«Trois partis politiques analysent leurs propositions sur la réforme constitutionnelle»
LE MATIN
12 Avril 2011
À 17:11
LE MATIN FORUM : Quels sont vos commentaires concernant la dynamique actuelle ?
BOUTHAYNA IRAQUI HOUSSAINI: Je pense que nous pouvons qualifier la période par laquelle nous passons aujourd'hui de tournant dans l'histoire du Maroc. Depuis cinquante ans, le pays est passé par des périodes glorieuses et d'autres qui le sont moins, mais les changements que nous vivons désormais sont décisifs.
MUSTAPHA MECHAHOURI : Je pense que depuis quelques mois, les changements qu'ont connus les pays arabes ont eu leur impact sur le Maroc. J'estime, également, que la jeunesse est en train de jouer un rôle que les partis politiques n'ont pas pu jouer. Le pouvoir a été à l'écoute. Et ce que font aujourd'hui les partis et la société civile est le résultat de la dynamique ayant touché les pays arabes. Par conséquent, il y a eu une prise de conscience plus radicale que ce soit de la part des associations ou des partis politiques comme ils n'étaient pas au rendez-vous. Je crois que ce que le Maroc est en train de vivre aujourd'hui donnera des résultats positifs dans les mois à venir.
ABDESLAM LAAZIZ: Il est clair que le monde arabe est en train de muter aux niveaux sociétal et politique. Je crois que cette dynamique donnera naissance dans les années à venir à la démocratie dans les pays arabes. Nous, au niveau du CNI et de l'Alliance démocratique de gauche, dès le départ, nous avons dit que le Maroc comme tous les pays arabes connaitra un changement profond qu'il va falloir accompagner. Les Marocains qui sont descendus à la rue, ont scandé des slogans responsables dans le respect des fondamentaux qui sont les nôtres, mais ils veulent des réformes à tous les niveaux. Maintenant, on va voir comment cette dynamique va être canalisée pour pouvoir aller de l'avant. Les Marocains méritent la démocratie et ils en débattent de façon qui force le respect. Ils ne sont pas dépolitisés malgré les taux d'abstention élevés et ils l'ont montré aujourd'hui via l'intérêt qu'ils portent au débat sur la réforme de la Constitution.
Justement, le fait de ne pas se déplacer aux urnes ne peut plus être interprété comme un désintérêt vis-à-vis de la politique…
Bouthayna Iraqui Houssaini : En effet, il n'y a qu'à voir le taux faible de participation aux dernières élections en France. L'abstentionnisme n'existe pas que chez nous, c'est un mode d'expression politique. Or, je pense aujourd'hui qu'il faut savoir parler la langue des jeunes, comprendre les messages qu'ils essaient de faire passer. Il y a, désormais, une concertation générale autour de la réforme constitutionnelle sur la base du discours royal du 9 mars. Les partis politiques ne sont pas les seuls concernés, les syndicats aussi mettent la main à la pâte et j'ai entendu dire que des universités organisent des débats sur la question. Et c'est quelque chose de nouveau comme approche dans les sociétés arabes. Nous sommes passés à une autre dimension aujourd'hui. Il ne suffit plus d'aller voter, de s'intéresser à la chose publique, maintenant, on demande aux jeunes de participer avec leurs idées à la réflexion générale sur la réforme de la Constitution.
Mustapha Mechahouri : Je pense qu'au-delà de cette question ayant trait aux urnes, les partis n'ont pas été à la hauteur pour drainer les jeunes de moins de 25 ans. Nous avons tous été surpris par le mouvement du 20 février. Les jeunes ont trouvé un autre moyen de faire valoir leurs idées. Au lieu de les faire passer par les urnes, ils les expriment par le biais du ‘'Facebook''. Les slogans des jeunes étaient très porteurs. Cela démontre que les problèmes étaient connus par tout le monde, mais les moyens classiques utilisés par les partis politiques n'ont pas permis d'atteindre les objectifs souhaités. Ce qui est important à mon avis, c'est que ce mouvement a été entendu par tout le monde. Il y a des choses positives qui ont été relevées par les pouvoirs publics et les partis politiques. Il y en a d'autres qui ne sont pas de la nature du système politique et sociétal marocain. Mais globalement, la dynamique que nous avons connue diffère de celle d'autres pays arabes où les choses se sont compliquées.
Abdeslam Laaziz : Le fait que les électeurs ne se soient pas précipités aux urnes dénote de l'existence d'un problème politique et de crédibilité. Qu'il s'agisse des institutions, du Parlement, des médias, les gens ne croient plus à rien. Les jeunes ne se déplacent pas aux urnes, pas parce que les partis n'utilisent pas Internet, etc, mais parce qu'ils ne voient pas à quoi ça sert d'aller voter. Parce qu'il y a un discours politique dominant qui fait que les gens n'ont plus confiance. Je pense qu'il faut moraliser l'acte du vote et la politique de manière générale pour que les jeunes et la classe moyenne puissent participer aux élections et pas seulement les personnes démunies.
Bouthayna Iraqui Houssaini : Il y a des facteurs techniques en rapport avec les élections. Je pense qu'il faut arrêter le vote par procuration, les listes électorales doivent être revues. Pourquoi attend-on toujours la dernière minute pour les assainir ?
Abdeslam Laaziz : Nous avons toujours demandé que les élections se passent sous le contrôle d'une commission indépendante. Nous n'avons plus confiance au ministère de l'Intérieur. Comme dans tous les pays démocratiques, il faut une Commission nationale constituée d'observateurs et de personnalités à même de suivre tout le processus électoral depuis les lois jusqu'à la communication des résultats.
Mustapha Mechahouri : Moi je parle en connaissance de cause puisque j'ai été candidat. J'estime que pour pousser les gens à voter, il faut un travail de mobilisation et de crédibilité aussi. Tant que le candidat n'est pas crédible, les électeurs seront dubitatifs. Les gens ne croient pas en les partis ou les programmes, mais bien en la personne. Moi personnellement, aux élections de 2007, j'ai fait le meilleur score au niveau national. Le candidat doit travailler sa localité et être à l'écoute. Mais il y a eu des failles en 2007. Et à ce propos, je tiens à dire à ceux qui ont voulu mobiliser l'électorat, dans le cadre de l'association Daba 2007, qu'ils étaient ‘'à côté de la plaque''.
Abdeslam Laaziz : Je ne suis pas d'accord dans la mesure où ce que l'on veut aujourd'hui, c'est mettre en avant des partis et des programmes et pas des personnes. Nous avons un problème de crédibilité des institutions et pas de personnes.
L'on sent toutefois une sorte de timidité chez les partis qui n'osent pas aller jusqu'au bout de leurs idées sur la réforme de la Constitution…
Bouthayna Iraqui Houssaini : Ce que je peux dire à propos des propositions de notre parti, c'est qu'elles comportent des idées dont nous sommes convaincus fondamentalement. Pour ce qui est de l'article 19, par exemple, nous ne remettons pas en question tout ce qui a trait à la monarchie. Ce qui ne nous empêche pas d'avoir des remarques sur le reste. Nous ne nous sommes sentis ni freinés ni autocensurés, loin de là. Que veulent les médias ? Qu'on mette des propositions extravagantes pour que la presse les accepte ? Nous sommes des personnes qui connaissent leur pays et qui sommes très responsables, on ‘'ne fait pas dans le chic et le folklore''.
Abdeslam Laaziz : Moi je pense tout à fait le contraire sans vouloir mettre tous les partis dans le même panier. J'estime que les partis que l'on qualifie de grands, ceux qui gagnent les élections, n'ont pas été audacieux dans leurs propositions. Ils ne se posent pas les vrais problèmes du Maroc. Par contre, il y a des partis politiques qui sont marginalisés parce qu'ils osent dire la réalité des choses. En ce qui concerne l'article 19, tous les constitutionnalistes vous diront qu'''il s'agit d'une Constitution à l'intérieur de la Constitution''. Il y a une zone d'ambigüité. C'est pour cela que nous avons proposé au CNI de scinder l'article 19 en deux, une partie qui définit la commanderie des croyants et pour le reste, la Constitution donne au Roi un certain nombre de prérogatives qu'il exerce dans le cadre de celle-ci. Nous pensons qu'il faut passer d'une monarchie agissante et gouvernante à une monarchie garante des institutions, des libertés et de l'indépendance.
Mustapha Mechahouri : Vous savez, le débat au sein des partis politiques a été très poussé. Nous avons même été surpris par certaines propositions de partis telles que nous les avons lues dans les journaux. Le débat dépassait même, à certains moments, les lignes rouges. Justement, au sein de notre parti, il y'en a qui disent qu'au niveau du débat, nous avons été plus loin que certains partis dits extrémistes. Je pense aussi que la plupart des partis ont respecté le discours du 9 mars. Malheureusement, on n'a pas une idée précise de toutes les propositions qui devaient être présentées publiquement.
Depuis le mouvement du 20 février, nous avons assisté à une multiplication de mouvements. Dans quelle mesure les partis peuvent-ils jouer le rôle de canalisateurs de toutes ces forces ?
Abdeslam Laaziz : Vous savez, pour nous, le mouvement du 20 février est un mouvement positif. Quant à la multiplication des mouvements, je pense qu'il ne pouvait y avoir un mouvement qui va se déclarer contre les réformes, sinon, ce serait une erreur mortelle pour ceux qui l'enfante. Ce phénomène laisserait aussi entendre comme si les Marocains étaient partagés sur la monarchie. Il y a pire encore.... Quelques jours après le mouvement du 20 février, notre parti ainsi que trois autres formations politiques ont reçu de la part du wali de Rabat une lettre qui ‘'les donnait pour responsables de tout ce qui pourrait se passer au Maroc''. Or, nous avions toujours dit que la transition démocratique au Maroc doit se passer de manière fluide, paisible, surtout qu'il y a une volonté politique d'aller vers cette démocratisation. Ces gens qui appellent aux réformes représentent un mélange de jeunes appartenant à des partis et d'autres qui sont indépendants. Nous avons mis à leur disposition nos QG ainsi que ceux d'autres formations politiques pour qu'ils discutent de leurs attentes et visions des changements que le Maroc doit avoir. Au sein de notre partie, nous avons décidé de leur donner leur autonomie. Nous sommes contre toute récupération.
Mustapha Mechahouri : Après le 20 mars, il y a eu des mouvements dans certaines villes et patelins qui mettent en avant des revendications qui n'ont rien à voir avec l'esprit du mouvement du 20 février. Des parties et des associations comme Al Adl Wal Ihssane ont essayé de ‘'surfer sur la vague''. Donc, des mouvements ont voulu se positionner avec des revendications plus osées et des moyens nouveaux comme les banderoles avec les photos de personnes décriées. Et cela a, carrément, viré aux règlements de comptes.
Bouthayna Iraqui Houssaini : Moi j'ai des chiffres pour appuyer un constat. En 2009, il y a eu 100 manifestations au Maroc et en 2010, on en a recensé 1300. Le mouvement du 20 février a montré que le mode de fonctionnement a changé. Il a montré que le peuple marocain est plus mature qu'on ne le pense et qu'il a appris à manifester et à demander des évolutions et pas des révolutions. Vous savez, il y a des ‘'parties qui étaient mortes'' avant le 20 février et qui ont voulu se faire une jeunesse grâce au mouvement.
Abdeslam Laaziz : Nous sommes contre cette classification. Vous savez, ce que vous qualifiez de petits partis sont ceux-là même avec lesquels l'Etat essaie à chaque fois de négocier dans les moments difficiles. Nous avons été marginalisés par un système électoral biaisé et banni des médias. Mais je tiens à préciser que nous avons été les premiers avec le parti de l'Avant-garde et le PSU à accompagner le mouvement des jeunes dès le 13 février. Nous avons été avec ces jeunes qui ne sont pas faciles à récupérer car contrairement à ce qu'on pense, ils ont une forte conscience politique. Nous les soutenons parce que leurs revendications recoupent avec ce que nous avions toujours dit, à savoir la démocratie, la lutte contre la dépravation économique et financière et la justice sociale.
Mustapha Mechahouri : vous savez, les réformes menées depuis dix ans ainsi que les changements profonds que le Maroc a connus ont poussé un certain nombre de partis politiques à se remettre en cause. Cela a été le cas pour le RNI, le MP, etc. Depuis le 20 février, une deuxième remise en cause a été opérée au sein de nos instances partisanes. Et dans le cadre de la proximité, nous allons vers les bases dans les régions pour écouter leurs idées dans le cadre d'un partage constructif. Quant à la récupération de ces jeunes, ce n'est pas chose aisée. Nous avons essayé de pousser notre jeunesse à entrer en contact avec les jeunes du 20 février et cela n'a pas été facile. Ils n'ont pas confiance dans le système classique des partis politiques. Toutefois, on ne peut évoluer que dans le cadre de ces partis. Maintenant, c'est à ces jeunes de venir apporter leur contribution aux partis pour opérer le changement qu'ils attendent. Mais c'est aux hommes politiques de faire en sorte qu'il y est également un débat, des projets politiques différents. Mais la réalité du système est tout autre. Une monarchie exécutive a besoin d'un parti fort, un parti d'Etat qui va exprimer et mettre en œuvre la politique royale. Le projet politique ne sert à rien, donc, dans ce genre de situation.
Mais valeur aujourd'hui, sommes-nous dans une nouvelle dynamique ?
Abdeslam Laaziz : Je suis d'accord avec vous mais nous allons parler plus tard de la dynamique actuelle. Ma réponse concernant le rôle des partis voulait dire que la responsabilité est partagée entre les deux parties, à savoir le système en place et les formations politiques.
Boutayna Iraqui Houssaini : Mais on ne peut pas aujourd'hui jeter ‘'le bébé avec l'eau du bain''. En dix ans, le Maroc a fait des progrès. A travers vos propos, on croirait que le pays est gouverné par un parti unique. Il faut s'appuyer sur des faits et des chiffres. Je suis de formation scientifique. C'est pour cette raison que je me base essentiellement sur les chiffres. Il y moins de six ans si ma mémoire est bonne, est-ce qu'on pouvait rêver d'avoir un taux de croissance aux environs de 5%? Grâce aux projets structurants initiés et aux infrastructures mises en place, on pourrait même évoluer vers les 6 ou 7%. Il ne faut pas non plus oublier que le Maroc n'est pas un pays pétrolier. Est-ce qu'on pouvait croire il y a six ou sept ans que nous allons avoir une politique énergétique aussi ambitieuse. Il faut savoir qu'il ne peut y avoir une démocratie ou une amélioration des conditions de vie des citoyens sans un progrès et une construction économique. Il faut arrêter d'être idéologique comme ça dans le vide. On ne peut pas assurer du travail pour les gens, des services de base de bonne qualité et une vie digne sans un développement économique. Sur le plan de l'énergie durable, notre système sera aligné sur les normes européennes. Nous allons, à l'horizon 2027, concurrencer l'Algérie qui est un pays producteur du gaz et du pétrole. Un projet comme le port de Nador Med West est tout simplement une idée géniale, fruit des efforts d'une équipe qui a travaillé pendant dix ans avec un Roi qui est très attentif à ces aspects là. Sur le plan de la démocratie, le Maroc est un pays qui a pu instaurer des institutions qui font que malgré cet ébranlement que vit le monde entier, combiné à une crise économique mondiale, notre pays reste stable même si nous n'avons pas de pétrole.
Parallèlement à ceux qui demandent que les prérogatives du Roi soient réduites, d'autres ont aujourd'hui peur en se posant des questions sur l'après-réforme de la Constitution qui va élargir les compétences du Premier ministre. Ils se demandent si on sera capable de garder la même dynamique et le même rythme des réalisations des dix dernières années…
Mustapha Mechahouri : La politique économique est une terminologie largement utilisée. Lorsqu'on parle de politique économique, cela veut dire qu'il y a un lien entre la politique et l'économie. Aujourd'hui, si on est arrivé au stade de la remise en cause d'un certain nombre d'éléments de la politique, c'est parce que l'économique le permet. Sans la dynamique que nous avons entamée ces dix dernières années avec les grands projets structurants et le développement économique soutenu du pays, on ne serait pas aujourd'hui à ce stade. Le fait aussi d'avoir des gouvernements politiques au vrai sens du terme depuis l'expérience de l'Alternance est très important. Grâce à tous ces éléments, on est arrivé à un stade où on peut nommer les choses avec leurs vrais noms. Sans cette politique d'ouverture et sans les initiatives qui ont été prises pour faire du Maroc un pays de droit avec notamment l'IER et le rapport sur le cinquantenaire de l'indépendance, très peu de Marocains seraient descendus dans la rue le 20 février pour soulever un certain nombre de problèmes et revendiquer un certain nombre de réformes.
Est- ce qu'on peut dire que feu Hassan II a préparé l'Alternance et S.M. Mohammed VI est en train de continuer dans la même lignée ?
Mustapha Mechahouri : En optant pour un gouvernement d'Alternance en 1997, feu Hassan II préparait déjà le règne de Mohammed VI. J'ai eu le plaisir d'être ministre pendant 5 ans. J'ai pu donc avoir une idée sur la manière dont les choses étaient préparées et concrétisées de 2002 à 2007 avec le gouvernement de Driss Jettou. Il y a donc beaucoup de choses qui ont pu voir le jour. En somme, l'économie est très importante ainsi que les réformes initiées par Sa Majesté. Elles permettent aujourd'hui de discuter ouvertement d'un certain nombre de sujets qui étaient quelques années auparavant un tabou. J'appuie ce qui a été dit par Boutaina concernant l'aspect économique qui a joué un rôle important même si l'économique ne peut pas régler tous les problèmes. Ce qui m'a personnellement frappé dans le mouvement du 20 février, c'est que les jeunes que je respecte bien évidemment n'ont pas eu connaissance ou apprécié la profondeur de leurs revendications. Je citerais trois exemples brièvement : la demande de remercier le gouvernement, la dissolution du Parlement et une assemblée constituante pour la révision de la Constitution. J'ai eu l'occasion, le 20 mars, de discuter avec des manifestants. J'ai posé une question sur l'article 19 à des participants qui n'avaient même pas une idée précise sur cet article. Mieux encore, je l'aurais dit que j'ai étudié les Constitutions de cinq pays pour arriver à la conclusion selon laquelle la Constitution marocaine est la moins concentratrice des pouvoirs aux mains de la monarchie.
Abdeslam Laaziz : Concernant l'aspect économique, depuis l'accès au Trône de Sa Majesté le Roi, le Maroc a connu un développement économique que personne ne peut nier. Il est aussi vrai que nous avons pu réaliser un taux de croissance soutenue de 4 à 5% durant trois à quatre ans. Mais il y a des questions qui s'imposent tout de même. D'abord, comment ces 5% de croissance ont été atteints ? La croissance dans notre pays est essentiellement portée par le tourisme et l'immobilier. Il faut donc se poser des questions sur le rôle du tissu industriel ainsi que la balance des échanges commerciaux. Mis à part les grands chantiers, le tourisme, l'immobilier et les transferts des MRE, il faut avoir le courage de dire que l'économie marocaine rencontre de nombreux problèmes. Il faut signaler aussi qu'au niveau de l'indice du développement humain, le Maroc est très mal classé dans les secteurs de la santé, de l'éducation et la lutte contre la pauvreté. Un taux de croissance ne peut pas justifier tout. Il faut avoir en parallèle une politique ‘'redistributive''. Or, nous ne disposons pas d'une telle politique. Personnellement, je constate qu'il y a un déficit économique et social au Maroc malgré les efforts consentis. Aujourd'hui, un autre débat a fait son apparition. On se demande ainsi si le développement va de pair avec la démocratie ou ce ‘'sont plutôt les régimes autoritaires qui arrivent à se développer''. Les avis divergent sur ce point. Mais on sait déjà que depuis l'indépendance, nous avons eu un système autoritaire mais malheureusement, le développement économique n'a pas suivi.
Comment les partis politiques comptent s'impliquer dans cette nouvelle dynamique installée ?
Mustapha Mechahouri : Je dirais que nous n'avons pas eu suffisamment de temps au Mouvement populaire entre le discours du 9 mars et la présentation de notre feuille de route devant les membres du parti. C'est donc le Bureau politique qui a effectué le travail grâce à des réunions quasi quotidiennes. Maintenant, nous allons démarrer une nouvelle étape d'explication et d'écoute car nous comptons toujours compléter et alimenter notre approche à travers les contributions de nos adhérents dans les différentes régions du pays. Le contact directe et la politique de proximité sont peut être les éléments qui nous manquaient avant. Par la suite, nous allons revenir vers le Conseil national pour valider nos propositions. Lors de l'élaboration de nos propositions, chaque membre du Bureau politique a été libre de s'exprimer. Pour une fois donc, nous sommes sortis du carcan classique des partis traditionnels avec l'intervention des jeunes membres de notre Bureau politique. Certains ont été même au-delà des demandes formulées par les jeunes du mouvement du 20 février. Nous avons globalement travaillé sur trois axes. Le premier concerne les fondamentaux qui doivent rester intouchables, à savoir la religion avec un Roi commandant des croyants, l'intégrité territoriale et la monarchie. Ensuite, nous avons abordé un sujet qui nous est très cher. Il concerne bien sûr la langue amazighe. Cette langue doit donc devenir une langue officielle. Après le discours royal à Ajdir, la création de l'IRCAM et la reconnaissance du tifinagh comme étant l'alphabet de l'amazigh, cette langue doit aujourd'hui devenir officielle et non pas une langue nationale. Mais la Constitution doit cependant, renvoyer à une loi organique son mode d'utilisation. Le troisième point est relatif à la démocratie en tant que choix irrévocable ainsi que la constitutionnalisation de recommandations de l'IER les plus pertinentes. Nous avons également insisté sur le rôle des collectivités locales et territoriales. La régionalisation avancée a été le point d'entrée du discours royal du 9 mars et nous pensons qu'effectivement la région doit avoir tous les moyens pour rester à l'écoute des citoyens et régler les problèmes de ces derniers. Ce n'est pas l'administration centrale ou le gouvernement qui vont régler les problèmes des populations d'une région comme ‘'Tinghir'' par exemple. Dans ce sens, nous demandons que la région devienne une collectivité territoriale. Par ailleurs, nous voulons que le Conseil du gouvernement puisse avoir des prérogatives claires et nettes. Nos voulons également que des compétences du Conseil des ministres soient transférées au Conseil du gouvernement. Sa Majesté doit garder le pouvoir des nominations d'un certain nombre de hauts fonctionnaires, notamment les ambassadeurs, les walis, les gouverneurs et les militaires. Tous les autres postes ou fonctions doivent être désignés dans le cadre d'un Conseil de gouvernement. Il faut toutefois affirmer qu'il n'est pas uniquement question de textes mais également de profils et de compétences. Si on remarque ce qui se passe aujourd'hui dans les mairies de Casablanca et de Tanger, on a réellement peur...
Boutayna Iraqui Houssaini : Au RNI, nous avons annoncé la date de la tenue de notre prochain congrès qui aura lieu en juin prochain. Nous avons eu il y a un an un mouvement réformateur. Nous avons eu également un nouveau président mais nous n'avons pas renouvelé les instances internes du parti. Le congrès sera, dans ce sens, l'occasion pour démarrer en réalité ce mouvement réformateur. Concernant les propositions du RNI sur la réforme constitutionnelle, nous avons demandé à ce que la langue amazighe devienne une langue nationale, alors que l'arabe doit rester la seule langue officielle du pays. Nous avons également insisté sur la notion du Grand Maghreb. Nous proposons donc un Grand Maghreb à la place du Maghreb arabe. Nous allons même jusqu'aux limites subsahariennes en incluant également les Touaregs. Nous appelons également à dépasser la situation de blocage dans lequel se trouve le projet de l'Union pour la Méditerranée. De même, nous demandons la ratification de tous les droits universels après approbation du Parlement et nous refusons la création de partis politiques sur des tendances ethniques et régionales. Concernant les femmes, il faut constitutionaliser le fait qu'elles puissent être des candidates. Nous insistons beaucoup sur l'égalité homme-femme parce que d'autres partis ont parlé de cette égalité mais seulement dans la limite des possibilités offertes par la religion et le cadre familial. Nous pensons que c'est une manière masquée pour diminuer l'équité entre les hommes et les femmes. Nous insistons donc pour établir une équité totale entre eux en garantissant l'accès des femmes aux postes de responsabilité. Par ailleurs, nous sommes pour la déclaration du patrimoine et la lutte contre l'impunité. Nous avons également proposé quelque chose de nouveau: en effet, nous voulons constitutionnaliser pour chaque gouvernement l'obligation de ne pas dépasser 3% du déficit budgétaire. De plus, notre parti a insisté sur l'équité fiscale. Je pense que si des personnes ne paient pas spontanément leurs impôts, c'est simplement pare ce qu'elles ne sentent pas qu'il y a une notion d'équité fiscale. En outre, nous proposons que les contribuables étrangers installés au Maroc puissent avoir le droit de vote avec une réciprocité avec leurs pays. Il a été également question de l'immunité parlementaire. Nous proposons que celle-ci soit différenciée du droit commun. Le RNI accorde, par ailleurs, un grand intérêt pour la réforme des médias. Nous demandons ainsi la protection des sources d'information, des données personnelles, l'accès à l'information et la protection de la vie privée. En ce qui concerne le Parlement, nous proposons de fixer le mandat à 5 ans pour un président et la même durée pour tous les présidents des Commissions parlementaires pour plus de stabilité. Comme la Chambre des conseillers sera revue dans sa constitution, nous demandons de revoir les prérogatives de chacune des deux Chambres parlementaires. La plupart des prérogatives iront à la première Chambre et la motion de censure sera enlevée à la deuxième Chambre qui gardera uniquement des prérogatives limitées. Enfin, nous avons préconisé un gouvernement restreint de 20 ministres.
Mustapha Mechahouri : Je veux ajouter une petite précision : le MP a proposé l'abrogation de l'article 51 ainsi que la constitutionnalisation de certaines instances, en l'occurrence l'Instance centrale de la lutte contre la corruption ainsi que le Conseil national de la concurrence.
Abdeslam Laaziz : Nous considérons au Congrès national ittihadi que l'identité marocaine est formée par trois composantes, à savoir l'amazighité, l'Islam et l'arabe. Nous avons un débat au sein du CNI concernant la langue amazighe. Soit elle deviendra officielle, soit elle sera nationale mais avec un certain nombre d'obligations pour l'Etat. Ces obligations concernent notamment la promotion de la langue dans les secteurs publics et privés. Car si la langue amazighe devient officielle, nous allons rencontrer un problème de mise en œuvre, puisque tous les textes officiels devront être traduits. Je pense qu'il faut commencer à donner de l'importance à cette langue puis l'officialiser dans une deuxième étape. De plus, le CNI est pour une monarchie parlementaire, démocratique et sociale.