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Avrai Lire : L'impératif parisien

Des récits publiés à Paris bénéficient d'une médiatisation et d'une publicité dont on ne peut que se réjouir pour leurs auteurs, et pour l'expression littéraire française d'origine maghrébine .

20 Mars 2011 À 13:16

Si de plus leurs ouvrages figurent dans les premières listes qu'élisent les jurys des différents prix de la rentrée littéraire parisienne, l'impact est tel que la réputation de l'ouvrage précédant sa lecture par un public avide de nouveautés romanesques, alimentera une curiosité légitime dans leur pays d'origine, chatouillera la fierté et l'orgueil nationaux et découragera pour quelques temps plus d'un critique .
J'ai lu presque tous les ouvrages précédents de ces écrivains prometteurs. Je voudrai au-delà de cette lecture souvent exaltante, parfois moins agréable, confier au lecteur que je souhaite indulgent pour cette chronique une interrogation lancinante qui ne m'abandonne que rarement quand me parvient l'écho de telles distinctions.

Pourquoi cette avalanche d'articles élogieux me fait penser inévitablement à l'ostracisme, le silence, l'oubli, qui ont accompagné à leur publication plusieurs autres ouvrages il y a quelques années en particulier le roman magistral de Z. Morsy ‘'Ishmael ou l'exil'' ? Cet écrivain se trouve être le plus impressionnant ‘'maître es langue française'' de sa génération, un des meilleurs de toutes les générations et ils sont peu.
Je me suis toujours demandé devant le foisonnement médiatique qui accompagne à juste titre certaines œuvres récentes pourquoi le récit de cet écrivain fut ainsi passé à l'oubli, n'ayant intéressé que quelques initiés ou commentateurs intimidés par sa virtuosité et la puissance de son écriture. Et pourtant, plus qu'une autobiographie, le récit de Zaghloul Morsy est le roman d'une génération. Serait-ce parce que comme le disait un écrivain désabusé, quelque part un homme ou une femme, dans le microcosme de St Germain, a décidé d'accompagner ces auteurs dans ''l'itinéraire miné'' des maisons d éditions et des prix prestigieux et de les protéger de cet impératif parisien qui condamne, quand il le décide, nombre d'excellents ouvrages. Serait-ce que Z .Morsy, lui, n'a pas d'amis, n'a pas de mentors, n'en voulait peut-être pas, était trop sûr de sa science littéraire pour chercher un parrainage pourtant incontournable.

Et si certaines œuvres comme ce récit arrivent à se frayer un passage et à voir le jour, ce même impératif n'en arrive pas moins à les faire ignorer des critiques, des revues, des magazines et de compléments et émissions littéraires. Cet impératif si caractéristique du paysage littéraire français opère curieusement avec la même acuité dans notre paysage littéraire et le même ostracisme condamne nombre de récits à l'oubli.
Prenant le relais, nos critiques littéraires si peu nombreux et si peu lus, l'imitent avec une rare insouciance, encensent les mêmes ouvrages et enterrent ceux que cet impératif enterre.Il arrive souvent que cet impératif s'ingénie dans notre presse à marginaliser des écrivains qui participent au renouveau de l'expression littéraire française au Maroc et au Maghreb et qui ne publient que chez les éditeurs nationaux parce que justement, ils ne publient que localement, victimes d'une diffusion désastreuse.
J e me disais que si ces oeuvres étaient adoubées par cet impératif, des écrivains de talent, orfèvres en langue française, seraient prophètes dans leurs pays .

M . Loakira, poète qui ne publie qu'au Maroc, essentiellement chez Marsam, qui a remporté le Prix du Grand Atlas cette année, n'a eu droit dans le monde des livres qu'à un entrefilet de quelques lignes, et dans les journaux nationaux n'a bénéficié que de commentaires sans éclats de journalistes qui n'ont lu que quelques passages de sa trilogie, ne l'ont peut-être pas lue ou se sont inspirés d'articles publiés à d'autres occasions et à propos d'autres récits.
Souvent, cet impératif parisien fait que des œuvres deviennent des chefs-d'oeuvre avant la lettre et fait que des chefs-d'oeuvre avant la lettre deviennent d'obscurs récits que la postérité oubliera et ne retiendra pas.
Je ne sais quel critique acerbe avait dit que souvent, les œuvres qui reflètent le mieux leur temps sont celles que la postérité n'a pas élues en leur temps.
On oublie souvent que Gide avait refusé la publication de ''A la recherche...'' à Marcel Proust chez Gallimard et que cet immense écrivain n'a mérité le Goncourt que six ans après ce refus. Cet impératif parisien en avait décidé ainsi en son temps. Gide s'en excusera en son temps.

Mais je continuerai à m'interroger en moi-même, me disant: ''N'accède-t-on en fin de compte à la reconnaissance qu'en cédant à ce mystérieux impératif parisien, à cet imprimatur étranger, et pour paraphraser feu mon ami A. Khatibi en devenant malgré soi ou parce qu'on l'a voulu ''un étranger professionnel'' Expression juste qui évoque sereinement le statut de ces écrivains tous exilés, la plupart géographiquement, les autres dans la langue qu'ils ont choisie pour écrire dans leurs propres pays.
A. Khatibi disait :''Cette langue de l'autre … rien ne m'empêchait de la revendiquer à ma manière, disons comme un étranger professionnel, ne fut-ce que pour me faire reconnaître par autrui, m'accorder un titre, une signature, un statut…''. Cet autrui dont A. Khatibi attend une reconnaissance qui lui accorderait un titre, une signature; serait-ce cet impératif parisien qui élit A. Taia et oublie Z. Morsy.
Dans le roman oublié de Z. Morsy ‘'Ishmael ou l'exil'', la mère dit à l'enfant : ''Mon fils, par tes privations et par tes efforts, tu portes en toi les semences et les promesses de deux écoles...Si j'ai un souhait à formuler, c'est que tu ne laisses pas l'autre école submerger ton âme et triompher de toi. Tiens la balance juste…'' La tâche est immense pour ‘'l'étranger professionnel'' qui voudrait tenir la balance juste entre le ‘'je des origines'' et '' ''l'autre je'' qu'apprécie tant l'impératif parisien grâce à ses exotismes séducteurs et flamboyants.
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