Spécial Marche verte

Ces Marocaines en quête de rondeurs

Avec l'ouverture médiatique que connaît le Maroc, on serait tenté de penser que les femmes marocaines s'identifient de plus en plus à ce modèle de femmes minces, avec juste les rondeurs qu'il faut.

17 Décembre 2010 À 17:18

Un fait que nous impose notre paysage audiovisuel. Pourtant, la réalité semble monter une tendance tout à fait à l'antipode de ce que l'on pourrait croire. Hanane, qui est une étudiante au lycée, fait partie de cette catégorie de femmes qui sont prêtes à tout pour gagner un peu plus de poids. « Je veux grossir parce que je pense qu'il me faut un peu plus de rondeurs au niveau des fesses, des hanches et du buste », affirme cette jeune femme.

Et d'ajouter que ''c'est un besoin que beaucoup de femmes partagent. A cet effet, certaines de ces femmes déclarent avoir recours à des médicaments pour prendre du poids et se sentir apprécier en société''. Cette réalité traduit bien une certaine croyance populaire qui associe les rondeurs à la bonne santé. «Dans ma famille, le fait d'être mince est automatiquement synonyme de fragilité et de maladies», avance une jeune mère au foyer.

Une tendance à souligner par certains pharmaciens de la place qui déclarent que les stimulants d'appétit se vendent comme de «petits pains», surtout dans les quartiers populaires. «La plupart des clientes prennent des stimulants d'appétits en sirop ou en comprimé. Certaines femmes vont même jusqu'à associer les deux formes pour garantir un résultat satisfaisant», apprend-on. Un « fait social» qu'on peut expliquer de plusieurs façons.

Ainsi, Abdelkrim Belhaj, psycho-sociologue, parle de la séduction comme «principal indicateur pour comprendre cette tendance pour certaines femmes à vouloir grossir ». Pour ce sociologue, «ce sont des femmes qui cherchent avant tout de mettre en valeur certaines parties de leurs corps pour être perçues d'une certaine façon». Et d'ajouter que «le fait que certaines femmes utilisent des médicaments pour ''doper leurs corps'' puise ses racines dans notre inconscient collectif, puisque dans notre histoire, les hommes sont réputés appréciés les femmes rondes et peut-être que cela revient en force ». Il faut dire que ce phénomène n'est pas nouveau. En effet, avant cette découverte que représentent les comprimés stimulants d'appétits, dont les prix varient ente 9,70 et 43DH; certaines Marocaines faisaient déjà appels à des «potions magiques» traditionnelles telles que le fenugrec connu sous le nom de «halba» et autres produits naturels pour prendre du poids.

A ce stade, il semblerait que les stimulants d'appétit sont une « culture » qui va au-delà du simple médicament. «A mon sens, les femmes sont poussées par les maris à consommer ce genre de médicaments. En effet, les rondeurs sont un critère de beauté ancré dans la mentalité populaire», postule Yassine, pharmacien responsable à Casablanca. Pour lui, «il y a un effet d'accoutumance qu'on observe par rapport à la prise de ce type de médicaments.

Les consommatrices partent du principe que si elles arrêtent de prendre le «fanid», ceci pourrait avoir des effets néfastes sur leurs poids ».
Dans cette même logique, on note que la consommation de corticoïdes est également très élevée dans le but d'augmenter le poids corporel. «En général, les corticoïdes sont délivrés uniquement sur ordonnance», déclare un pharmacien exerçant à Casablanca. En ajoutant qu'«actuellement, il y a de la contrebande médicale pour ces produits qui sont fournis au noir et vendus de bouche à oreilles chez certains herboristes». Ceci étant, il est évident que la hantise de la taille 38 ne fait pas l'unanimité. Pour expliquer cette très forte tendance, Loubaba Belmejdoub, psychologue à Casablanca, parle d'un « souci obsessionnel de répondre à certains critères traditionnels de beauté».

Pour elle, la mentalité dans les milieux dits populaires et traditionnels fait qu' «une femme ronde est une femme qui est en bonne santé». La maigreur étant automatiquement reliée à la misère, la pauvreté et la maladie, l'embonpoint devient donc un signe de richesse pour marquer sa condition et son statut social. «Il y a une problématique sociale de perception que chaque femme vit individuellement et qui est associée à son milieu sociale», explique-t-elle. Pour cette psychologue, il faut savoir faire la part des choses, puisque ce phénomène peut cacher des troubles du comportement tels que l'anorexie ou la dépression. De son côté, le sociologue Abdelkrim Belhaj précise qu'il y « une ''érotisation'' qui est faite par ces femmes en rapport avec certaines parties de leur corps. C'est une exploitation du corps qui devient un ''appât'' dont la principale fonction est d'être attirant ».

Cette façon de voir les choses est particulièrement présente dans certaines régions du Maroc. En l'occurrence, certaines provinces du sud où les critères de beauté sont souvent associés aux rondeurs. «Pour les classes populaires et dans les milieux défavorisés, les rondeurs représentent une arme puisqu'une belle femme doit avoir un corps bien proportionné et peut de ce fait «utiliser» un atout pour se faire aimer, chérir et surtout avoir de l'emprise sur les hommes», nous apprend le sociologue Abdelkrim Belhaj. Entre le culte du corps mince prôné par les médias et les nombreuses études qui font état de maladies graves liées à l'obésité; il semble difficile de trouver un juste milieu. En attendant, un nombre considérable de Marocaines ont trouvé le bon régime pour grossir.

La cyprohéptadine, cette molécule qui fait grossir…

La cyprohéptadine est à l'origine un médicament antiallergique. Cependant, ce dernier a un effet secondaire très particulier puisqu'il augmente l'appétit et permet donc de grossir. Cette molécule est aussi connue pour ses effets sédatifs capables d'assommer un éléphant. Pour certains pharmaciens, la majorité des consommateurs de ces produits sont des gens bien portants qui ignorent l'usage premier de cette molécule qu'est la cyprohéptadine. En effet, ce qui les intéresse le plus, c'est le fait de grossir, augmenter leur poids corporel au risque de ‘'sombrer dans l'obésité'' dans une société où on persiste à penser que l'embonpoint est un signe extérieur de bien-être, de bonne santé, d'aisance et de beauté. Les consommateurs de ce type de médicaments trouvent dans cette pratique une façon « d'exhiber » leurs atouts. Un phénomène qui touche à 80% la gent féminine. « C'est la tranche d'âges située entre 20 et 40 ans qui constitue le gros lot de la clientèle », apprend-on du côté des pharmaciens. Ainsi, la surconsommation de ces médicaments peut avoir des conséquences diverses qui sont de deux types : des effets directs liés aux surdosages, aux intoxications et effets indésirables comme l'hypotension, les diarrhées,etc. D'un autre côté, on peut observer des effets indirects qui vont se développer à long terme liés à l'obésité ( Indice de développement de masse corporelle IMC) et qui résultent de l'usage excessif de ces stimulants d'appétits.
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