Une table ronde sur les scénarios de la réforme tourne à l'escarmouche électorale.
LE MATIN
01 Avril 2011
À 18:32
Au vu de la manière dont les débats sur la réforme de la Constitution se font, l'on ressent comme une déviation qui décale le sujet de son esprit et de sa finalité. On ne le dira jamais assez, pour arriver à un échange constructif, loin de toute surenchère ou chasse à la sorcière avant l'heure, il faut se calmer, écouter l'autre, prendre le tempo des idées. Bref, dépassionnons le débat, serait-on tenté de dire, pour une meilleure appropriation de ce qu'il offre comme espace de liberté et de partage. Jeudi dernier, au siège de HEM Rabat, une table ronde a été organisée autour d'un thème précis à savoir les scénarios de la réforme constitutionnelle. Malheureusement, les envolées des intervenants, une bonne dizaine, ont sorti le sujet de ses contours, débordant sur des sujets à forte dose de rhétorique et renvois historiques. Les illustres invités ont parlé de tout sauf des scénarios de réformes de la Constitution. Sur toutes les couleurs du spectre, l'on est passé des partis que l'on cloue toujours et encore au pilori au gouvernement qui n'est que «l'ombre de lui-même» en passant par les références habituelles à la corruption, la mauvaise gestion, les détournements et autres blocages. La partie a tourné enfin au vinaigre et échanges d'invectives sur lesquels les participants et assistance se sont séparés. Le représentant du PAM et membre de son bureau national, Samir Abou El Kacem, a fini par perdre le contrôle sous le poids des accusations des autres représentants de partis et affronts de certains intervenants de l'assistance. On pouvait s'y attendre dans la mesure où la formation de Biadillah n'a pas du tout été ménagé durant tout le débat. L'ambiance a laissé un arrière goût de campagne électorale où les représentants des partis (PAM, PJD, PPS, MP, USFP, Istiqlal) croisent le fer.
Les partis pris de vertige D'entrée de jeu, Adnane Benchekroun, vice-président de l'Alliance des économistes de l'Istiqlal, a dressé le tableau, «le discours royal a donné le vertige aux partis politiques». Il en conclut que ceux-ci ont besoin de temps pour faire mûrir leurs propositions car au-delà des annonces «sexy», la nuance est dans le détail. Son idée rejoint celle qui prône un débat qui s'apparente à une course de fond plutôt qu'à un sprint. N'oublions pas qu'au sein même d'un parti, les divergences sont telles qu'il n'est pas aisé d'arriver au consensus en un tour de main. Balayant toutes ces considérations d'un revers de la main, Najib Chaouki, jeune activiste du mouvement du 20 février, en déduit que les partis sont dépassés. Il motive sa sentence par le fait que les partis ont délaissé le dossier des réformes constitutionnelle, politique et institutionnelle juste après l'adoption de la Constitution de 1996. Pour lui, même après le discours du 9 mars, les partis n'ont pas dérogé à la règle immuable des communiqués exaltants. Il en arrive à la conclusion que les partis sont timides, ont des appréhensions et restent obnubilés par la course électorale qui se rapproche inexorablement.
La réaction des représentants de partis ne s'est pas fait attendre. Ils étaient tous contre ce discours d'exclusion qui balaie tout sur son chemin. Au contraire, fallait-il remarquer, le mouvement du 20 février et le discours du 9 mars sont du pain béni pour les partis. Peut-être sans le vouloir, les revendications des jeunes portent en elles les facteurs de renforcement des partis, idem pour le discours royal qui remet le politique pleinement dans sa fonction représentative et d'encadrement. Le tournant que le Maroc est en train de vivre donne une chance inespérée pour qui sait la saisir. La dégage-attitude et autres formules d'exclusion et de nihilisme représentent des solutions de facilité car nul ne peut aujourd'hui se prévaloir de la vérité suprême. En plus, le dernier mot revient au citoyen qui doit voter, via référendum, pour ou contre la nouvelle constitution en gestation.
Pas de démocratie sans partis Pour Hakima El Haiti, membre du BP du Mouvement populaire, il ne faut pas escamoter le rôle des partis qui durant des années appelaient à des réformes constitutionnelles. Et d'ajouter que le discours royal a remis le citoyen au cœur de la dynamique de changement dans la mesure où sa voix comptera désormais dans les changements futurs. Même raisonnement exprimé par Samir Abou El Kacem du PAM qui y voit un nouveau «pacte entre les Marocains et le Roi». Il nuance pourtant que la réforme de la constitution est une entrée en matière pour aboutir aux réformes politiques. Pour lui, les véritables failles sont à chercher au niveau de la pratique politique et non dans le texte. Il en conclut qu'une mise à niveau du système de pouvoir est aujourd'hui nécessaire pour accompagner le changement. L'on retrouve la même nuance dans la réflexion de Mustapha Khalfi du PJD pour qui le mouvement du 20 février n'est qu'un facteur de changement parmi d'autres. Que la pensée unique soit bannie, tonna-t-il. Fouad Abdelmoumni, membre de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), croit aussi qu'il n'y a pas de démocratie sans partis politiques. Il n'a pas la langue dans sa poche lorsqu'il les qualifie de «clubs de notables qui ont fait une OPA sur la scène publique». Pour lui, l'élite politique n'arrive toujours pas à détecter les vibrations du changement que le Maroc est en train d'émettre. Ces signaux de la société, Khalid Hariri, député USFP, les a racontés en histoires simples de la vie quotidienne. Selon sa vision des choses, le citoyen veut connaitre les répercussions de la réforme de la Constitution sur sa vie de tous les jours (impôts, transport, justice…).
Gouvernements superposés
Sans concession aucune, Abdelaziz Nouaydi, professeur de droit constitutionnel et membre de Tranparency Maroc, a fustigé les interférences dont souffre l'action gouvernementale. Pour lui, la multiplicité des intervenants dans un même domaine qui relève du gouvernement, les ministères de souveraineté et certains établissements publics, réduisent la marge de manœuvre de l'Exécutif le mettant constamment sous tutelle. Pour lui, la nouvelle réforme doit pallier à cet handicap en clarifiant le rôle de chacun et en remettant le gouvernement dans son rôle de responsable des politiques publiques dont il est censé être comptable. Nouaydi a donné l'exemple du Secrétariat général du gouvernement (SGG) qui selon lui dépasse ses prérogatives, s'érigeant en tuteur politique à travers le blocage des textes ou du moins leur mise en hibernation durant des années.