Les relations bilatérales dans une tourmente après le vote par les députés d'un texte de loi pénalisant le génocide arménien. >
AFP
23 Décembre 2011
À 16:55
La Turquie a coupé les ponts diplomatiques avec la France qui a voté un texte de loi pénalisant le génocide arménien, plongeant les relations bilatérales dans une tourmente qui pourrait durer plus longtemps que lors de précédentes crises, les Turcs étant blessés dans leur fierté nationale. La réaction d'Ankara au vote français a été particulièrement violente : la Turquie, acteur régional incontournable et économie émergente, a annoncé avoir gelé toute coopération politique et militaire avec la France, son alliée de l'Otan.
L'ambassadeur turc à Paris a été rappelé pour consultations, et celui de la France est opportunément en vacances. Vendredi, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a lancé une nouvelle charge d'une rare violence contre Paris : la France a commis un «génocide» en Algérie, a-t-il dit. «Les Algériens ont été brûlés collectivement dans des fours. Ils ont été martyrisés sans pitié», a-t-il même déclaré. Quant au président Nicolas Sarkozy, il ferait bien de s'informer de ces massacres auprès de son père Pal, qui, a dit M. Erdogan, a servi dans la Légion étrangère dans l'ancienne colonie française. Le dirigeant turc a accusé M. Sarkozy de vouloir chercher des voix en attisant islamophobie et turcophobie, avant l'élection présidentielle de 2012 en France. «Le président français Sarkozy a commencé à rechercher des gains électoraux en utilisant la haine du musulman et du Turc», a-t-il déclaré. La Turquie, qui refuse d'admettre le génocide de 1,5 million d'Arméniens sous l'Empire ottoman (1915-1917), reconnu par la France et une vingtaine de pays, avait prévenu d'un tel scénario.
Des délégations turques de parlementaires et de chefs d'entreprises ont fait en vain la navette entre les deux capitales, pour tenter d'empêcher le vote de cette proposition de loi, qui punit de la prison la négation du génocide. «Ce texte est une atteinte à la liberté d'expression et à la fierté des Turcs», a indiqué à l'AFP une source gouvernementale turque, sous couvert d'anonymat. Et de préciser, rappelant les précédentes brouilles entre les deux pays sur le génocide arménien, que la Turquie de 2011 ne sera plus le «punching-ball» des Français, à chaque veille d'élection, pour tenter d'attirer les voix d'une diaspora arménienne forte d'environ 500.000 personnes. Sous la direction du gouvernement islamo-conservateur de M. Erdogan, la Turquie s'est affirmée à la fois économiquement, avec une croissance record de 9,6% pour les neufs mois de 2011, et diplomatiquement, devenant un acteur de poids et un modèle pour les pays du «printemps arabe». Et la France risque d'être écartée de cette sphère d'influence qu'a bâtie la Turquie, en particulier sur le dossier sensible de la Syrie, M. Erdogan ayant annoncé le gel des échanges politiques avec Paris et de toute coopération militaire.
«Il n'y a plus de Turquie sur la défensive, il y a maintenant une Turquie active, forte sur tous les fronts (...) Le temps de nous imposer quoi que ce soit est révolu», a affirmé vendredi le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu.
En 2006, lors d'une première tentative de faire adopter un texte similaire au Sénat français, la réaction d'Ankara s'était concentrée sur le domaine économique. Mais la riposte est aujourd'hui plus graduelle, dans un premier temps limitée aux aspects diplomatique et militaire, fait remarquer Yusuf Kanli dans le quotidien Hürriyet Daily News. Et elle risque de durer plus longtemps. «M. Erdogan a indiqué que cette fois la réaction turque pourrait aller au delà de certaines mesures spontanées et symboliques visant à apaiser l'ire de l'opinion publique turque», écrit le commentateur. Vendredi matin, la presse turque tirait à boulets rouges contre cette loi votée par une quarantaine d'élus. «Les Misérables» titrait ainsi en français le journal libéral Radikal, tandis que Sözcü, plus irrévérencieux, mettait en Une: «45 maniaques».
Washington espère l'apaisement
Les Etats-Unis espèrent un apaisement rapide entre la France et la Turquie, deux de leurs plus proches alliés, a réagi le département d'Etat jeudi après le vote en France d'une proposition de loi pénalisant la contestation, entre autres, du génocide arménien. «Nous souhaitons bien sûr de bonnes relations entre la France et la Turquie et nous espérons qu'ils pourront résoudre ensemble leur différend», a commenté un diplomate américain de haut rang. (…) Le président Barack Obama avait commémoré en avril dernier le 96e anniversaire du massacre d'Arméniens sous l'Empire ottoman en demandant à Ankara la «pleine» reconnaissance de ces tueries, mais en s'abstenant de les qualifier de «génocide», bien qu'il ait préconisé d'utiliser ce terme pendant sa campagne électorale en 2008. Mark Toner, un porte-parole du département d'Etat interrogé jeudi à ce sujet, a simplement répondu que l'administration américaine continuait de «soutenir la normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie».