Fête du Trône 2006

L'état des lieux dans le monde arabe

«La démocratie et les droits de l'Homme dans le monde arabe ». C'est ce thème aussi vaste qu'épineux qui a été au centre des débats lors de la journée de clôture des deuxièmes rencontres méditerranéennes sur le cinéma et les droits de l'Homme, organisées à Rabat du 6 au 9 avril.

La démocratie a besoin pour s'enraciner d'une vitalité civile plus que d'institutions.

10 Avril 2011 À 13:38

D'éminents chercheurs académiques ont apporté leurs éclairages sur l'état des lieux des démocraties arabes et les perspectives qui se dessinent devant elles. Actualité oblige, ce qu'on appelle désormais le « printemps arabe» s'est invité au débat. «Sommes-nous devant une refonte de la relation entre le gouvernant et le gouverné ou bien devant une simple petite révolution ?», s'interroge Mustapha El Yeznassi, modérateur de la conférence. «Il s'agit plutôt d'un surgissement impétueux d'une aspiration aux droits légitimes et à la dignité», rétorque le philosophe et sociologue français Edgar Morin. Une telle aspiration n'est pas propre aux pays arabes, africains ou encore ce qu'on appelle les pays du Sud, loin s'en faut. Elle est universelle. «Le printemps arabe nous a révélé que dans la diversité culturelle, linguistique et ethnique que recèle le monde, il existe une unité d'aspiration», analyse M. Morin.

Mais suffit-il d'aspirer à la démocratie et d'espérer pour voir changer les choses ? Il est temps de passer à l'acte selon le sociologue français : «La question aujourd'hui est celle-ci : comment passer de l'aspiration démocratique à la réalisation démocratique et, sur un autre niveau, comment passer de l'état de sujet à l'état de citoyen à part entière ?». Jeter les bases d'institutions capables d'accompagner la transition démocratique est certainement essentiel, mais pas suffisant. Sans l'implication des citoyens, tout processus de reconstruction démocratique sera voué à l'échec ou bien accouchera d'une démocratie fragile, chancelante qui va s'effondrer à la première épreuve. Edgar Morin ne le dira jamais assez : «La démocratie a besoin pour s'enraciner d'une vitalité civile plus que d'institutions».

Évidemment, cet enracinement ne se fera pas dans la douceur, puisqu'on parle de jeunes démocraties susceptibles de succomber à un moment ou un autre. La démocratie, pour reprendre les termes du penseur français, est une «aventure périlleuse» mais nécessaire qu'il faut vivre avec ses aléas et ses risques. De la Tunisie, Kamal Jendoubi du réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme est venu apporter un témoignage vivant sur les insuffisances de la période post-révolution. «La Tunisie d'aujourd'hui est un pays en bouillonnement, qui vit une sorte de désordre créatif. Au sentiment de joie se mêle un autre d'insécurité, sachant que plus de 7.000 prisonniers, libérés par le régime de Ben Ali en réaction aux manifestations, demeurent dans la nature. Mais, en général, la situation n'est pas aussi chaotique qu'on la décrit et les taux de criminalité, jusqu'à maintenant, ne prêtent pas à l'inquiétude».

En revanche, les bienfaits du printemps tunisien ont été tangibles, ne serait-ce que pour avoir accéléré la roue des réformes. Ainsi, au lieu de petites réformes sectorielles lentes et peu visibles, l'heure est désormais pour les grandes réformes et les stratégies flexibles. «La stratégie, contrairement au programme qui est fixe, peut être modifiée pour s'adapter à des situations nouvelles», précise Abdelhay Moudden, professeur des sciences politiques et des relations internationales à la Faculté de droit de Rabat. Pour que de telles stratégies de réforme puissent se réaliser, le concours des pays occidentaux s'avère nécessaire. Jusqu'à présent, ceux-ci se montrent divisés et généralement méfiants vis-à-vis des mouvements de contestation qui se forment dans la région arabe. Cette méfiance trouve son explication, d'après Edgar Morin, dans plusieurs éléments : «La peur d'une éventuelle migration massive à l'Europe suite aux révolutions arabes, de l'impact sur les ressources pétrolières et, enfin, de la montée en puissance du mouvement «islamiste», un descriptif qui mélange Islam, musulmans et terroristes».
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Questions à : KAMAL JENDOUBI, • Responsable au réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme.

«La crise actuelle est essentiellement une crise de confiance»

• Comment évaluez-vous l'expérience démocratique marocaine ?
Le Maroc a été l'un des premiers pays arabes à s'être engagé dans la réforme et le dialogue démocratique pacifique. Aujourd'hui, après les évolutions enregistrées dans certains pays du monde arabe, les demandes de réformes répondant mieux aux attentes du peuple se font de plus en plus insistantes. Les premières réactions ont donné satisfaction à ces demandes. Reste un certain nombre de mesures à entreprendre, notamment pour garantir l'indépendance de la justice qui est le gage de réussite de n'importe quel processus démocratique. Cette question fait partie d'ailleurs des préoccupations de la commission chargée de la révision de la Constitution. Faut-il le dire, il ne s'agit pas d'un processus purement juridique, loin s'en faut. L'indépendance de la justice renferme en effet une dimension psychique, étant donné que la crise actuelle dans de nombreux pays est essentiellement une crise de confiance. Ce qui est important à présent, c'est que le peuple marocain dans toutes ses composantes, hommes, femmes et jeunes, croie fermement au résultat de ce processus démocratique et au changement qu'il va engendrer.

• Quels sont les risques que comporte la reconstruction démocratique et comment faire pour les pallier ?

Il ne faut pas oublier que ces manifestations ont en quelque sorte pris tout le monde de court. On savait pertinemment que tôt ou tard, elles allaient avoir lieu, mais on ne s'attendait guère à ce qu'elles se produisent aussi vite. Pour parler du cas de la Tunisie dont je suis issu, j'estime que le plus grand danger pour le processus de transition démocratique consiste dans les résidus du régime de l'ancien président.
Ben Ali est effectivement parti, mais il a laissé derrière lui un énorme tentacule, celui de l'ancien parti politique dominant qui a pris la Tunisie en otage pendant plus de 20 ans et qui veut s'emparer de la scène politique.
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