«Profondeur stratégique : la position internationale de la Turquie»
LE MATIN
16 Novembre 2011
À 17:53
Ahmet Davutoglu, actuellement en visite au Maroc, est surnommé dans les cénacles diplomatiques le «Kinssiger turc», une manière de rendre hommage à celui qui a construit les fondations de la nouvelle politique étrangère de son pays. Avant d'être nommé ministre des Affaires étrangères, il était conseiller diplomatique du Président Abdellah Gul et du Premier ministre Tayyip Erdogan. Ancien professeur de relations internationales en Malaisie et aux Etats-Unis, il a publié un livre imposant intitulé «Profondeur stratégique: la position internationale de la Turquie», et a donc eu, à travers ses recherches, tout loisir de réfléchir à la nouvelle architecture de la diplomatie turque. Que dit cet ouvrage qui offre un éclairage passionnant sur un acteur central de la région, la Turquie, dont la situation géostratégique est unique au monde et dont l'identité à la fois européenne, occidentale, moyen-orientale, caucasienne, balkanique lui permet de s'étendre jusqu'au Japon, au Brésil et en Afrique où Ankara, 16e puissance économique mondiale, a noué des partenariats importants ? Que pendant longtemps, empêtrée dans ses problèmes de voisinage, rejetée par l'Europe, et faute de planification stratégique, la Turquie n'était qu'un Etat périphérique.
Comment devenir, se demande Ahmet Davutoglu, un Etat central, en phase avec le nouvel ordre international et qui a son mot à dire ? En redécouvrant, écrit-il, sa profondeur stratégique, c'est-à-dire en revisitant tout d'abord son histoire, son héritage ottoman, en assumant à la fois son histoire récente de République laïque et son identité religieuse islamique qui lui permet d'accroître son influence. Avec un principe fondateur érigé en doctrine, «le zéro problème avec les voisins» qui lui permet d'investir son énergie non pas dans la résolution des conflits mais dans le développement de son influence culturelle et économique, facteur d'équilibre. En exploitant également par une politique engagée, la position géostratégique de la Turquie à l'intersection de l'Eurasie, de l'Europe occidentale de l'Asie orientale.
Réfutant la perception d'être un instrument au service d'autres pays, la Turquie, surnommée château d'eau du Moyen-Orient, veut être un acteur à part entière qui privilégie le dialogue et la coopération avec l'OTAN dont il est membre, avec la Russie, la Chine et la normalisation avec la Grèce, la Bulgarie, l'Ukraine, la Moldavie...
Ankara, qui défend l'intégrité territoriale de l'Irak, veut jouer un rôle dans le processus de paix au Moyen-Orient, mettant en avant une convergence turco-arabe. Avec le Printemps arabe, Ankara, qui avait resserré ses liens avec Damas, a tenté de persuader le régime de Bachar El Assad de mettre fin à la répression, ouvrant des zones aménagées pour accueillir les réfugiés syriens. Aujourd'hui, Ankara appelle au départ du président rejeté par son peuple.
Pour atteindre son niveau d'Etat central, Ankara fait jouer tous ses facteurs de puissance et ils sont nombreux. Parmi ceux-là, l'intelligence de son ministre des Affaires étrangères qui a su tracer une nouvelle trajectoire pour son pays. Dans son ouvrage précité, Ahmet Davutoglo souligne que «pour exploiter son potentiel et réaliser ses ambitions géostratégiques, la Turquie devrait remplir deux conditions. Sur le plan intérieur, trouver une solution juste et définitive à la question kurde qui pèse lourd sur le budget national et bloque le développement économique de l'Est du pays et…réconcilier les franges islamistes et laïques de la société afin de créer une Turquie unie et puissante». Une analyse à méditer…