Spécial Marche verte

Ces parents qui aiment trop

«Un amour excessif est un amour coupable», dit l'écrivain tchèque Milan Kundera. Cela s'applique, a fortiori, à l'amour parental. C'est que trop d'amour ne peut qu'être préjudiciable au développement de la personnalité de l'enfant et à sa vie sociale.

15 Avril 2010 À 15:53

Aimer et le faire savoir oui, mais il faut bien, par contre, se méfier de devenir une maman ou un papa poule qui, en pensant faire du bien à son petit, l'étouffe et lui cause d'irréparables dégâts aussi bien sur le plan psychique que social. Primo, c'est sa confiance en lui qui s'en trouve ébranlée. Une fois qu'il sera amené à s'éloigner momentanément de ses parents qui représentent à ses yeux la côte de sécurité, il sera déboussolé et aura beaucoup de mal à se débrouiller seul dans la vie et à faire face aux contraintes du quotidien. Plus encore, il s'attendra toujours à un traitement privilégié de la part des autres à l'instar de celui qui lui est réservé à la maison. Il y a donc de quoi corrompre ses relations avec ses amis et ses camarades de classe. Secundo, l'amour parental immodéré sape l'autonomie de l'enfant. Naturellement, un enfant choyé qui a l'habitude de voir ses moindres vœux exaucés par ses parents fuira toute responsabilité et, quand il sera obligé de voler de ses propres ailes, il se trouvera incapable de prendre sa vie en main. Généralement, les parents poules cherchent à protéger leur progéniture contre les aléas de la vie (maladies, accidents, mauvaises fréquentations…).

Sous prétexte que l'enfant est encore mineur et qu'il est incapable de faire la part des choses et des êtres, certains parents s'érigent en dictateurs et n'hésitent pas à s'immiscer ouvertement dans sa vie et à empiéter sur ses libertés les plus élémentaires : on lui dicte ce qu'il doit manger, comment il doit s'habiller, avec qui il doit sortir… Etouffé, le petit ne voit dans le toit parental qu'une vaste prison et n'attend que le moment propice pour en sortir et mener normalement sa vie d'enfant loin de l'emprise de ses parents surprotecteurs. Selon le docteur Amine Benjelloun, l'amour parental devient « dangereux » à partir du moment où « on va surprotéger l'enfant, on va réfléchir à sa place, l'empêcher de penser et de faire ses propres choix ».

L'amour parental peut être également nocif quand il est lié au désir de « s'approprier » l'enfant. Le papa ou la maman poule refusent ainsi de «partager» leur enfant avec qui que ce soit, et cherchent, sous couvert de protection, à l'éloigner de ses amis et de son entourage pour ne l'avoir que pour eux. En d'autres termes, «l'enfant devient un objet parental», selon le docteur Benjelloun. Certainement, il s'agit là d'un amour pathologique qui reflète de profonds troubles psychiques et qui porte préjudice aussi bien à l'enfant qu'à ses parents.

Dans son livre «le syndrome de la mère poule», le docteur Michael Ungar, un thérapeute familial canadien, met en garde contre les méfaits de la surprotection maternelle. Pour lui, les parents surprotecteurs ont toutes les raisons du monde de couver leur enfant : ils l'aiment tant et ils ne veulent pas qu'il lui arrive un malheur. Ce qui fait qu'ils vivent continuellement dans une angoisse souvent injustifiable et inutile. «Je ne les blâme pas », dit le Dr Ungar. «Ce n'est pas parce qu'ils sont mesquins, ils le font par amour». Il souligne, par contre, l'impact nocif des médias qui alimentent les craintes des parents par des faits divers pour le moins angoissants (enlèvements, délinquance, toxicomanie, droguerie…) Bien évidemment, il ne s'agit pas de dissimuler ses sentiments d'amour très légitimes envers son petit bout de choux, parce que l'amour parental est indubitablement indispensable à son épanouissement.

Il s'agit plutôt de trouver le juste milieu entre une affection débordante, voire violente, qui est extrêmement dure à vivre pour un enfant, et une frigidité, un manque de chaleur qui l'amènent à remettre en question l'amour de ses parents pour lui.

Eviter les excès

Aux antipodes des parents trop aimants et surprotecteurs, il y a les parents qui ne déclarent jamais leurs sentiments et ne témoignent aucune marque d'amour à leur progéniture. Cet amour, ils cherchent à le déguiser sous un voile de fermeté et de rigidité, soi-disant pour se faire respecter par leurs enfants. Ces derniers en éprouvent une immense perplexité et commencent à se poser des questions : papa et maman m'aiment-ils vraiment ? Si oui, pourquoi donc ils ne me le disent jamais ? Pourquoi mes amis sont-ils plus aimés par leurs parents ?... Ce modèle d'éducation, bâti sur l'autorité et non pas sur l'amour, est suranné et absolument inutile. Sans un lien affectueux qui les attache à leurs enfants, les parents auront du mal à imposer à ces derniers leur respect, encore moins à en faire des enfants obéissants.
Le mot d'ordre : éviter les excès et, tout en laissant l'amour parental s'exprimer, savoir le brider pour qu'il ne se transforme pas en un sentiment accablant et étouffant pour l'enfant.
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Explication: Docteur Amine Benjelloun, pédopsychiatre.

«Au nom de l'amour, l'enfant devient un objet parental»

Si tous les parents aiment leurs enfants, pourquoi quelques-uns manifestent excessivement cet amour alors que d'autres cherchent à le cacher ?

Non, l'amour paternel ou maternel n'est pas naturel. C'est une construction sociale dont la pratique renvoie à des sentiments qui peuvent être quelques fois dangereux. C'est le cas quand, au nom de l'amour, on va surprotéger l'enfant, on va réfléchir à sa place, l'empêcher de penser et de faire ses propres choix. Aussi, au nom de l'amour, l'enfant devient-il un objet parental.
Et encore plus grave, il faut savoir que les pires actes de pédophilie enregistrés dans l'environnement familial sont commis au nom de l'amour. Loin de cet amour excessif, l'enfant a besoin d'attention, d'une affection raisonnable qui lui permettrait par la suite de construire des liens humains, de s'identifier et d'appartenir à un groupe de personnes.

Est-ce qu'il est vrai que ce sont les parents privés d'amour parental pendant leur enfance qui sont portés à aimer excessivement leur progéniture ?

C'est une idée tout à fait fausse. Pour le prouver, il n'y a pas mieux que l'expérience de l'orphelinat de Loczy créé à Budapest par la pédiatre hongroise Emmi Pikler. Cette expérience a montré que les orphelins peuvent parfaitement réussir leur vie d'adulte à condition de recevoir certains types d'attention bienveillante et constante. Mieux encore, il a été démontré que les enfants accueillis dans cet orphelinat grandissaient et se développaient mieux que les enfants ayant des parents, réussissaient mieux dans leur vie et avaient de meilleures situations socioprofessionnelles. De même, ils avaient une vie familiale plus épanouie et présentaient moins de troubles psychiatriques que les enfants qui étaient l'objet d'un amour parental. C'est un constat qui donne certainement à réfléchir… Mohamed Akisra
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