traité START stipule que l'accord ne "nuira pas à la viabilité et à l'efficacité des armes stratégiques offensives des parties".

Selon les critiques, cette clause, à laquelle s'ajoute l'avertissement implicite du Kremlin qu'il se retirera unilatéralement du traité si les défenses américaines dépassent un certain niveau, donne à ce dernier un moyen de pression pour s'opposer au déploiement de tout système de défense stratégique antimissile.
L'administration Obama a rejeté plusieurs fois cet argument, ainsi que d'autres selon lesquels les contrôles prévus par le traité sont insuffisants. Quant à l'hypothèse que la Russie va tricher en multipliant ses têtes nucléaires sur les bombardiers ou en utilisant un nouveau vecteur nucléaire sur rail, l'administration américaine y a répondu par l'ironie en déclarant que le Kremlin veut éviter les mesures compensatoires que prendrait l'Amérique.

Mais l'équipe d'Obama reconnaît une chose : le nouveau traité START laisse largement l'avantage numérique de la Russie en terme d'armes tactiques. Estimant que les missiles de courte portée ne constituent pas une menace pour le territoire américain, les négociateurs américains devraient demander une réduction du nombre de têtes nucléaires dans la suite des négociations. En dépit des déclarations de l'administration Bush et maintenant de celle d'Obama affirmant que la Russie et les USA ne sont plus des adversaires, il semble que le rapprochement entre les deux pays n'a pas changé le fait qu'ils se mettent l'un l'autre en joue avec leurs armes nucléaires. Même si le nouveau traité START est ratifié, cette situation ne devrait satisfaire personne.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
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