De la psychanalyse à la littérature
Une journée d'étude organisée par la Faculté des Lettres et sciences humaines de Aïn Chock et la Société psychanalytique marocaine a mis en évidence les relations non avouées entre la psychanalyse et la littérature.
LE MATIN
31 Mai 2011
À 14:31
Existe-t-il une relation entre la psychanalyse et la littérature ? Les spécialistes de part et d'autre sont catégoriques, une relation existe bel et bien entre ces deux mondes ; et cette affirmation ne date pas d'aujourd'hui, mais du temps de Sigmund Freud, père fondateur de la psychanalyse. Mais de quelle nature est-elle cette relation ? Là, les réponses des chercheurs ne sont pas tout à fait identiques, même si elles présentent une certaine convergence. Pour apporter une contribution à ce débat, la Faculté des lettres et des sciences humaines de Aïn Chock à Casablanca et la Société psychanalytique marocaine (SPM) ont organisé samedi dernier une journée d'étude à ce sujet. Les participants à ce colloque se sont essayés à l'exercice de l'élucidation de cette relation, en proposant des réponses à un certain nombre de questionnements. « Si dans la psychanalyse, il est question d'une vérité qui émerge par la parole, en vue d'atténuer une souffrance, n'y a-t-il pas un processus semblable dans l'écriture, même quand cette parole se veut fiction ? Le processus de création littéraire peut-il se saisir comme le passage d'une parole intérieure à un "dit" adressé, ce qui se rapproche de la psychanalyse, même si les effets sont différents ? ».
La réponse à ces questions est par l'affirmative selon Elie Doumit, psychanalyste et philosophe, qui a relevé que les écrivains sont les précurseurs de la psychanalyse et que Freud et Lacan se sont appuyés sur l'analyse des œuvres littéraires pour confirmer certaines de leurs hypothèses. En fait, la littérature est pour certains auteurs un refuge pour l'insatisfaction pulsionnelle et une sorte d'illusion, selon M. Doumit qui met en évidence le rôle de catharsis et de sublimation de l'œuvre littéraire. Mais qu'en est-il de la littérature marocaine, particulièrement d'expression française ? D'après Abdeljalil Lahjomri, écrivain, chercheur et critique, ce rapprochement entre ces deux domaines dans la littérature marocaine d'expression française n'est pas seulement avéré, mais il est même démesuré. En fait, explique-t-il, en étudiant cette littérature, on est frappé par le constat que ses récits sont beaucoup plus thérapeutiques qu'esthétiques.
Autrement dit, la majeure partie des œuvres littéraires sont une sorte d'autobiographie, reposant sur une démarche narcissique, centrée sur l'auteur qui s'intéresse très peu à la société où il vit. Pour M. Lahjomri, du début de cette littérature, avec notamment Driss Chraïbi, à nos jours, on assiste toujours au même spectacle d'une identité brisée et de cet étranger qui s'empare de la parole de l'auteur ; toujours cette même cure inachevée, à chaque fois recommencée et qui ne réussira qu'une fois cette altérité fera partie de l'identité. En attendant cette élucidation, le thérapeutique l'emportera toujours sur l'esthétique dans cette littérature, selon le conférencier qui souhaite que l'auteur arrive un jour à « faire disparaitre "je" dans un déluge de création esthétique». Poursuivant sur la même lancée, mais en s'intéressant particulièrement à l'écriture féminine, l'enseignante-chercheure, Raja Nadifi, a montré que si l'on assiste dans ces œuvres littéraires à une quête de l'émancipation et à une recherche d'une identité à travers le miroir de l'écriture, on note toutefois que l'individu est souvent en recul au profit du groupe, de la société. De ce fait, précise-t-elle, rares sont les femmes écrivaines marocaines qui sont arrivées à se confirmer à travers l'écriture, à reprendre possession de leur « moi » par l'écriture, à accéder à une deuxième naissance. De son côté, l'enseignante-chercheure, Zohra Mezgueldi, a traité le thème du « corps de l'œuvre » dans le roman de Abdelkébir Khatibi, « La mémoire tatouée ». Mme Mezgueldi a mis en évidence la relation entre le corps et le texte dans cette œuvre. Ainsi, le désordre du texte dans ce roman renvoie à l'agitation du corps, à l'irréductibilité de la parole et au nomadisme de l'écriture.
Le corps s'impose donc comme langage, objet fragment et totalité ; il est célébré, il cherche à se raconter…