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Le reporting financier entre querelle politique et dynamisme économique

Mohamed Berrada
>Professeur à l'Université Hassan II Centre Links.

29 Novembre 2010 À 18:36

Information financièreL'évolution de notre système doit aller de pair avec les transformations et les investissements que connaît notre économie. En modernisant nos normes de reporting financier, nous améliorons notre système de gouvernance financière, facteur essentiel de notre croissance économique.
Jacques Necker disait déjà au 18e siècle : « la première règle de l'économie est de tenir des comptes, et le premier pas qui conduit à la ruine est de les négliger ». L'information financière est considérée comme un facteur essentiel à l'ordre économique et social. Jetez un coup d'œil sur ce qui se passe sur la scène internationale. Avec les scandales financiers de ces dernières années, l'importance des rapports financiers a ainsi été portée à la connaissance du grand public qui a pu découvrir que ceux-ci ne sont pas qu'un simple jeu de chiffres, mais qu'il en résulte des faillites, des licenciements et des crises financières.

Au Maroc, la première grande réforme du système d'information financière date de la fin des années 80 avec la création d'un cadre comptable unique, suite à l'adoption de la première loi comptable, la Loi n° 9-88 relative aux obligations comptables des commerçants, la création du Conseil National de Comptabilité (CNC) et l'instauration d'un cycle de formation supérieure comptable. Ce cadre avait pour ambition de définir un référentiel unique, opposable et moderne, puis de mettre un terme à la multiplicité des représentations comptables pour permettre aux entreprises d'avoir un seul jeu d'états financiers imposé par la loi. La loi comptable, dispositif aussi bien juridique que financier, a permis de réduire les distorsions, provenant souvent de sources exogènes, entre les obligations comptables, juridiques et fiscales. Belle avancée, mais insuffisante.

Les obligations comptables relatives à la consolidation n'ont pas été traitées dans la foulée et la notion de groupe économique et financier n'a pas émergé. Grand décalage par rapport à l'évolution de nos structures économiques. A ce jour, hormis quelques dispositions particulières, notamment concernant les titres de participation et de placement, la loi comptable ne donne aucune définition de la notion du groupe et aucune loi sur la consolidation n'a été adoptée. Cela n'a pas empêché les représentants des différents secteurs d'activité et du CNC de mettre en œuvre des plans comptables sectoriels. Cet élan remarquable s'est cependant fortement ralenti, alors qu'au niveau international la production des normes s'est accélérée, notamment dans les pays anglo-saxons où ont émergé au milieu des années 90 de riches débats, portés notamment par le concept fondateur de «substance over form», mettant en relief la prééminence de la réalité économique sur l'apparence juridique.

La transparence de l'information financière est devenue ainsi un préalable essentiel à la prise de décisions adéquates par les investisseurs, dirigeants et bailleurs de fonds. Dès lors, les rapports financiers doivent répondre d'abord aux exigences des actionnaires dans le cadre d'une gouvernance des entreprises qui rend compte des actions effectuées et des décisions prises. Le système de reporting financier fait ainsi partie des bonnes pratiques de gouvernance visant à rassurer les investisseurs et consolider la transparence et le développement du marché financier marocain.

Comme en France, la structure du CNC est devenue celle d'un organisme « sénatorial ». Malheureusement, cet organisme n'a pas de moyens financiers suffisants, qui lui auraient permis de suivre les évolutions internationales et de participer à la réflexion ou proposer des recommandations. C'est pourquoi, devant les contraintes de la globalisation et de l'exigence croissante des utilisateurs des états financiers, les régulateurs financiers, comme le CDVM et le BAM, ont pris le chemin de l'harmonisation comptable avec les normes internationales aux dépens des normes comptables locales qui sont chez nous restées inchangées depuis près de trois décennies. C'est ainsi que les exigences des régulateurs financiers marocains se sont affranchies de la désuétude des normes locales et ont été formulées en dehors du cadre de la loi comptable, considérée auparavant comme référentiel unique.

Et on voit ainsi coexister deux référentiels basés sur des principes différents, orientés vers des publics différents, créant ainsi une dualité et une confusion tant pour les préparateurs des états financiers que pour les lecteurs et les contrôleurs desdits états.
Plusieurs questions se posent aujourd'hui. Comment éviter que l'information perde en qualité ou devienne à vitesse variable ? Quel point de vue privilégier en cas de conflit entre des approches comptables différentes, supposées répondre au même besoin, celui de l'image fidèle ?

Ces questions ne sont pas que technicistes. Les enjeux peuvent être très significatifs, au point que même le politique s'en est mêlé. Ainsi, l'adoption des normes IFRS par l'Union européenne a été retardée à l'initiative de l'ancien président français Jacques Chirac, estimant que la « fair value » ne pouvait être, en sa version première, appliquée aux banques. Mieux, la récente crise financière internationale a relancé les débats et l'implication du G20 dans ces débats a fait des normes de reporting financier de véritables enjeux politiques. Devons-nous au Maroc rester les bras croisés et nous contenter d'appliquer passivement les normes ? L'évolution du système d'information financière doit aller de pair avec les transformations et les investissements que connaît notre économie. Tout est lié. Nous devons donc nous impliquer rapidement via des organes ad hoc dans la réflexion internationale sur la qualité du reporting financier, sur son dynamisme, son mode d'organisation et sa régulation, dans la mesure où ce secteur est porteur d'innovations permanentes. En modernisant nos normes de reporting financier, nous améliorons notre système de gouvernance financière, facteur essentiel de notre croissance économique.
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